En santé, « l’IA s’est banalisée. Elle ne fait plus la différence » (Morgane Miltgen, Eurobiomed)

Imagerie, diagnostic, e-santé... Après quelques années de tâtonnement, le monde de la santé s'est peu à peu familiarisé à l'intelligence artificielle, devenue incontournable dans ce secteur. Tellement incontournable qu'elle ne suffit plus à se différencier, notamment face aux financeurs privés. Eclairage avec Morgane Miltgen, responsable innovation au sein du pôle de compétitivité Eurobiomed.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - L'IA infuse tous les champ de l'économie. Comment les entreprises de la santé s'en sont-elles emparé ?

MORGANE MILTGEN - L'IA est devenue une technologie qui fait partie intégrante de la filière santé. Il y a quelques années, les gens hésitaient. Les spécialistes de l'IA se trouvaient surtout dans l'aéronautique ou les mathématiques. Mais désormais, ces profils sont très fréquents dans les entreprises de la santé qui ont bien compris qu'elles avaient à y gagner en matière d'innovation et de gains de compétitivité. En fait, on trouve plusieurs catégories d'entreprises. Les premières sont celles qui utilisaient déjà des données et ont vu dans l'IA un moyen d'être plus performantes, c'est le cas dans le diagnostic, où l'on peut s'appuyer sur des données d'imagerie médicale par exemple. Et puis il y a les entreprises qui accumulaient des données sans vraiment les exploiter, elles ont fini par s'apercevoir qu'elles pouvaient les valoriser.

De sorte qu'aujourd'hui, tous les domaines de la santé s'y sont mis ?

L'IA s'est largement ouverte à toute la chaine de valeur : la génétique (avec de la prédiction notamment), la prise en charge des malades, la prévention, le diagnostic, le suivi du patient où l'IA est présente depuis longtemps... Il y a un domaine où les choses sont en revanche un peu plus complexes : c'est sur le traitement. L'IA n'aide pas directement à développer des traitements mais elle peut aider à intégrer les patients dans les bons essais cliniques, à choisir plus facilement des molécules. L'IA se développe par ailleurs assez bien dans certaines thérapies digitales, liées en particulier au comportement, aux addictions : il existe des prises en charge totalement numériques dans lesquelles on utilise des outils d'analyse du comportement.

L'épidémie de covid-19 a-t-elle accéléré l'adoption de l'IA en santé ?

Je ne pense pas qu'il y ait eu un effet du covid-19. L'IA était déjà présente avant et vers 2019, les entreprises avaient besoin d'être sensibilisées. En 2022, quand on les interroge sur leur rapport à l'IA, elles disent savoir ce dont il s'agit. Leur problème aujourd'hui, c'est surtout la donnée. Comment la trouver ? Comment la valoriser et la protéger ?

Sur l'accès à la donnée justement, une forme de coopération semble essentielle entre entreprises, chercheurs, cliniciens...

Elle est indispensable. Mais de toute façon en santé, des produits qui ne seraient pas co-construits avec l'implication de cliniciens ne peuvent pas marcher car ceux sont eux qui sont au chevet des patients et ont accès à toutes les données de base. Les entreprises le savent, et cela peut encourager la co-construction.

Et du côté des établissements de santé, la valorisation des données est une vraie question qui se traduit par des projets collaboratifs, ou encore le recours à des intermédiaires dont le métier est de récupérer les données dont les entreprises ont besoin, des données propres, annotées de la même manière. Cela ouvre un nouveau marché.

Pour développer des solutions basées sur l'IA, les entreprises en santé s'appuient-elles sur des algorithmes déjà existants ou bien partent-elles plutôt d'une feuille blanche ?

Ma vision est peut-être un peu biaisée du fait que je me concentre sur les projets dont la R&D est très innovante, mais pour qu'il y a ait une vraie création de valeur et de la propriété intellectuelle, mieux vaut fabriquer quelque chose de nouveau, qui soit protégeable. Si on cumule des briques construites par d'autres, on a moins de création de propriété intellectuelle et la propriété de ces briques peut être difficile à gérer. Cela se fait donc de moins en moins, sauf pour certaines logiciels, des interfaces, des choses un peu moins intelligentes. La création de valeur s'appuie en fait souvent sur des collaborations avec la recherche académique. Car internaliser ces compétences coûte cher.

...Car il n'est pas facile de recruter des développeurs...

C'est très compliqué. Les entreprises n'ont pas les moyens de payer des experts dont le travail justifieraient un très bon salaire. Il y a beaucoup de concurrence sur les embauches. Beaucoup de jeunes talents partent à l'étranger.

Qu'en est-il de la formation de ce type de profils sur notre territoire ?

Il y a une vraie volonté politique, notamment de la part de la Région Sud, avec la tenue de groupes de travail qui réfléchissaient à la manière dont ou pourrait attirer les talents. Nous avons l'INRIA qui est un centre très attractif sur ce sujets. Aix-Marseille Université a encore du mal à s'aligner. Du côté de l'Occitanie, on trouve beaucoup de compétences dans l'aéronautique qui pourraient transiter vers la santé.

Quelle est la stratégie d'Eurobiomed sur le sujet de l'IA ?

Nous sommes attendus par l'État pour aider les entreprises à bien mettre en œuvre le dispositif France 2030. De manière plus générale, l'IA est vraiment devenue une technologie comme les autres. Elle n'est plus différenciante. Il faudrait en fait préciser la granularité de l'IA pour répondre à des besoins précis. Nous voulons aider les porteurs de projet à se poser les bonnes questions, les sensibiliser sur les différentes problématiques et contraintes, les orienter vers les bons dispositifs de financements publics, vers les bonnes collaborations avec les cliniciens et les chercheurs. Nous voulons aussi mutualiser nos forces avec les autres pôles de compétitivité en santé; c'est ce que nous faisons au sein de l'alliance Enosis Santé. Car sur ces enjeux, il ne faut pas rester local.

Le développement de solutions fondées sur l'IA est-elle un atout dans la recherche de financement pour les entreprises de la santé ?

L'accès aux financements privés est très bouché en ce moment. On voit plus facilement des investissements dans les biotechs que dans les medtechs où l'IA est plus présente. Cela s'explique peut-être par le fait que l'IA s'est banalisée. Ce n'est plus une fin en soi. Néanmoins, pour les financements publics, ce peut être un atout. Notamment en Région Provence-Alpes-Côte d'Azur où des fonds sont fléchés sur ces thématiques.

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