« La transparence sur l'origine des produits alimentaires permettrait de les comparer » (Sébastien Loctin, Collectif en Vérité)

Après une quinzaine d'années comme salarié au sein de grands groupes de l'agro-industrie, Sébastien Loctin a fondé Biofuture, fabricant de sauces et huiles bio en grande majorité à partir d'ingrédients locaux, basé à Aix-en-Provence. Et avec un cheval de bataille, celui d'offrir aux consommateurs une information complète sur tous les produits en rayon. Un combat que porte le collectif En vérité qu'il a fondé et qui réunit des marques du secteur telles D'Aucy, Hari&Co, Alpina, YogiTea ou Jean Hervé. La transparence pouvant selon lui être l'une des réponses à la crise que subissent actuellement les agriculteurs.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE : Pancartes retournées, barrages routiers, blocus de grandes villes... Depuis plusieurs mois et avec plus d'acuité encore depuis le 18 janvier, les agriculteurs manifestent leur colère, avec des revendications nombreuses et pas toujours concordantes. Quel regard portez-vous sur ce mouvement ?

SÉBASTIEN LOCTIN : Je trouve que les agriculteurs ont été très patients car cela fait trente ans que notre modèle est en souffrance. Dans ce mouvement, nous retrouvons en effet deux types d'agricultures. Il y a d'un côté l'agro-industrie, très céréalière, très mécanisée et intensive qu'incarne notamment la FNSEA. Et de l'autre, une agriculture que représente davantage la Confédération paysanne, plus familiale, sur des surfaces plus petites. Et c'est surtout ce deuxième modèle qui souffre de la situation, avec une Politique Agricole Commune qui privilégie les mégas-exploitations à son détriment et qui doit se défendre dans le cadre d'une concurrence européenne peu favorable à la France. Et il faut ajouter à ce modèle des conditions de travail très dures, l'exposition aux pesticides qui - on a de plus en plus de preuves sur ce sujet - provoquent des cancers. La profession est dans le dur. Elle n'est pas du genre à se plaindre, mais elle a atteint des limites dont on doit prendre conscience collectivement.

Vous le dites, deux types d'agricultures s'expriment simultanément dans ces mouvements. En tant que transformateur de la filière bio, engagé sur la réduction de l'usage de pesticides, ne craignez-vous pas que ce soit la voie de la réduction des normes, environnementales notamment, qui finisse par l'emporter ?

Il y a en effet des chances que ce soit le puissant lobby qu'est la FNSEA qui soit entendu. La FNSEA défend l'agriculture française, ce qui est louable. Mais elle promeut un modèle agricole en quête de profits en demandant moins de normes environnementales, l'utilisation de produits phytosanitaires pour générer plus de rendements et ce pour des cultures majoritairement destinées à l'export. Dans ce modèle, on alloue des terres locales que l'on saccage à cause d'une production à haut rendement que l'on va exporter en Chine au nom de l'équilibre de la balance commerciale. Mais est-ce qu'on prend les choses dans le bon sens ? Avons-nous réellement besoin de nourrir les Chinois plutôt que de ré-allouer des terres à des cultures pour lesquelles nous sommes à l'inverse très importateurs, et donc déficitaires ?

Parmi les actions des agriculteurs en colère, plusieurs visent les acteurs intermédiaires de la filière : transformateurs et distributeurs. Vous êtes patron de Biofuture, une PME agroalimentaire, et avez travaillé quinze ans pour de grands groupes de ce secteur. Quelle est selon vous la responsabilité de ces intermédiaires dans la crise actuelle ?

Nous avons tous une part de responsabilité. Les consommateurs et les intermédiaires également. Depuis toujours, les distributeurs exercent une pression délétère sur les prix. Prenons le cornichon qui est un très bon exemple. Sous la pression des distributeurs, une multinationale sans ancrage français, qui n'a donc aucun intérêt à produire en France, a choisi de s'approvisionner en Inde. Les multinationales se retrouvent dans un jeu visant à maximiser toujours davantage la rentabilité des produits, de rechercher des sourcings sans cesse moins-disant en matière de prix.

La responsabilité des consommateurs est elle aussi souvent évoquée, avec des appels à consommer davantage de produits français. Encore faut-il avoir suffisamment d'information sur l'origine des produits, et en particulier des produits transformés pour lesquels les choses ne sont pas toujours très claires. Cette transparence est justement la principale revendication du collectif En vérité dont vous êtes l'un des initiateurs, et qui regroupe 65 marques comme D'Aucy, Jardin Bio ou encore Alpina...

Tout le monde a envie d'aider nos paysans. Mais on ne sait pas toujours d'où viennent les produits que l'on achète. Pourtant, l'information est très puissante. Prenez Yuka. Quand on a donné cet outil aux consommateurs, ils l'ont utilisé et ont changé certains modes de consommation, obligeant les industriels à revoir beaucoup de leurs recettes. Avec Yuka, les gens ont dû faire un petit effort : télécharger l'application, prendre leur téléphone, scanner... Nous, nous demandons un affichage visible directement sur les emballages de tous produits. On ne changera pas les habitudes de tout le monde. Mais il suffit de 10% de conversions pour enclencher de nouvelles dynamiques et transformer le modèle.

Concrètement, quelle forme prendrait l'affichage que vous préconisez ?

Il s'agirait d'un label dans l'esprit du Nutriscore, qui, d'un coup d'œil, permettrait de savoir où a été fabriqué un produit et d'où proviennent ses matières premières : France, Union européenne ou le reste du monde. Nous avons testé ce label sur différentes catégories de produits : yaourts, ketchups, haricots verts, lait... Et nous avons remarqué que lorsqu'il est présent sur un pot de ketchup, il multiplie par 2 à 10 les intentions d'achat à destination des produits d'origine française. L'impact est colossal. Pour la marque de ketchup, mais aussi pour toute la filière française de tomates et de betteraves auprès desquelles elle se fournit.

Et quelles sont vos ambitions pour ce logo ? Qu'il devienne obligatoire ?

Nous l'avons conçu de sorte qu'il soit compatible avec les normes européennes. Nous menons un travail de lobbying pour que l'origine des produits soit explicite sur tous les emballages, même si cela génère évidemment des résistances. Mais il est important de mettre tout le monde sur un pied d'égalité. Chez Biofuture, notre ketchup contient 90 % d'ingrédients français. Ce que les gens nous demandent, c'est d'où viennent les 10 % restant. Or, personne ne demande à Heinz d'où viennent ses 100 % d'ingrédients non français. La transparence, lorsqu'elle n'est assumée que par quelques uns, attise des questions qu'on ne poserait pas aux autres pour qui l'opacité est plus rentable. Et on a besoin de référentiels pour que les pouvoirs publics puissent flécher plus justement leurs investissements. Même chose pour les politiques d'achat durable.

La filière bio aussi bat de l'aile depuis 2021. Des appels à l'aide ont été lancés, l'an dernier notamment ; mais dans le mouvement actuel, elle semble assez peu audible.

Le bio est le parent pauvre des politiques agricoles. Pourtant, c'est le seul label réellement réglementé. Le reste (agriculture raisonnée, haute valeur environnementale...) ne relève que de déclarations privées et cela crée de la confusion. Nous sommes dans un modèle où le label bio marginalise quelque chose finalement de très  normal, à savoir l'absence de pesticides et d'additifs chimiques. Pourquoi ne précise t on pas en revanche quand un produit contient des intrants chimiques ?   Il faut exiger de la transparence sur le marché pour remettre tous les produits sur un même plan de comparaison.

Le mouvement des agriculteurs en colère survient dans un contexte d'inflation, avec, pour un nombre accru de Français, des difficultés à se nourrir en quantité et en qualité suffisantes.

Le concept de pouvoir d'achat, tel qu'il est porté par les pouvoirs publics, génère beaucoup d'inertie. Au prétexte que des gens n'arrivent pas à se nourrir, on nous explique qu'on ne peut rien faire et on s'aligne sur les plus basses qualités, ce qui nous conduit dans le mur.

En France, une large partie de la population a les moyens de mieux se nourrir. La bonne question est de savoir pourquoi ces personnes-là ne le font pas. La clé, c'est l'information et l'éducation. Prenez le bio : au tout début, les consommateurs étaient surtout des agriculteurs et des professeurs, des personnes bien informées. Puis l'information est arrivée jusqu'aux plus aisés qui ont commencé à aller dans les magasins bio à leur tour.

Les personnes les plus aisées sont prêtes à payer le prix s'il en va de leur santé et de celle de leurs enfants. Si elles se rendaient compte que le ketchup de grande marque qu'elles achètent a un nutriscore D, un impact environnemental E, et que ses tomates viennent de Chine, elles vont y réfléchir. Il faut que ceux qui ont du pouvoir d'achat soient encouragés, grâce à une information transparente sur tous les produits, à faire leur transition alimentaire. Cela générera des économies d'échelle et permettra à ceux qui ont moins de moyens de mieux manger également. C'est cela, une transition alimentaire juste.

Le chemin semble encore long pour parvenir à de telles politiques. D'autant que les oppositions à la transparence que vous appelez de vos vœux émanent de puissants lobbys.

Les choses avancent. Il y a deux ans, notre collectif n'existait pas. Aujourd'hui, il compte 65 membres et est écouté par certains députés et eurodéputés. Plus nous serons nombreux, plus nous ferons bouger les lignes. Et si on n'y arrive pas par la loi, on y arrivera par le peuple. C'est ce qu'il se passe en ce moment avec les agriculteurs. L'inflation, qui résulte des dérives de notre système agro-alimentaire, peut aussi conduire à des mobilisations. Dans ce contexte, les pouvoirs politiques ont une belle opportunité de montrer qu'ils sont dans leur rôle en prenant soin de la population et en lui fournissant l'information qui lui profitera.

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Commentaires 5
à écrit le 03/02/2024 à 9:21
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Pour définir la quantité de perturbateurs endocriniens ,de pesticides et autres produits toxiques ? Oui c'est certain que ça ferait du bien mais comment feraient ces grosses vieilels badernes d'oligarques agro-industriels pour remplir toujours plus v...

à écrit le 02/02/2024 à 19:40
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Lacta* avait réussi à faire annuler une idée consistant à marquer sur les bouteilles de lait le pays d'origine, vu qu'il n'y avait pas de terroir pour le lait, ça ne sert à rien (voire risque de ne pas acheter si c'est pas France, y a des gens tatill...

à écrit le 02/02/2024 à 16:37
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Pour les exploitations agricoles comme pour le reste, il y a un seuil de taille où la rentabilité n’est plus là sauf à être soutenue par le contribuable à défaut de l’être par le consommateur !!

le 02/02/2024 à 18:13
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Aucune exploitation n'est rentable quelque soit sa taille , toutes équilibrent leurs comptes d'exploitation avec les aides et subventions et c'est ainsi dans tous les grands pays en Europe et aux usa .

à écrit le 02/02/2024 à 15:40
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avec le gouvernement de manipulateurs que nous avons, c'est une performance qu'il faut saluer ! Et a mon avis, cela ne va pas durer ! car comme des magouilleurs généralement la clarté est un danger pour celui qui le fait !

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