« L'économie sociale et solidaire manque de lobbying » (Denis Philippe, Cress Sud)

[Mois de l'ESS 5/5] Initiatrice du mois de l'ESS et de l'Observatoire dédié, la Chambre régionale de l'ESS, dont le siège est basé à Marseille, assume depuis longtemps une position assez conquérante pour que l'économie sociale et solidaire s'impose dans le paysage politique et économique. Alors que les enjeux sociaux, écologiques, démocratiques et économiques appellent à une bifurcation de nos sociétés, la chambre veut porter plus haut encore la voix des structures qu'elle représente, en acquérant un statut réellement consulaire qui lui permettrait d'accroître sa capacité financière. Mais aussi en nouant davantage de passerelles avec l'économie classique. Une vision entrepreneuriale qui peut susciter quelques frictions, mais dont le président, Denis Philippe, est certain qu'elle aboutira.
(Crédits : DR)

Mettre l'économie au service de l'utilité sociale et environnementale, au plus près des besoins. Porter un modèle d'économie réellement soutenable. Faire entrer la démocratie en entreprise. Défendre des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité. Valoriser l'engagement citoyen... Face aux urgences sociales et environnementales et aux tensions économiques, une bifurcation de nos modèles de société, et plus spécifiquement de nos économies, semble urgente. Alors que la quête de croissance infinie n'a pas tenu ses promesses et menace même nos conditions de vie sur terre, l'ESS esquisse une autre voie.

Ce message, voilà longtemps que la Cress Sud le porte, avec un certain esprit de conquête. Avec l'envie, non seulement de préserver l'ESS, mais d'en étendre la portée pour qu'elle puisse un jour devenir la norme.

Afin d'y parvenir, la chambre régionale est ainsi à l'origine d'actions visant à mieux faire connaître cette autre vision de l'économie. Le mois de l'ESS : c'est elle. Il y a vingt ans. « Nous l'avons créé en 2003 et il est devenu national dès 2008 », explique le président Denis Philippe.

Dans le même temps, le Cress crée son Observatoire régional de l'ESS qui a vocation à mieux valoriser le poids et les apports pour le territoire, tout en offrant des outils d'aide à la décision pour les entreprises et les pouvoirs publics. Là aussi, l'idée fait des émules. Elle est reprise à l'échelon national.

« En réalité, les Cress sont très pauvres »

La Cress régionale porte en outre une série de dispositifs visant à développer la place de l'ESS dans l'économie : Dispositif local d'accompagnement (DLA), Fonds InvESS't PACA crée en lien avec A Plus Finance, organisations de rencontres BtoB, salon ESS Sud dédié à l'achat responsable...

« Avec tout ce que l'on fait, on pourrait nous croire plus gros que ce que nous sommes. Mais en réalité, les Cress sont très pauvres », regrette Denis Philippe. Le budget de la Cress régionale s'élève ainsi à 1,5 million d'euros (dont 300.000 euros de la Région, 100.000 euros de l'État, des adhésions, des partenariats et de la vente de prestations). Soit dix fois moins que celui de la Chambre des métiers et de l'artisanat régionale. Ce, alors même que « l'ESS représente 10 % du PIB et 13 % de l'emploi dans notre région, avec 70 % de salariés en CDI et un revenu annuel moyen de 33.000 euros ».

Bien que les Cress soient légalement censées jouer un rôle consulaire pour les structures de l'ESS, à l'image des CCI ou des CMAR, elles n'en ont en réalité jamais eu les moyens financiers. « Nous aimerions que ce soient les structures de l'ESS qui nous donnent les moyens de les représenter ». Une façon, aussi, de réduire la dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. « Cela obligerait aussi les entreprises à s'intéresser à la Cress », renforçant l'écho de cette dernière.

Vision entrepreneuriale

Cette consularité, la Cress la porte également à travers l'autre appellation qu'elle s'est choisie : celle de Chambre régionale des Entreprises de l'ESS. Un positionnement qui, pense Denis Philippe, a contribué à convaincre la Région Sud et son président Renaud Muselier de la soutenir, bien que la loi l'y oblige par le jeu des compétences. « Renaud Muselier a compris que nous étions des entreprises, que nous ne voulions pas de traitement différencié, mais seulement que tous les dispositifs à destination des entreprises nous soient ouverts ».

De la même manière que l'obtention d'un statut (réellement) consulaire doit permettre à la Cress de s'émanciper du politique, la Chambre croit aussi en la nécessité pour les structures qu'elle représente de diversifier leurs ressources financières. Ce qui peut se traduire par des liens plus nombreux avec le reste de l'économie. Au risque que les valeurs de l'ESS soient phagocytées par l'univers de l'entreprise à impact qui semble bien plus à l'aise en matière de communication.

« La RSE, les entreprises à mission, à impact... sont venues nous percuter. D'autres acteurs se réinventent, reprenant nos valeurs, alors qu'on n'est pas allé au bout de la reconnaissance de l'ESS. Mais comme ces acteurs sont issus de l'économie dominante, ils peuvent mieux s'organiser, en s'appuyant sur des chambres consulaires dotées de moyens bien plus importants. Si nous obtenions une meilleure reconnaissance, peut-être que davantage d'entreprises seraient attirées par l'ESS ».

Et pour les attirer, pense Denis Philippe, mieux vaut discuter avec elles. Voire reprendre certains de leurs codes sans pour autant perdre l'ADN de l'ESS. « Nous devons défendre nos différences. Les entreprises de l'ESS se créent pour répondre à des besoins. Pas pour profiter d'une manne financière qu'elles auraient identifiée ».

Nouer des alliances

La Cress a ainsi noué un partenariat avec la CMAR Sud. « Nous rencontrons des problématiques similaires. Cela nous a permis de signer une convention autour de trois principes. D'abord, il s'agit de porter des sujets politiques qui nous concernent en proximité. Ensuite, il est question de créer un fonds pour développer les entreprises et entreprises de l'ESS notamment. Enfin, nous avons de part et d'autres des besoins en matière de formation». D'autant que l'artisanat peut très bien croiser l'ESS en fonction du statut des entreprises. Parfois, la constitution d'une Scop s'impose par exemple comme une solution pertinente au moment de la transmission.

Mais cette stratégie entrepreneuriale de la Cress n'est pas du goût de tous. En se faisant appeler Chambre des Entreprises de l'ESS, certaines associations se sont senties heurtées. Quelques-unes ont d'ailleurs choisi de quitter la chambre. « Certaines structures refusent de reprendre les codes de l'économie de marché et ont tendance à se recroqueviller ».

Des désaccords sont également à l'œuvre au sein même du réseau des Cress. Toutes ne sont pas convaincues par l'obtention d'un vrai statut de chambre consulaire, certaines privilégiant une approche plus défensive. « La Cress des Hauts-de-France est dans la même posture que nous. L'Outre-mer est à fond. L'Occitanie y vient », observe Denis Philippe qui souhaiterait que sa Cress devienne pilote sur ce sujet, pour donner à d'autres l'envie de la suivre. « Notre vision entrepreneuriale n'est pas majoritaire pour le moment. Mais je pense qu'elle aboutira ».

Une économie éminemment politique, mais absente des débats

Essentiel selon lui pour opérer ce qu'il qualifie d' « ESSisation de l'économie ». Une transformation éminemment politique de l'économie mais aussi de nos modes de participation citoyenne, alors que, estime-t-il, « l'ESS permet de reparler de république, de valeurs démocratiques, de la place des salariés dans l'entreprise. D'autant plus dans une époque où ces sujets semblent être devenus tabous ».

Pour autant, bien que l'ESS soit portée dans certains territoires par delà les clivages politiques, celle-ci est quasiment inaudible dans les grands débats nationaux. « L'ESS a été portée historiquement par la gauche. Mais aujourd'hui, la gauche ne dit pas grand-chose sur ce sujet. Et la droite ne dit rien du tout. Il faut qu'il se passe quelque chose. Je crois que ce qui manque, c'est que les grands patrons de l'ESS se saisissent du sujet. S'ils s'entendent entre eux, ils peuvent être reçus par un Ministre, voire par le Président de la République comme peut le faire le Medef. Il faut qu'ils veuillent peser dans le débat. Car nous manquons de lobbying ».

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