Levées de fonds : dans le Sud, la nécessité d’une « clusterisation » thématique

Comme tous les baromètres, celui des levées de fonds constitue une photographie temporelle, donnant des indications sur le territoire, sur la façon aussi dont se comporte l’innovation. Selon les données publiées par InExtenso Innovation Croissance, Provence Alpes Côte d’Azur, 3ème région la plus dynamique en termes de tours de table concrétisés, a su tenir bon dans un contexte national plus tendu. Manque encore, cependant, une clusterisation thématique capable de créer un effet d’entraînement ; comprendre de plus grande attractivité.
(Crédits : DR)

Le monde de la tech et des startups n'a pas été un long fleuve tranquille en 2023. Recul des méga-levées, chute des valorisations, des tours de table aussi, le tout assorti de plans de restructuration, voire d'un degré de mortalité plus élevée... Ça a tangué fort, très fort et cela faisant bien longtemps que les remous n'avaient pas autant secoué l'écosystème de la tech. Ainsi, le montant total des levées s'établit à 9 milliards d'euros contre 13,6 milliards d'euros l'année précédente, soit un -34% significatif. Il faut dire que la période post-Covid avait généré une sorte d'euphorie, le financement étant disponible - puisque quasi-gelé en période de crise sanitaire - créant un effet rebond. 2023 a donc rétabli une sorte d'équilibre et comparé en 2019, tout ne va pas si mal. « Beaucoup de tendances de long terme se sont concrétiséesIl n'y a pas eu de mauvaises surprises. Le contexte a été anticipé comme très difficile à l'échelle nationale et européenne, il l'a été », commente Noémie Keller, associée et directrice Sud pour InExtenso Innovation Croissance, soulignant que le niveau de 2023 est tout de même le double en termes de valeurs du niveau de 2019. Une remise en perspective qui peut rassurer mais qui n'empêche pas de remarquer que la tech n'est pas (plus ?) un grand tout et que certains secteurs sont davantage préservés que d'autres.

 « Certains secteurs s'installent dans la durée comme l'énergie, les cleantech, la santé, le logiciel avec le modèle économique SAS, l'intelligence artificielle... L'IA a été le gros sujet de 2023, OpenAI a vraiment fait bouger les lignes. L'IA était un secteur d'expert, avec des solutions pilotes, dans les entreprises... Avec ChatGPT, on a vu que l'intelligence artificielle, potentiellement, pouvait toucher tous les secteurs, avec une vitesse de diffusion incroyable. C'est la technologie pour laquelle, à l'échelle mondiale, il y a eu une adoption grand public ».

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C'est bien, mais...

Dans le Sud, comme souvent, Provence Alpes Côte d'Azur est à contre-courant de la tendance nationale. « C'est souvent à contre cycle que la région est performante ». Cela se révèle donc vrai aussi pour la tech. Avec 375 millions d'euros consacrés aux 55 deals concrétisés, c'est + 37% en termes de montants levés et +41% en termes d'opérations. Seule baisse enregistrée, celle qui regarde le ticket moyen, établie à 7,4 millions d'euros quand il était de 8 millions d'euros en 2022.

« Chaque année, la région réussit un très gros coup, ce qui montre que finalement elle sait le faire avec régularité ». En 2023, le gros coup, c'est TSE, spécialiste de l'énergie solaire, basée à Sophia-Antipolis, qui a levé 130 millions d'euros.

« Cependant, le travers de la région, c'est que ces importantes levées ne sont pas toujours passées par les radars classiques de l'accompagnement. Ce qui pose problème en termes de visibilité et de taille critique, c'est que chaque année, une thématique différente émerge. C'est certes très bien pour le territoire, cela montre aux investisseurs qu'il existe du deal flow de qualité, qu'il y a de la capacité à trouver du financement mais il n'existe pas de logique d'entraînement, d'écosystème, de grappes technologiques, de grappes de compétences... et cela reste problématique », note encore Noémie Keller.

Cleantech : le maritime, contributeur attentionné

Une structuration globale qui manque mais qui se fait néanmoins autour des cleantechs. Une structuration peut-être encore discrète mais réelle et qui se fait notamment autour des sujets liés à l'océan. Le lancement du French Blue Tech Index, en décembre dernier, réunit les startups du maritime et le Sud y est assez fortement représenté via, entre autres, Inalve, Neptech, Syroco, Planktovie, Seecure, Pollustock... Certaines sont en phase de levée de fond, d'autres ont déjà dépassé ce stade. Le maritime qui est évidemment une thématique majeure pour le Sud, très attentif aux innovations qui émergent, avec une « volonté de consolider les compétences », dit Noémie Keller.

« L'interface océan devient une nouvelle zone économique à exploiter, c'est une nouvelle frontière, les modèles économiques concernent les énergies renouvelables, les éoliennes, la surveillance de l'interface côtière, l'adaptation au risque environnemental. On sort de la sphère de l'intérêt général et de la science pour aller aujourd'hui vers un certain niveau de modèle économique ».

L'IA et l'effet de traction

Technologie majeure, l'intelligence artificielle est sans nul doute celle qui provoque le plus d'intérêt, l'IA générative venant bousculer tout ce que l'on savait déjà. « Nous sommes encore en dessous du radar », estime la directrice Sud d'InExtenso Innovation Croissance, notant qu'il se passe bien des choses à bas bruit mais qu'il n'y a pas encore de levée de fonds majeure. La santé, qui est l'une des filières constitutrices de l'économie tech du Sud, devrait en bénéficier, l'électronique aussi. Il faut dire qu'en Provence Alpes Côte d'Azur, il n'existe pas - encore ? - d'écosystème d'IA générative, historiquement les briques d'intelligence artificielle disponibles étant davantage du machine learning, des modèles algorithmiques, de l'analyse d'images pour la santé ou la sécurité. A noter tout de même qu'en 2023, les startups développant des modèles d'IA ont vu le montant des levées être multiplié par deux.

Malgré tout, tout cela contribue à créer un territoire qui attire. Certaines annonces d'implantations ne sont pas neutres comme celle de Silicon Mobility dont le rachat par Intel signe le retour d'Intel à Sophia-Antipolis, l'arrivé à Nice de Netsoon Technologies, spécialisé en IA et désireuse de développer des datacenters respectueux de l'environnement apporte une brique supplémentaire. C'est cela qui vient conforter l'existant. On rappelle notamment que c'est à Sophia-Antipolis que SiPearl, concepteur de microprocesseur, a installé son centre de R&D.

Cluterisation thématique conseillée

Des implantations qui sonnent pour Noémie Keller comme des signaux de la capacité d'attractivité du Sud. « Cela signe peut-être un pivot historique sur ces thématiques », mais attention « à ne pas se satisfaire trop vite ». Car le Sud est certes la troisième région française en termes de montants levés, mais l'Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes trustent toujours les premières places. 2024, l'année du pivot ? « Nous devrions retrouver un cycle haussier », prédit Noémie Keller mais « il va encore falloir tenir quelques mois avec qu'un retournement s'effectue ». La question étant quand ce retournement peut-il se produire ? La trésorerie des entreprises tiendra-t-elle ? Certaines startups, pourtant prometteuses, ont mis la clé sous la porte, comme My Data Models ou Qiti. Le décaissement de certains CIR (crédit impôt recherche) intervenu plus tardivement, a aussi été de nature à faire trembler certaines pépites. Cependant, des levées sont en cours. La deeptech se comporte bien. En termes de recrutement de compétences, la tension est également légèrement moindre. « Ce qu'il faut maintenant, c'est arriver à faire la clusterisation thématique de l'écosystème pour provoquer cet effet boule de neige, pour attirer sur le territoire d'autres acteurs ». Et gagner des places dans le classement...

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