À Marseille, la sécurité sociale de l'alimentation suscite espoirs et réflexions

|Sécurité sociale alimentaire : où en est-on dans le Sud ? Episode 1/2] Directement inspiré de la Sécurité sociale telle que mise en place par le Conseil national de la Résistance, le concept de Sécurité sociale de l'alimentation émerge au travers d'expérimentations un peu partout en France, ouvrant une alternative à une aide alimentaire jugée insatisfaisante et dont dépend un dixième de la population. C'est ce concept qui était au cœur du dernier Lundi de la transition organisé par la Ville de Marseille et le groupe Rive Neuve. Un rendez-vous qui s'est tenu dans les locaux de l'Après-M, fast-food solidaire des quartiers nord de la ville où l'enjeu d'une alimentation saine accessible à tous est particulièrement prégnant.
(Crédits : DR)

La journée a été chargée à l'Après M, cet ancien Mac Donalds des quartiers Nord de Marseille converti en fast food solidaire. Comme tous les lundis, 700 à 800 personnes sont venues récupérer les colis alimentaires mis à disposition par l'association La Part du peuple qui gère les actions solidaires du restaurant. Mais il faudra tenir encore quelques heures avant de baisser la garde. Car alors que le soleil s'apprête à se coucher, le restaurant se remplit d'une soixantaine de personnes venues assister à une table ronde sur le thème de la Sécurité sociale alimentaire, organisée par la Ville de Marseille et le groupe Rive Neuve dans le cadre de leurs Lundis de la transition.

Une sécurité sociale alimentaire : le sujet interpelle Kamel Guemari, président de l'Après M. « Dans nos colis, on aimerait offrir des produits sains, bio, locaux. Mais ceux-ci coûtent beaucoup plus cher que d'autres, plein de pesticides, que l'on fait venir de l'autre côté de la Méditerranée », regrette-t-il, se désolant de voir la faim s'inviter avec de plus en plus de violence dans les ventres de ceux qu'il croise ici.

Car si l'aide alimentaire est indispensable face à l'urgence, elle ne résout rien. Preuve en est : en France aujourd'hui, au moins 10 millions de personnes dépendant de l'aide alimentaire. « L'aide alimentaire ne devrait pas être structurelle », pense Aïcha Sif, adjointe au maire de Marseille en charge de l'agriculture urbaine, de l'alimentation durable, de la préservation des terres agricoles. « Elle crée un marché où les exclus récupèrent les invendus, pour l'essentiel des produits de mauvaise qualité issus de l'agriculture industrielle ».

Pourtant en France, ce n'est pas la quantité de nourriture produite qui manque. Loin s'en faut. L'agriculture française est productiviste et exportatrice. Il n'empêche - et la récente crise agricole l'a mis en exergue - : de nombreux agriculteurs ne parviennent pas à vivre décemment de leur métier malgré des conditions de travail difficiles.19 % des agriculteurs vivent ainsi sous le seuil de pauvreté contre 14 % pour l'ensemble de la population.

Face à la conjonction de tous ces enjeux, Aïcha Sif voit dans la sécurité sociale alimentaire « la solution pour éviter que la population soit sous perfusion de paniers solidaires et d'invendus. Elle permet aux habitants de subvenir à leurs besoins en produits frais tout en créant un lien entre eux et les agriculteurs à qui elle permet de disposer d'un revenu décent ».

Lire aussiVers une sécurité sociale de l'alimentation ?

Dans le prolongement de la Sécurité sociale issue du CNR

Concrètement, le concept de sécurité sociale alimentaire est, comme le rappelle Eric Gauthier - membre d'un collectif pour une sécurité sociale de l'alimentation à Cadenet (Vaucluse) - tout droit inspiré de la construction de la sécurité sociale au sortir de la Seconde guerre mondiale, sous l'impulsion du Conseil national de la résistance.

« Ce sont les travailleurs qui, en un an, ont mis en place la Sécurité sociale qui représentait environ deux tiers du budget de l'État. Ils n'avaient pas fait d'école de commerce ou de management, mais ils savaient de quoi ils avaient besoin. Ils sont allés dans chaque entreprise, une à une, pour collecter et gérer les cotisations sociales. Ils n'avaient pas internet, pas de TGV. Les finances du pays étaient exsangues. Et pourtant ils ont réussi ».

La Sécurité sociale est alors fondée sur trois principes fondamentaux repris aujourd'hui dans la charte du Collectif (national) pour une sécurité sociale de l'alimentation qui fédère des défenseurs du concept venus de toute la France.

Le premier de ces principes consiste en l'universalité du dispositif. Une universalité essentielle à son acceptabilité et à la transformation effective du système alimentaire, comme le précise Pauline Scherer, sociologue et coordinatrice de l'association Vrac et cocinas qui instaure une sécurité sociale alimentaire à Montpellier : « Il ne faut pas que l'on cible seulement les plus précaires et qu'on leur demande d'enclencher une transition alimentaire que les autres ne font pas. Si on veut transformer notre modèle alimentaire, il faut que tout le monde s'y mettre, y compris ceux qui ont le plus de pouvoir d'achat ». Dès lors, la sécurité sociale de l'alimentation allouerait à chacun, sans condition de revenu ni d'âge, une allocation mensuelle estimée à 150 euros, un chiffre sujet à discussions.

Pour offrir à tous cette allocation, le système repose sur un second pilier que sont les cotisations. « On décide tous ensemble de mettre de l'argent dans un pot commun pour se soutenir les uns les autres », décrit Eric Gauthier. Ces cotisations permettraient d'investir non seulement dans les allocations, mais aussi dans la transformation des pratiques agricoles ou l'installation de petites unités de transformation, notamment dans les zones rurales et villes moyennes, ce qui permettrait de les revitaliser.

Enfin, la sécurité sociale alimentaire défend le principe d'un conventionnement démocratique, ce qui signifie que ce sont les citoyens qui définissent quels produits peuvent être couverts par les allocations.

Principes globaux, déclinaisons locales

Mais si ces grands principes sont un socle commun au dispositif, celui-ci se décline localement selon plusieurs modalités. D'où la présence autour de la table ronde d'Eric Gauthier, de Pauline Scherer mais aussi de Yama Togola et Arlette Fletcher qui avancent dans cette direction du côté de Marseille à travers le Collectif marseillais de l'alimentation et des communs (Comac) qui regroupe depuis plusieurs mois une trentaine de membres et une quinzaine d'organisations diverses.

Si le projet marseillais en est en encore à ses prémisses, celui de Montpellier a déjà bien avancé. Soutenu par les collectivités locales (Ville, Métropole, Département, Région) et par des financements privés, il s'appuie sur un « Comité citoyen alimentation composé de 61 personnes dont la moitié est concernée par la précarité alimentaire », explique Pauline Scherer.

Ce comité s'est chargé de définir le principe de cotisation - libre - ainsi que les produits conventionnés.

400 habitants de la métropole montpelliéraine expérimentent ainsi le dispositif, chaque ménage disposant de 100 euros mensuels - convertis en monnaie locale numérique - à dépenser auprès d'une cinquantaine de points de vente : des points de vente de producteurs pour la plupart, mais aussi des supermarchés coopératifs ou encore plusieurs magasins Biocoop.

Lire aussiQu'est-ce que cette caisse alimentaire commune qui va être expérimentée à Montpellier ?

Envies de démocratie

Que faire de toutes les solutions existantes telles que les Amaps et autres paniers solidaires qui militent déjà pour une alimentation saine et accesible ? « Il faut s'appuyer sur l'existant pour aller plus loin », répond Eric Gauthier, convaincu que la Sécurité sociale alimentaire est ce qui permettra à toutes ces solutions de sortir de leur marge et de surpasser les limites auxquelles elles font face.

À quand une loi pour généraliser l'expérimentation et concrétiser le dispositif à l'échelle nationale ? « Imaginons que l'on vote une loi dans quatre mois, il s'agirait d'une loi faite en urgence. On subventionnerait alors certainement des courges bio venues de Turquie, distribuées en grande distribution par des centrales d'achat traditionnelles. Cela ne participerait pas à transformer notre système alimentaire. Nous avons besoin de temps long pour que les citoyens s'approprient ce projet », explique Eric Gauthier.

Car pour les orateurs de la table ronde, la sécurité sociale alimentaire ne produira les effets escomptés qu'à condition qu'elle soit portée de façon démocratique. Ce qui demande nécessairement du temps. « Il faudra sûrement attendre dix, vingt ans pour obtenir une loi, reconnaît Eric Gauthier. Pour autant, on peut commencer à créer des endroits où l'on fabrique du commun. Construire des actions collectives, c'est déjà agir ».

À Cadenet, il aura ainsi fallu trois ans pour aboutir, dans les prochaines semaines, à un début d'expérimentation de caisse de sécurité sociale alimentaire. Trois années de réunions très régulières, de réflexions. Pour répondre à une aspiration : celle de retrouver une forme de pouvoir d'agir et de se sentir acteur des grandes transformations de la société. À rebours d'un sentiment d'impuissance largement partagé.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.