Quelles politiques publiques pour l'ESS en Provence-Alpes-Côte d'Azur  ?

[Mois de l'ESS 4/5] Si la Région est pleinement compétente en matière d'économie sociale à travers sa politique de développement économique, les villes ont elles aussi un rôle à jouer tant les structures de l'ESS agissent dans la proximité, sur des thématiques qui croisent leurs compétences. Beaucoup soutiennent l'ESS sans la nommer. Tandis que certaines l'ont bien identifiée et mènent des politiques propices à son expansion, à l'image de Grasse et de Marseille.
(Crédits : DR)

Grasse. Ses rues colorées. Ses essences fleuries et ses grands noms de la parfumerie... Mais Grasse a une autre corde - moins notoire - à son arc : une forte présence de l'ESS dans le territoire qui constitue son Pays, soit 23 communes et 100.000 habitants. Et c'est surtout dans le Haut Pays de Grasse que se concentre cette ESS, puisqu'ici, un salarié du privé sur quatre travaille au sein d'une structure relevant de cette forme d'économie définie par la loi Hamon de 2014, contre 10 % pour l'ensemble de la communauté d'agglomération.

Après la seconde guerre mondiale déjà, le terreau y était propice. « Le monde associatif, mutualiste, coopératif, dans l'agriculture notamment, s'est fortement développé ici », relève Jean Florès, conseiller de Jérôme Viaud, le président de l'agglomération et maire de Grasse, sur l'ESS. « Nous avons par exemple à Grasse une clinique spécialisée dans l'addictologie qui est gérée en coopérative. C'est la première et la seule. L'industrie, la parfumerie... ont toujours eu cette approche avec l'installation de crèches associatives par exemple. Il s'agissait d'actions certainement animées par une forme de paternalisme à l'époque, mais qui ont renforcé l'action sociale, le mécénat... »

Mais pour que ce terreau continue d'être fertile, les politiques publiques grassoises ont, depuis les années 2010, décidé de s'y pencher. Et l'actuel président d'agglomération Jérome Viaud s'inscrit dans cette tradition. De sorte qu'en une décennie, dans le Pays de Grasse, le nombre d'entreprises de l'ESS a crû de 27 %. « Au départ, se rappelle Jérôme Viaud, beaucoup disaient que l'ESS était un gadget, que ce n'était pas sérieux. Mais plus le temps passe, plus on voit les limites d'une société où l'on passe son temps à consommer, utiliser, jeter. La société est désormais plus éveillée aux impacts positifs et négatifs de nos activités économiques ».

La transversalité comme gage d'efficacité

Pour mener à bien cette politique en faveur de l'ESS, Jérome Viaud s'est entouré. De Jean Florès, de Valérie Tétu, chargée de mission ESS, ou encore de Jean-François Piovesana, directeur solidarités.

Ensemble, ils tentent de valoriser les structures de l'ESS à travers tous les aspects des politiques menées. Faisant de la transversalité un letimotiv. « Nous portons un projet de territoire et nous avons mis l'ESS en son cœur. Cela nous permet d'obtenir des résultats inversement proportionnels à ce que font d'autres villes dans les Alpes-Maritimes. L'ESS est présente dans la gestion des déchets, dans l'énergie, les comités de quartier, les conseils citoyens, la culture, l'emploi, le Plan alimentaire territorial... »

Ce, en intégrant les acteurs de l'ESS à toutes les consultations sur ces sujets. Et en favorisant ses structures au sein des appels d'offres. « C'est très visible au sein du projet de Campus universitaire de Grasse », veut illustrer Jean-François Piovesana. « Dans ce bâtiment réhabilité, tout le marché de l'entretien a été réservé à une structure de l'ESS qui peut sous-traiter certains aspects, comme le nettoyage en hauteur, à des entreprises classiques. Nous avons inversé le paradigme. Ce projet comporte aussi une restauration collective étudiante que nous avons confiée à une entreprise faisant travailler des personnes handicapées ».

Au sein de la collectivité, Valérie Tétu œuvre également à animer la coopération entre tous. Une coopération qui fait partie de l'ADN de l'ESS. Et qui oblige à faire de la politique différemment. « Tout le monde se parle. Les choses fonctionnent car il existe un collectif. La co-construction rend le politique plus légitime », pense-t-elle. Une coopération entre élus, techniciens, acteurs de l'ESS mais aussi avec l'économie classique. D'autant qu'à Grasse, la frontière entre les deux est poreuse. En témoigne l'engagement du Club des entrepreneurs de Grasse, très en pointe sur les sujets environnementaux notamment, et fondatrice de la Scic Immaterra. « L'ESS rend l'économie plus vertueuse », pense ainsi Jérome Viaud.

À Marseille, l'ESS panse les fractures

Plus à l'ouest, à Marseille, l'ESS est également sur-représentée par rapport à l'échelle nationale. Représentant 19 % de l'emploi privé.

Pour autant, si les structures de l'ESS sont depuis longtemps soutenue par la Ville, l'ESS comme champ de l'économie est demeurée, assure l'adjoint à l'économie Laurent Lhardit, « un impensé ». « Lorsque nous étions en campagne déjà, nous avions posé l'idée de ville friche, car à Marseille, l'ESS est très présente, souvent en réponse à des retards, des problématiques sociales, la réinvention des quartiers... C'est une ville propice à l'ESS et c'est une force ».

Une fois au pouvoir, la nouvelle municipalité confie à France Active, en lien avec la Cress, une étude sur l'économie sociale et solidaire à Marseille. On y apprend que la ville compte 3.000 établissements de l'ESS, 40.000 salariés et que son spectre d'action est très large. Dans l'insertion, la culture, la mise en place de tiers-lieux, le soin... Une fois le diagnostic posé, l'enjeu est de « s'appuyer sur cette filière stratégique», sur sa capacité à créer des emplois non délocalisables tout en répondant à des besoins essentiels, consolidant en même temps la cohésion sociale.

« On est dans de l'économie. Ce sont les entreprises qui créent des emplois, pas nous. Mais l'action publique peut être justifiée pour donner des impulsions en offrant aux structures de l'ESS un environnement favorable ». Environnement qui passe par un travail d'animation susceptible, comme à Grasse, de favoriser des coopérations entre acteurs divers. Par un soutien aux structures qui accompagnement l'ESS : Intermade, Marseille Solutions, France Active, l'Urscoop... tandis que des discussions sont en cours avec la Cress.

« Nous travaillons aussi sur les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables. L'idée est qu'en tant qu'acheteuse, la Ville doit davantage favoriser ces structures, en rééquilibrant un peu les forces car les entreprises de l'ESS n'ont pas les mêmes armes que les autres. Si on ajoute des clauses sociales par exemple, elles ont un avantage que les autres n'ont pas ».

« Avoir des élus identifiés est très important pour les acteurs du territoire »

La Ville de Marseille s'est aussi structurée sur ces sujets, avec un service de l'économie qui a fait une place à l'ESS, recrutant des profils experts comme celui de Laurent Boy, passé par la Cress et Intermade, ainsi qu'un docteur en thèse Cifre.

« Avoir des élus identifiés est très important pour les acteurs du territoire », assure Anne-Laure Federici, Secrétaire générale du Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire (RTES). « Il y a aussi un travail à faire dans la formation et la sensibilisation des agents pour comprendre les spécificités des modèles de l'ESS ». Le partage entre villes peut par ailleurs être enrichissant, d'où le lancement récent d'un Club des collectivités ESS, porté par RTES et la Cress. Club auxquels participent d'ores et déjà Grasse et Marseille. « Les villes ont vraiment un rôle à jouer car l'ESS est une économie de proximité, ancrée aux territoires », pense Anne-Laure Fererici.

Mais si les villes ont un rôle à jouer, elles n'en ont pour l'heure pas l'obligation, la compétence relevant de la Région.

En Provence-Alpes-Côte d'Azur, le sujet a été fortement porté par le vice-président de la Région Philippe Chesneau, dès 2005, sous la mandature de Michel Vauzelle. « Il a porté une politique très dynamique sur la reconnaissance et la mise en place d'un réseau de l'ESS », se rappelle la chercheuse spécialiste du sujet Nadine Richez-Battesti (AMU/CNRS). « Il y a eu une stratégie de co-construction entre tous les acteurs du territoire ». Dix années d'« effervescence », se remémore-t-elle, non sans tensions entre acteurs.

« Puis lors du troisième mandat de Michel Vauzelle, il y a une phénomène de marginalisation. On a préféré consolidé l'existant, dans une posture assez défensive. Ensuite, Christian Estrosi est arrivé et tout a été déconstruit jusqu'à ce que Renaud Muselier, qui a pris sa suite, reconnaisse qu'il fallait revenir à une politique qui intégrerait ce sujet ».

En Région Sud, l'ESS comme levier du plan climat

« Pour la Région Sud, explique la conseillère régionale à l'économie Isabelle Campagnola Savon, l'ESS est au cœur de la politique menée. Elle est intégrée à la commission que je préside et elle est essentielle pour mener à bien notre plan 100 % climat ».

ESS et climat : le parallèle n'est presque jamais fait au niveau de l'État français, mais il l'est de plus en plus au niveau international (OCDE, Nations Unies, Bureau internationale du travail), avec l'idée que l'ESS serait un levier majeur de la transition écologique et de la réalisation des objectifs du développement durable, du fait de leur quête d'utilité sociale qui peut concerner les enjeux environnementaux, mais aussi parce qu'elles incarnent une certaine frugalité, à rebours de la quête de croissance infinie qui contribue à déséquilibrer les équilibres naturels.

Pour soutenir l'ESS, la région noue des relations privilégiées avec ses acteurs. Dans son programme « Mon Projet d'entreprise » qui « accompagne les entrepreneurs dans tous les stades de la vie de leur entreprise », elle a par exemple intégré quatre partenaires de l'ESS (Cress, Intermade, Urscop et France Active) parmi les treize qu'elles compte au total. « Nous travaillons également avec la Cress sur la mise en place de notre feuille de route régionale, avec l'ambition de faire émerger des entreprises championnes de l'ESS qui pourraient contribuer à la résolution des défis de l'urgence climatique ».

A l'occasion des 30 ans de la Fondation Agir contre l'exclusion à Marseille, le président de la Région Sud, Renaud Muselier a d'ailleurs eu quelques mots pour l'ESS, assurant qu'il faut « réintégrer l'ESS dans l'économie. La Chambre de commerce, les unions patronales estiment trop souvent qu'elles n'est pas à la hauteur, alors qu'elle est un outil indispensable de notre économie, représentant 11 % du PIB régional ».

Indispensable en volume, pour l'économie et les emplois qu'elle génère. Mais aussi pour d'autres aspects plus immatériels plus difficiles à mesurer. Notamment une certaine résilience des territoires.

Résilience et cohésion sociale des territoires

Dans le Pays de Grasse, au moment de l'épidémie de covid-19, c'est vers l'ESS que s'est tournée la collectivité. « Nous avons pu nous appuyer sur cinquante acteurs différents pour fabriquer localement des masques en tissus recyclés pour notre territoire. Nous n'avons pas eu besoin de faire atterrir des avions remplis de masques fabriqués en Chine. C'est une traduction concrète de la façon dont l'ESS donne du sens aux choses », raconte Jérome Viaud.

À Marseille, Laurent Lhardit pense que l'ESS est essentielle à la cohésion sociale. Et par ricochet, à l'économie dans son ensemble. « On a bien vu combien les émeutes, les gilets jaunes ont posé problème aux acteurs de l'économie. La prospérité n'existe que dans la paix ». Des bienfaits difficiles à évaluer, alors même que l'évaluation est un enjeu important des politiques publiques.

Une économie très politique, mais qui peut dépasser la frontière entre gauche et droite

Alors, de gauche ou de droite l'ESS ? Si les grandes lois qui l'ont structurée ont été effectivement portées par la gauche, ceux qui la portent au niveau local estiment qu'il faut la sortir de ces carcans. « Je suis profondément de droite », assure Jérome Viaud. « Je pense que le mérite et la récompense de l'effort sont le socle de tout. Mais l'ESS offre aux territoires un supplément qui ne doit pas être capté par un camp politique ».

Il n'empêche, certains projets politiques pourraient mettre un coup d'arrêt à l'essor de l'ESS. C'est ce que craint Nadine Richez-Battesti : « Le risque de basculement de notre région à l'extrême droite est réel. Cela est très inquiétant pour l'ESS car si une politique publique est longue à structurer, elle peut être très rapide à découdre ». Avec toutes les conséquences économiques, sociales et sociétales que cela pourrait générer.

Inquiétude que partage le président de la Cress Provence-Alpes-Côte d'Azur, Denis Philippe. « L'ESS, ce sont les valeurs de la République, c'est-à-dire l'opposé de l'extrême droite ». Pour limiter les dégâts face à un tel scenario, il prône dès aujourd'hui un renforcement de l'ESS. Et plus particulièrement une plus grande indépendance accordée aux Cress, afin que celles-ci puissent en être les gardiennes.

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