« Il faut créer une base industrielle et technologique de défense alimentaire » (Stéphane Linou)

Alors que le Salon international de l’agriculture continue de focaliser les problématiques de souveraineté alimentaire en continuum de la colère paysanne, l’idée de considérer l’alimentation et donc l’agriculture comme un sujet aussi prégnant que la défense est revendiquée par certains experts, dont Stéphane Linou qui défend cette approche depuis plus de 25 ans. Expert associé au laboratoire Sécurité Défense du CNAM, il estime qu’il faut créer une “BITD” alimentaire non seulement pour des questions de souveraineté mais parce que cela permettrait aux entreprises de prendre part à la commande publique tout en exportant. Et de dire que les PAT (Projets Alimentaire Territoriaux) devraient être transformés en contrat alimentaire territorial, afin de donner corps à une vraie planification.
Stéphane Linou, expert associé au laboratoire Sécurité Défense du CNAM, au Salon de l'Agriculture
Stéphane Linou, expert associé au laboratoire Sécurité Défense du CNAM, au Salon de l'Agriculture (Crédits : DR)

Les propos de Gabriel Attal lors de son discours mercredi dernier de placer l'agriculture « au rang des intérêts fondamentaux de la nation au même titre que la sécurité ou la défense nationale », n'ont certes pas étonné Stéphane Linou. Cette vision, il la défend depuis plus de vingt ans, persuadé qu'il « ne faut pas perdre de temps » et que les travaux de recherche menés auprès des ministères et des fonctionnaires la confirment, « la technostructure a déjà validé cela depuis des années ».

Expert associé au Laboratoire Sécurité Défense du CNAM, membre du Haut conseil pour le climat et la biodiversité de la Métropole Nice Côte d'Azur, Stéphane Linou a longtemps évangélisé, porté la bonne parole, notamment auprès des institutions. « Il est essentiel de prioriser le capital naturel qui est le foncier nourricier et l'eau. Il n'y a pas d'agriculture et de nourriture sans nature et il n'y a pas d'agriculteurs sans prix rémunérateurs. Et il ne peut pas y avoir d'agriculteur en vie s'il n'y a pas de consommateur qui achète au juste prix. Et surtout s'il n'y a pas de consommateur qui cuisine car la valeur reste dans la ferme et à la maison », souligne celui qui a tout écrit dans « Résilience alimentaire et sécurité nationale », ouvrage publié en octobre 2019.

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Souveraineté, commande publique et exportation

La cuisine « étrangement absente des revendications et des débats » qui est un maillon essentiel dans la chaîne de valeur pour maintenir une agriculture la plus souveraine possible. « En cuisinant, le consommateur flèche les achats vers les produits bruts locaux, il devient le co-producteur d'une sécurité collective et participe au maintien d'une infrastructure nourricière autour de chez lui ».

Acheter local, voilà toute la question, reliée par ailleurs en grande partie à la commande publique ou aux cantines et qui se trouve au cœur de la loi Egalim. Une loi qui n'est pas appliquée affirme encore Stéphane Linou. Et qui plaide donc pour la constitution du pendant de la BITD (base industrielle et technologique de défense) pour l'alimentation. Pour rappel, elle regroupe l'ensemble des entreprises de défense qui contribuent à concevoir et à produire les équipements pour les armées, l'industrie de défense étant une industrie stratégique pour le pays et le terreau de notre souveraineté. « Je suis pour créer une BITD alimentaire, celle qui permettra d'atteindre notre souveraineté alimentaire, aidée par les fonds d'un Livret A comme "Agroécologie" puisque l'agroécologie est gage de durabilité et de résilience. En effet, le Conseil constitutionnel vient de censurer une disposition de la loi de finances pour 2024 qui prévoyait d'ouvrir la voie à l'utilisation d'une partie des fonds placés en faveur de crédits accordés à des entreprises du secteur de la défenseL'alimentation étant désormais reconnue comme faisant partie de la sécurité nationale, il ne devrait, en toute logique, pas y avoir de problème ! » La BITD est constituée d'un écosystème d'entreprises qui vivent en grande partie à travers la commande publique, le reste étant pour l'exportation. Pour la BITD Alimentaire, ce serait la même chose.

Sachant qu'en moyenne, les territoires français disposent de 2% d'autonomie alimentaire, que 98% « de ce qui constitue nos assiettes est acheminé par les camions depuis d'autres régions et d'autres nations », quand 97% de la production d'un territoire sont exportés par les camions vers d'autres régions et d'autres nations. Un double flux vulnérable ubuesque...

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Le sujet régalien au-dessus des traités internationaux

Si Stéphane Linou ne dément pas le besoin d'exporter de certaines filières, il estime que l'intérêt national doit primer sur les accords de libre-échange. « Lorsqu'il s'agit d'un sujet régalien, qui concerne la sécurité nationale, cela doit sortir des traités internationaux ». Autrement dit, le Mercosur, c'est non.

Et puis, il va falloir « se remuscler à tous les étages ». Comprendre, rendre le foncier disponible et le protéger « à exclure de la financiarisation, à intégrer dans les Décrets Montebourg, à lier avec un rôle et des moyens accrus pour les SAFER », car il n'y a pas de souveraineté alimentaire sans terres, produire dans les jardins, intégrer davantage de produits locaux dans les cantines, inscrire le risque de rupture d'approvisionnement alimentaire dans les plans communaux et intercommunaux de sauvegarde sur lesquels il forme les élus partout en France... Et surtout revoir la copie concernant les PAT, ces Projets Alimentaires Territoriaux « qui ne sont hélas pas encore des plans qui pourraient soulager les moyens de sécurité civile et constituer des filets de sécurité alimentaire territorialisés en cas de guerre hybride ou de pandémies bloquant les transports » dont l'objectif est de réunir et fédérer les acteurs autour de l'agriculture et de l'alimentation dans les territoires.

Des PAT que Stéphane Linou verrait bien devenir, pour reprendre la proposition de l'ancien sénateur Frédéric Marchand, des CAT, c'est-à-dire des contrats d'alimentation territoriaux qui offriraient une véritable planification en faisant en sorte que les contrats lient agriculteurs et collectivités pour les cantines, les Ehpad,... « Les collectivités doivent pouvoir prendre une compétence alimentaire partagée ».

Où on en vient à la question du maintien de l'activité des agriculteurs et du modèle économique, alors que la PAC et plus globalement le soutien financier aux agriculteurs revient souvent sur le devant de la scène. « Les agriculteurs ne changeront de modèle que s'ils ont trois ingrédients, un bon prix, de bons volumes et une visibilité sur le temps long. S'ils sont assurés d'avoir ces trois éléments, alors ils investissent, se forment, s'organisent... Si l'un de ces éléments manque, les agriculteurs ne changent pas et c'est normal ».

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Pyramide de Maslow

Les différentes initiatives de sécurité sociale de l'alimentation sont, pour l'expert associé au laboratoire Sécurité Défense du CNAM, un outil intéressant, permettant aussi de flécher une partie de la consommation. « Il ne faut pas oublier que l'alimentation constitue le premier étage de la pyramide de Maslow et que la sécurité en est le deuxième. Il faut respecter les ressources et il faut faire des choix pour sécuriser ce qui est le plus vital et trouver un récit collectif désirable pour le troisième étage qui est le sentiment d'appartenance ».

Le monde de l'entreprise a, lui aussi, une contribution à apporter. « Le monde de l'entreprise a un rôle à jouer dans le partage de la valeur ». Il a entre autres à connaître et intégrer les PAT au niveau local car c'est un monde qu'il ne connaît pas suffisament.

Stéphane Linou d'en rajouter une couche, « il ne peut y avoir de planification écologique sans planification alimentaire. Or, la planification écologique est brouillardeuse et planifier une partie de l'alimentation, cela ne veut bien évidemment pas dire de revenir à Brejnev ! ».

Et pour en revenir une bonne fois à la commande publique, évidemment qu'il faut « lever les verrous pour pouvoir écrire tranquillement dans un appel d'offres que l'on veut acheter local ».

Et concernant l'annonce faite par le gouvernement de réfléchir à des prix planchers, Stéphane Linou sourit et suggère un « prix plancher des vaches », faisant remarquer que le plancher des vaches « était l'expression faisant référence à la terre ferme, au sol stable, que désiraient les marins lassés par le brouillard, la houle et l'instabilité. C'est ce dont ont justement besoin la nation et nos agriculteurs : un cap, de la visibilité et de la stabilité, comme pour notre sécurité collective ».

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Commentaire 1
à écrit le 27/02/2024 à 10:24
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Aux Etats Unis si le gouvernement américain tombait c'est pas la CIA ni la NSA qui prendrait le ocntrôle du pays c'est la FDA, la bouffe et les médicaments, afin de continuer de contrôler la population et c'est logique hein, ya pas de machiavélisme, ...

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