La stratégie d’Innate Pharma pour se faire une place parmi les biotechs de l’immuno-oncologie

Installée depuis 1999 à Marseille, cette biotech de 200 salariés s’est fait un nom dans le domaines des immunothérapies contre le cancer, nouant des partenariats d’ampleur avec des grandes industries comme Astra Zenecca ou Sanofi. Au cœur de sa stratégie, des choix scientifiques différenciant, un positionnement entre secteurs publics et privés au sein d’un écosystème marseillais porteur sur ces sujets, ainsi qu’un modèle économique qui lui offre une visibilité de long terme.

Une « révolution ». Rien de moins. C'est ainsi que beaucoup qualifient l'arrivée des immunothérapies dans la lutte contre le cancer. Et pour cause.

Nées à la fin du XIXe siècle, ces thérapies nouvelles, issues de la recherche fondamentale, font un pari, celui de lutter contre les tumeurs non pas en les ciblant directement, mais en stimulant le système immunitaire qui se chargera de les détruire.

Après plusieurs désillusions, ces thérapies finissent par montrer des résultats spectaculaires. Si l'enjeu des thérapies passées étaient plutôt d'allonger la durée de vie des patients, les immunothérapies contre le cancer permettent d'obtenir des guérisons totales chez 20 % à 30 % des malades. Car en stimulant le système immunitaire, elles lui confèrent une mémoire qui l'aidera à apporter une réponse durable contre le cancer.

« Il y a eu un point d'inflexion en 2011, à l'occasion d'un grand Congrès mondial de cancérologie », raconte Hervé Brailly, cofondateur et actuel PDG d'Innate Pharma qui se dédie depuis sa création en 1999 à ces thérapies. « C'est là qu'ont été présentés les premiers résultats d'une immunothérapie efficace contre un mélanome malin métastatique ».

Un marché colossal

Le marché des immunothérapies contre le cancer devient, dès lors, colossal. « On compte des centaine d'acteurs, dont une dizaine de big pharmas. Ces immunothérapies sont un domaine majeur en termes d'essais cliniques, d'impact médical mais aussi commercial ». Fin 2017, on recensait ainsi près de 1.000 traitements ou candidats traitements relevant de l'immunothérapie, ciblant plus de 270 molécules. Alors comment Innate est-elle parvenue à se différencier dans cet univers ?

« Nous avons creusé notre sillon dans un champ scientifique différent ». Alors que la plupart des acteurs s'intéressent aux lymphocytes T, des cellules clés de notre système immunitaire, capables de proliférer rapidement pour détruire les cellules cancéreuses au prix, néanmoins, d'effets secondaires relativement importants, Innate a avancé ses pions autour d'un autre type de cellules, les cellules NK, ou cellules tueuses naturelles, qui font elles aussi partie de la famille des lymphocytes mais prolifèrent de façon moins spectaculaire, générant plus de sûreté pour le patient. « Il est plus lent de montrer leurs effets, mais cela est différenciant ».

Différenciation scientifique

Innate stimule le potentiel de ces cellules NK de deux manières. D'abord, en reprogrammant le système immunitaire en ciblant les cellules NK, ce qui permet de les désinhiber et donc de les aider à tuer de façon plus efficace les cellules cancéreuses. C'est l'objet de la première génération d'immunothérapies développées par l'entreprise.

Mais Innate est aussi allée plus loin en créant, à partir d'anticorps, de nouvelles molécules de synthèses capables, contrairement aux anticorps classiques, de viser simultanément plusieurs cibles. C'est là l'objet de sa plateforme Anket®. « Grâce à cela, on peut à la fois cibler la cellule NK et la cellule cancéreuse », afin de favoriser la rencontre entre les deux. Portée avec Sanofi, « cette technologie marche bien en préclinique », explique Yannis Morel, vice-président de l'entreprise. « Et nous sommes très excités car nous commençons à avoir des résultats cliniques en hémato-oncologie, avec des résultats d'efficacité assez prometteurs dans la leucémie aiguë myéloïde (LAM), avec des réponses complètes chez des patients, notamment en rechute ».

Des relations fortes avec l'industrie pharmaceutique

A l'image de Sanofi, plusieurs grands noms de l'industrie pharmaceutique ont ainsi été séduits par le potentiel d'innovation d'Innate. Novo Nordisk dès 2003. BMS. Mais aussi AstraZeneca qui porté en phase III l'anticorps inhibiteur de point de contrôle immunitaire Monalizumab, une phase III qui devrait aboutir en 2026, ouvrant pour la première fois les portes de la commercialisation à une produit développé par la biotech marseillaise.

« Nous avons depuis le début une stratégie de relations fortes avec les partenaires pharmaceutiques. Pour nous, cela est très structurant. Notre business model repose très largement sur la partage de savoir-faire, le partage des risques et son externalisation sur des stades de développement avancés ». Ces relations prennent ainsi des formes diverses comme l'explique Yannis Morel. « Avec AstraZeneca par exemple, nous avons une collaboration de codéveloppement. Nous travaillons ensemble jusque dans les étapes cliniques. Puis c'est AstraZeneca qui prend la main en phase III », phase finale avant la commercialisation, au cours de laquelle les essais peuvent inclure un millier de patients. « Avec Sanofi, la collaboration est restreinte aux étapes pré-cliniques. Nous travaillons ensemble pour identifier et caractériser les molécules puis la partie clinique est gérée à 100 % par Sanofi ». Et dans les deux cas, Innate est rétribuée au fil de l'atteinte des différents objectifs fixés en amont. Avec Sanofi par exemple, le potentiel des revenus que pourrait percevoir Innate s'élève ainsi à 1,75 milliards d'euros.

À noter qu'au total, Innate Pharma dispose d'un total de 7 molécules dans son portefeuille, dont quatre font l'objet d'un partenariat. La biotech est propriétaire des trois autres.

Longueur de vue

L'entreprise noue en outre des contrats de licence permettant à d'autres entreprises d'exploiter le potentiel de ses découvertes. « Nous nous focalisons sur l'oncologie mais notre plateforme peut apporter des solutions dans d'autres types de pathologies ». Notamment la maladie cœliaque, cette maladie intestinale chronique et auto-immune liée à l'ingestion de gluten, et contre laquelle une technologie d'anticorps conjugués (ou ADC) développée par Innate Pharma semble pertinente pour l'entreprise pharmaceutique Takeda. «Nous avons signé avec eux un contrat de licence. Il n'y a pas de collaboration avec eux. Ils travaillent de leur côté sur notre anticorps ».

Une stratégie qui a permis à la biotech, introduite à Euronext et au Nasdaq, de se constituer de solides réserves, affichant une position de trésorerie de 121 millions de dollars au 30 septembre 2023. « Cela nous donne une visibilité jusqu'au second semestre de 2025. C'est un point clé, surtout dans l'environnement boursier actuel qui est tendu ».

Et l'entreprise veut élargir son réseau du côté des États-Unis où elle dispose déjà d'une filiale. « Les Etats-Unis sont importants pour nous sur trois plans », explique Hervé Brailly. « D'abord parce que c'est le principal marché pharmaceutique, qui représente 70 à 80 % du marché en valeur. Ensuite pour faciliter les essais, car on trouve là-bas des centres de références très forts, de même que des universités et des centres académiques. Enfin, être bien implanté aux États-Unis permet un accès plus simple aux investisseurs ». D'où le recrutement d'un président des opérations américaines dont la mission sera d'étoffer le réseau local et de permettre à la biotech d'accéder à de nouveaux contrats. Pour faire briller un peu plus l'écosystème marseillais, incontournable en matière d'immuno-oncologie.

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