Inégalités d'accès à la santé : « Les autorités doivent assurer une meilleure répartition des technologies innovantes sur le territoire » (Bruno Ventelou, Aix-Marseille Université)

Offrir à chacun le traitement le plus adapté à ses spécificités et à celles de sa maladie, voilà la promesse de la médecine personnalisée. Une promesse qui devrait, dans un pays au système de protection sociale réputé généreux et universel, bénéficier à chacun. Ce n'est pourtant pas le cas, comme l'explique Bruno Ventelou, directeur de recherche au CNRS, spécialisé en économie de la santé qui pointe par ailleurs les difficultés de circulation de l'information dans le système français.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Bruno Ventelou, vous êtes depuis une quinzaine d'années directeur de recherche au CNRS à Marseille, spécialisé en économie de la santé. Comment en êtes-vous arrivé à ce domaine d'études ?

BRUNO VENTELOU - Je suis issu d'une formation généraliste en économie. Lors de ma thèse, j'ai étudié le lien entre corruption dans les pays du Sud et croissance économique. Puis je me suis rendu compte que les modèles que j'utilisais dans ce cadre pouvaient être exploités pour étudier l'impact d'autres phénomènes sur la croissance, comme par exemple les épidémies qui, comme la corruption, sont contagieuses. C'est ainsi que je me suis intéressé à l'impact du VIH sur la croissance. Puis petit à petit, j'en suis arrivé à travailler sur le système de santé français, sur des questions macroéconomiques. Et au fil des opportunités et des thésards que j'ai accompagnés, j'ai fini par m'intéresser à des sujets plus spécifiques comme les traitements contre le cancer et l'accès plus ou moins égal aux traitements.

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C'est ainsi qu'en 2020, vous participez à la publication d'un article* sur l'accès aux thérapies personnalisées dans le cas d'un cancer du poumon (Cancer Bronchique Non à Petites Cellules) ...

Oui. Ce cancer concerne 40.000 nouveaux cas chaque année. Et représente au moins 50 % des cancers du poumon. Pour le traiter, on recommande un test génétique de la tumeur et en fonction du génome de celle-ci, on définit le traitement à administrer. Pour écrire notre article, nous nous sommes appuyés sur des données de 2012. Cette pratique était encore en train de s'installer. C'était une fenêtre d'observation intéressante.

À ce sujet, vous constatez des inégalités dans la prise en compte de cette recommandation, et donc du recours à cette forme de médecine personnalisée.

Nous avons en effet constaté une diversité départementale dans l'accès à ces thérapies personnalisées, corrélée au taux de pauvreté des départements.

Comment l'expliquez-vous ?

Nous avons testé plusieurs hypothèses et toutes choses égales par ailleurs, il reste un effet du taux de pauvreté du département. On est davantage sur un constat de fait que sur une interprétation, mais on peut raisonner et évoquer plusieurs facteurs. Les populations défavorisées ont généralement une moins bonne utilisation du système de soins, car elles sont moins bien conseillées, elles sont orientées vers des médecins spécialistes moins bien formés et sont traitées dans des hôpitaux moins réputés. On peut aussi penser aux inégalités liées à la prévention. Dans le cas du cancer du sein par exemple, on sait que les femmes qui font partie du quartile le plus riche ont un taux de recours à la mammographie qui est 2,4 fois plus élevé que celles appartenant au quartile le plus pauvre. Peut-être que lorsqu'une personne atteinte de cancer est prise plus tôt, les médecins ont un panel de solutions plus larges. Mais dans le cas du cancer du poumon, nous n'avons pas pu démontrer cet effet.

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Vos données datent de 2012. Mais on peut imaginer que ces inégalités se retrouvent aussi dans la diffusion des autres thérapies qui ont émergé depuis, et qui émergeront à l'avenir. Comment les pouvoirs publics peuvent agir pour résorber ces inégalités d'accès aux thérapies les plus récentes, et donc les inégalités de chances de survie face à la maladie ?

Notre message de politique publique est le suivant : les autorités doivent être plus attentives à assurer une meilleure répartition des technologies innovantes sur le territoire. Cela passe par une meilleure information des professionnels de santé et des patients, à travers les associations qui les représentent, afin d'orienter les malades vers les lieux de soins les plus performants en fonction de leur pathologie.

On touche là au sujet des déserts médicaux, avec plus d'un Français sur dix qui n'a pas de médecin traitant. Faut-il, comme le propose le député PS Guillaume Garot, remettre en question la liberté d'installation des médecins libéraux ?

La dégradation des soins primaires est inquiétante. Ces dernières années, on a assisté à une multiplication des déserts médicaux, en zones rurales, mais aussi dans les villes, avec des difficultés de fonctionnement des premiers recours : médecins traitants et urgences. Cela introduit dans le système un risque aggravé d'inégalités d'accès aux soins. C'est très visible dans le domaine du soin dentaire : dans les déserts médicaux, les plus riches trouvent toujours moyen d'aller consulter ailleurs. Pas les plus pauvres.

Conditionner l'installation des médecins aux besoins de santé des populations, quitte à toucher à la sacro-sainte liberté d'installation, serait donc une très bonne chose. Il faut cesser les agglomérations de médecins dans des territoires déjà très bien dotés. Sans aller jusqu'à l'obligation d'installation dans un désert médical, cela devrait garantir une meilleure répartition. Il faut un meilleur accès aux médecins généralistes capables d'accompagner les patients dans leurs trajectoires de soin, mais également dans les dispositifs de prévention.

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*Nzale S. K., Weeks W. B., Ouafik L., Rouquette, I., Beau-Faller M., Lemoine A., Bringuier P.-P., Soriano A.-G. L. C., Barlesi F., Ventelou, B.,2020, « Inequity in access to personalized medicine in France : Evidences from analysis of geo variations in the access to molecular profiling among advanced non-small-cell lung cancer patients: Results from the IFCT Biomarkers France Study ». PLOS ONE, 15(7), e0234387.

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Commentaire 1
à écrit le 18/07/2023 à 18:36
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Quelle Santé? Il n'y a plus de médecins-traitants, plus de maternités, plus d'hôpitaux, plus de services d'urgence. Il faut avoir une rude santé pour croire à la France.

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