Dans le Sud, l'ESS, composante significative du tissu économique et de la cohésion sociale

[Mois de l'ESS 2/5] On estime qu'elle pèse 13 % des emplois privés de Provence-Alpes-Côte d'Azur et 10 % de son PIB. Surtout, l'économie sociale et solidaire permet de répondre à des besoins non satisfaits par le marché, auprès de personnes parfois exclues de ce dernier. Contribuant ainsi à la cohésion sociale des territoires, tant dans les quartiers relevant de la politique de la ville que dans les zones rurales. Un travail mené par des structures de types très divers qui ont en commun d'avoir l'utilité sociale comme boussole. Et d'être particulièrement ancrées à leur territoire.
L'ESS permet de répondre aux besoins au plus près de ceux qui les éprouvent, dans les zones urbaines défavorisées mais aussi dans les zones rurales, comme à Céreste où se prépare un projet de territoire complet, avec en son coeur le logement intergénérationnel.
L'ESS permet de répondre aux besoins au plus près de ceux qui les éprouvent, dans les zones urbaines défavorisées mais aussi dans les zones rurales, comme à Céreste où se prépare un projet de territoire complet, avec en son coeur le logement intergénérationnel. (Crédits : DR)

Transition écologique. Creusement des inégalités. Prise en charge des personnes fragiles... Face à ces défis, le marché semble parfois impuissant à porter des réponses convaincantes faute de pouvoir en tirer une rentabilité suffisante. Pire, il peut parfois causer de graves séquelles, en témoignent les scandales autour de certaines crèches et Ehpad. Et si l'ESS était une réponse, elle qui fait de l'économie un moyen au service des besoins. Et ce, depuis sa genèse.

« Les premières formes d'économie sociale et solidaires émergent au moment de la Révolution industrielle à l'initiative de salariés qui veulent trouver des formes d'organisation plus justes, qui répondent davantage à leur intérêt », explique Nadine Richez-Battesti, enseignante chercheuse spécialiste de cette forme d'économie au sein d'Aix-Marseille Université et du CNRS. Déracinés de leur campagne où s'organisait une forme de solidarité au sein et entre les familles, les ouvriers de l'exode rural inventent d'autres formes d'entraide : coopératives, sociétés de secours mutuel ...

13,1 % de l'emploi privé régional

« Dès le départ, complète Denis Philippe, président de la Chambre régionale des entreprises de l'économie sociale et solidaire, l'ESS propose un autre modèle économique en réaction au modèle dominant ». Elle constitue ainsi une économie de la réparation, un « tiers secteur » - comme on l'appelle alors parfois - qui vise à répondre aux besoins insatisfaits par l'économie de marché. Mais ses contours demeurent assez flous. « Différentes formes d'organisations se légalisent dans plusieurs pays européens. En France, chacune obtient, de façon indépendante, un statut spécifique », note Nadine Richez-Battesti. Puis la loi Hamon de 2014 les réunit autour d'une définition commune qui permet à l'ESS de mieux se structurer. Relèvent dès lors de l'ESS les associations, les fondations, les mutuelles, ainsi que les entreprises parmi lesquelles les sociétés coopératives. Des statuts qui portent une part significative de l'économie, y compris en Provence-Alpes-Côte d'Azur.

De manière générale, l'ESS représente, d'après la Cress, 13,1 % de l'emploi privé régional (contre 11 % en France), avec 173.436 salariés répartis au sein de 11.794 entreprises. Et 11 % du PIB régional. La plus grande partie se trouve au sein d'associations  : 100.000 sont actives au niveau régional, employant 142.000 salariés tout en s'appuyant sur un réseau d'1,7 million de bénévoles. Le territoire régional compte en outre 660 coopératives employeuses (18.000 salariés), 57 mutuelles (8.000 salariés), 32 fondations ainsi que 30 sociétés commerciales relevant de ce champ.

« Le dernier kilomètre de l'intérêt général »

Mais l'ESS ne se répartit pas de façon très homogène sur le territoire. À Marseille, elle pèse ainsi 19 % de l'emploi privé et est très présente dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Nombreuses sont les associations y œuvrant dans le champ du social notamment. L'Après M, ce fast food solidaire qui a pris la place du Mac Donalds qui le précédait en est une illustration. Faisant la preuve que l'ESS peut apporter des réponses sur-mesure aux besoins multiples d'un territoire donné, notamment lorsque le marché ne parvient pas à répondre à ces besoins, laissant des citoyens sur le bas côté. « L'ESS, c'est le dernier kilomètre de l'intérêt général », souligne ainsi Patrick James, vice-président de la Cress.

Et si ce dernier kilomètre est essentiel pour tendre la main aux habitants des quartiers défavorisés des grandes villes, il est tout aussi important dans les zones rurales. D'ailleurs, assure la Cress, « l'ESS dépasse le quart de l'emploi privé dans six intercommunalités au centre de la région », notamment dans les territoires du Lubéron, du Ventoux ou encore de Forcalquier.

Parmi ces structures qui tentent d'apporter des réponses aux besoins des zones rurales : l'association Sorenis qui vient de remporter les prix régional et départemental de l'ESS pour un projet mené à Céreste dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Porter des projets de territoire

« Nous avons créé Sorenis pour proposer aux collectivités et aux bailleurs sociaux de les accompagner pour monter des projets de territoires transversaux qui partent du logement et s'élargissent à l'ensemble du territoire », explique Corinne Ettouati, seule salariée de cette structure censée organiser la rencontre entre des acteurs variés -habitants notamment - tout en permettant, grâce aux dons qu'elle peut percevoir, d'abonder les projets construits de façon collective. Très concrètement, on trouvera dans le projet de Céreste - qui se trouve en phase opérationnelle - différents espaces répondant à de besoins divers d'un bassin de vie composé de 12 communes rurales et 5.700 habitants.

Parmi ces espaces : une résidence intergénérationnelle de 58 logements, des logements en accession sociale pour de jeunes ménages - histoire d'assurer une mixité des publics -, une maison partagée aux usages divers, un potager doté d'un composteur collectif, une salle de conférence dotée d'une cuisine collective où pourront manger ensemble des personnes vivant seules... On y trouvera encore un espace numérique permettant d'organiser des séances de formation aux outils numériques ou même de mettre en place de téléconsultation avec des médecins spécialistes. Un espace de réparation et de bricolage est en outre prévu, et l'association est en discussion avec un partenaire de la prévoyance afin de proposer la réparation du coûteux matériel des personnes en situation de handicap. Les porteurs du projet réfléchissent par ailleurs, avec le Département, à la mise en place d'un cheminement sécurisé reliant la résidence aux commerce de proximité façon de lutter contre l'isolement des personnes qui y vivent, tout en soutenant la vie économique de la commune. « Il s'agit d'une réponse globale qui est reproductible et que nous aimerions faire remonter jusqu'à Paris pour démultiplier le dispositif », espère Corinne Ettouati pour qui la réponse conjointe et coconstruite à un large panel de besoins permet de réaliser des économies et de faire porter moins d'efforts à des acteurs plus nombreux.

Lire aussiL'Après M : symbole du potentiel de transformation de l'économie sociale et solidaire

Inventer de nouvelles façons d'entreprendre au service de l'utilité sociale

Innovante sur le plan social et humain, capable de construire de nouvelles formes de coopération, l'ESS régionale sait aussi inventer de nouveaux modèles économiques, misant de plus en plus souvent sur des structurations hybrides au sein desquelles une association peut servir de vigie à une société commerciale qui lui permet de dégager une partie d'autofinancement.

Certaines structures parviennent ainsi à atteindre une taille significative, à l'image du groupe La Varappe. Née en 1992 à l'initiative de la ville d'Aubagne soucieuse d'offrir un travail à des personnes éloignées de l'emploi, l'association éponyme a donné naissance à une imposante holding composée de plusieurs filiales et sur laquelle elle dispose d'un droit de véto. « Cette holding nous a permis d'ouvrir notre capital à des fonds à impact qui ont accompagné notre croissance », explique son dirigeant Laurent Laïk. « Depuis, nous réalisons une croissance à deux chiffres tous les ans ». Croissance qui permet d'embaucher toujours plus de personnes en insertion, La Varappe portant la conviction que « personne n'est inemployable et que l'entrepreneuriat peut avoir du sens ». Réalisant un chiffre d'affaires annuel de 100 millions d'euros, la Varappe ne dépend ainsi qu'à 10 % de subventions publiques. Surtout, elle offre de l'emploi à 15.000 personnes par mois, soit 3.200 équivalent temps plein. Un tremplin qui permet à 80 % des personnes passées par ses filiales - qui œuvrent dans les domaines de l'environnement, de l'écoconstruction, des ressources humaines et de la santé- de trouver ensuite un emploi. Preuve que « l'ESS est la conjugaison heureuse entre le mérite et la solidarité », comme le pense Patrick James. Une conjugaison essentielle à la bonne santé des territoires, et par là même, à l'économie dans son ensemble.

Si la Varappe joue avec les codes de l'économie de marché pour prospérer et ainsi amplifier son impact, cela n'est néanmoins pas toujours possible. « L'entreprise peut être une réponse. Mais elle n'est pas la seule, et pour certaines activités, il n'existe pas de marché. Dans ce cas, la dépendance aux collectivités locale est inévitable », pense Laurent Laïk qui croit aussi beaucoup à une forme de coopération entre grands groupes parvenant à se financer par le marché et petites structures pour qui cela est impossible, mais dont la mission est toute aussi essentielle. Une telle coopération peut par exemple se concrétiser dans la constitution de consortiums autour d'appels à projets.

Enjeux de démocratie

Nouvelles réponses aux besoins des territoires. Nouveaux modèles économiques. L'ESS pose aussi la question de la démocratie dans la vie quotidienne, au sein même de ses structures. Un enjeu qu'incarnent notamment les Scop et les Scic, que l'on retrouve dans tous les secteurs d'activité : du service à l'industrie en passant par l'agriculture, et dans lesquelles la voix des salariés est prise en compte dans les décisions stratégiques, tandis que la richesse créée est partagée, afin de « récompenser la part travail », comme aime à le dire Franck Maillé, président de l'Union régionale des scop.

Plus largement, pense Nadine Richez-Battesti, l'ESS nous interroge sur « la place des citoyens dans la construction d'initiatives ». Alors que le rôle associé aux entreprises dans la société évolue, l'ESS propose « d'impliquer les citoyens dans les dynamiques sociales et économiques ». Par la construction de projets collectifs, « et pas seulement via les mouvements sociaux ». De quoi contribuer, pense-t-elle, « à re-démocratiser la société ».

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Commentaire 1
à écrit le 21/11/2023 à 21:06
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C'est très bien... Combien cela coute t'il au contribuable ?

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