« Face au changement climatique et plus largement face au changement global, la tourisme est à la fois coupable et victime », constate l'étude Quatre scenarios pour le tourisme côtier en région Provence-Alpes-Côte d'Azur à l'échéance 2050, réalisée par Plan Bleu et GeographR avec le soutien de l'Ademe.
Coupable, car le tourisme serait responsable de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre - 65 % d'entre elles provenant du transport, 28 % de l'hébergement -, d'une consommation accrue d'eau et d'énergie, tandis que la sur-fréquentation de certains sites naturels peut en fragiliser la faune et la flore.
Victime, car le tourisme est soumis aux aléas environnementaux. Les chaleurs excessives et la fréquence accrue de phénomènes extrêmes (méga-feux, inondations), peuvent nuire à l'attractivité, voire générer la destruction d'infrastructures.
Pourtant, le tourisme constitue un pan significatif de l'économie régionale. 13% du PIB, précise l'étude. 6% de l'emploi. Très transversal, touchant à la fois à l'économie et à l'environnement, à la culture et aux enjeux sociaux, le tourisme constitue, observe l'étude, « un puissant levier de transformation des territoires ».
Viser la neutralité carbone en 2050
Une transformation indispensable face aux enjeux environnementaux mais aussi économiques et sociétaux. Avec un impératif fixé par l'accord de Paris de 2015 : celui d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 pour limiter la réchauffement climatique à 1,5°C voire 2°C, ce qui implique de diviser par six les émissions par rapport à 1990.
Oui, mais comment ? Quel chemin doit emprunter le tourisme sur le littoral régional pour contribuer à l'atteinte de ces objectifs ? C'est à cette question que tente de répondre l'étude prospective publiée par l'Ademe, élaborant quatre scenarios visant à y parvenir selon des approches très différentes.
La frugalité au cœur des politiques publiques
Au cœur du premier scenario dénommé « génération frugale », l'étude fait le pari d'une prise de conscience généralisée qui conduirait « toute une génération» à rechercher un mode de vie beaucoup plus frugal, dans la lignée de certaines tendances - encore minoritaires - à l'œuvre.
Les différentes composantes de la société prôneraient ainsi « la gourmandise de la simplicité », privilégiant « le ralentissement de nos vie, la sobriété », considérées comme sources de bien-être. Ce qui impliquerait des pratiques plus frugales : déploiement massif des énergies renouvelables, lutte contre le gaspillage, alimentation moins carnée, essor des circuits courts... Les acteurs du tourisme s'inscriraient bien sûr dans cette démarche, faisant le choix d'une sobriété énergétique et foncière, privilégiant la renaturation d'espaces, l'utilisation de matériaux biosourcés... Quant aux transports, le trafic aérien baisserait de façon drastique au profit de mobilités plus douces. Les résidences secondaires et les établissements touristiques seraient eux aussi moins nombreux. L'hébergement saisonnier à caractère professionnel resterait majoritaire « mais les échanges d'appartements et le service d'hébergement de personne à personne sont valorisés par les pouvoirs publics ». Pour un tourisme qui s'étalerait de façon plus homogène tout au long de l'année.
Un tel modèle pourrait laisser entendre que la croissance du PIB n'est plus une fin en soi. Et il interroge dès lors sur le modèle économique soutenant ce mode de tourisme dans un monde concurrentiel. Autre menace : « la remise au goût du jour par une jeunesse nostalgique d'une croissance économique sans entrave » qui risquerait de « déstabiliser tout le système mis en place ». Mais ce modèle devrait permettre « de maîtriser le développement économique de la filière et de sauvegarder les emplois, tout en préservant les ressources naturelles du littoral et le climat et en limitant les risques ».
Une résilience que l'on retrouve aussi dans le second scenario : « le tourisme côtier régional des coopérations territoriales ». Là aussi, la frugalité est un principe clé, avec la même volonté de sobriété au niveau du transport, de l'énergie ou du foncier. Et cette frugalité est organisée au travers d'un « schéma universel de la transition écologique » auquel sont étroitement liés l'État et les collectivités locales. De quoi permettre une démarche de co-construction capable de résorber certaines frictions et d'améliorer l'acceptation des politiques de sobriété et d'adaptation.
Le pari technologie pour maintenir nos modes de vie
À l'inverse des deux premiers scenarios, les deux suivants optent plutôt pour l'adaptation technologique. Le scenario 3 dénommé « le tourisme côtier régional des technologies vertes » imagine ainsi des investissements inédits pour « doper les sciences de l'ingénierie et techniques », au service de la rénovation voire de la reconstruction des bâtiments énergivores, d'une énergie majoritairement nucléaire mais aussi renouvelable, d'une agriculture dont la gestion des intrants serait optimisée, avec potentiellement une hausse des cultures énergétiques (pour la fabrication de biogaz) au détriment des cultures alimentaires, moyennant davantage d'importations.
En matière de tourisme, le nombre de nuitées et le trafic aérien seraient en hausse. Le numérique régirait une part importante du tourisme. Des technologies d'adaptation comme la climatisation généralisée et la désalinisation de l'eau de mer prendraient une place iaccrue. On assisterait en outre au développement d'un tourisme industriel vert.
Le quatrième scenario va un peu plus loin encore, faisant le pari d'une technologie réparatrice censée permettre de stimuler la croissance économique, de protéger les biens, les personnes et l'environnement. Avec la conviction que l'espèce humaine est capable de réguler le changement climatique au moyen de technologies diverses comme le stockage géologique du CO2. L'activité humaine continue d'accélérer, s'étalant sur la mer, autour de métropoles connectées de plus en plus denses. Le tourisme, qui demeure assez saisonnier, génère toujours plus de flux humains et financiers, porté notamment par le tourisme d'affaires, attiré par les offres les plus luxueuses.
Neutralité et sobriété
Quatre scenarios dont deux remettent en cause nos modes de vie actuels. Modes de vie que les deux derniers modèles souhaitent plutôt renforcer au moyen de la technologie.
Or selon l'étude, « pour atteindre la neutralité carbone, la sobriété s'avère facilitatrice tout en réduisant les risques et menaces ». Le dernier scenario, celui du « pari réparateur » s'avère quant à lui être « le plus hasardeux car il provoquerait de graves impacts environnementaux sans commune mesure avec [ceux] qui misent sur la soutenabilité ». D'autant que l'objectif de neutralité carbone ne peut être isolé de la prise en compte de l'ensemble des neuf limites planétaires dont six ont déjà été dépassées (cycle de l'eau, pollution chimique, biodiversité, changement d'usage des sols ...), menaçant elles aussi la vie humaine.
Et l'étude de conclure : « les scenarios technologiques qui ne remettent pas en cause (ou peu) nos modes de vie actuels, reposent partiellement sur des technologies aujourd'hui peu matures », ciblant en particulier le captage du CO2 dans l'air.
Une dose de technologie sera certainement nécessaire à la transformation du tourisme. Mais la sobriété s'avère indispensable. Et le chemin à emprunter sera probablement « un mixte » de ces quatre scenarios et d'autres non encore explorés.
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