Marseille : Share-Wood, cet espace d'expérimentation citoyenne qui rassemble autour du travail du bois

REPORTAGE - Il fait partie de ceux que l'on appelle des « tiers-lieux ». Dans cet espace d'expérimentation citoyenne à Marseille se croisent des publics très divers, tous réunis autour d'un matériau commun : le bois. Un matériau fédérateur qui permet d'agir à la fois sur la cohésion sociale, la confiance en soi, le développement de compétences artisanales et sur l'insertion professionnelle.
Pour Sandrine, Share-Wood a été le lieu de nouvelles perspectives. Elle réalise actuellement un stage auprès d'Angelo, jeune menuisier pour qui ce tiers-lieu constitue une rampe de lancement professionnelle
Pour Sandrine, Share-Wood a été le lieu de nouvelles perspectives. Elle réalise actuellement un stage auprès d'Angelo, jeune menuisier pour qui ce tiers-lieu constitue une rampe de lancement professionnelle (Crédits : DR)

Les aspirations des citoyens changent avec les époques. Et les lieux en sont parfois le reflet. Avenue Burel, entre les arrondissements du nord de Marseille et le quartier de la Belle-de-mai, le numéro 47, avec ses larges vitrines et son généreux parking, a longtemps été occupé par des concessions automobiles... Mais depuis trois ans, ces enseignes ont cédé leur place à une autre plus énigmatique : Share-Wood.

Le mot, inscrit en grandes lettres capitales, rappelle évidemment la forêt de Sher-Wood de Robin des bois. Et justement, à l'avant du parking, un petit espace boisé a pris racine. Quelques arbres, des arbustes, des plantes aromatiques qui ne passent pas inaperçus dans cette avenue très minérale. En levant la tête, on découvre que la vitrine, qui hébergeait autrefois des voitures, est remplie d'établis en bois. Ne reste comme vestige de la dernière décennie qu'un cactus parvenu, au fil des années, à se frayer un chemin jusqu'au plafond.

Le bois comme fédérateur

« Tout a commencé en 2016 », explique Romain Abbühl, président et cofondateur de Sharewood. Avec deux amis - Simon, ingénieur qui a travaillé dans la charpenterie, et Vincent, architecte -, ils ont envie de trouver une activité professionnelle qui leur permette de « maîtriser notre vie et suivre nos envies ». Des envies de rendre le monde un peu meilleur. De faire de la politique loin des partis, au sens le plus radical du terme : « avoir une action positive sur la vie de la Cité ». Mixer des publics qui se ne croisent pas dans une ville marquée par des fractures sociales et territoriales très palpables. Favoriser l'insertion professionnelle de ceux qui sont éloignés de l'emploi et souffrent de la pauvreté. Donner des perspectives à la jeunesse. Promouvoir une économie compatible avec les limites de la planète, reposant sur des principes de partage... Et entre tous ces enjeux, ils trouvent un vecteur commun : le bois.

« Le bois est une ressource utilisée par l'ensemble des personnes, quel que soit leur niveau de richesse, leur langue. Il offre des possibilités infinies. C'est un ingrédient à partir duquel on peut imaginer plein de recettes pour favoriser l'échange, l'acquisition et la transmission de savoir-faire, en mixant les publics ». Sans oublier ses caractères sensoriels, auxquels est particulièrement sensible Sandrine, ancienne psychomotricienne devenue une habituée des lieux. « L'odeur du bois, c'est incroyable. Et le toucher aussi. C'est concret. C'est extrêmement reposant et déstressant ».

Au départ, c'est en tant que particulière qu'elle débarque ici, pour se former à la menuiserie.« Pour environ 75 euros, j'avais accès à des machines qui coûtent 20.000 euros. Et puis, ici, on ne vous juge pas. J'ai vu des personnes arriver sans savoir tenir une perceuse et cela ne pose aucun problème ». Une fois les bases de la menuiserie acquise, elle se lance dans la préparation d'un CAP, accompagnée par Share-Wood. « Initialement, je voulais passer ce diplôme pour améliorer mes connaissances et être autonome ». Elle songe maintenant à un projet de reconversion. Et effectue actuellement un stage d'un mois auprès d'un professionnel du lieu, Angelo.

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Ici, on se forme à la menuiserie quel que soit son niveau. @MGP

Particuliers, professionnels, et groupes divers

« Nous accueillons plusieurs publics », synthétise Romain Abbühl. Des particuliers, comme Sandrine. Des groupes : centres sociaux, personnes en situation de handicap, entreprises pour du teambuilding, structures de l'insertion... Mais aussi des professionnels : « beaucoup d'autoentrepreneurs qui se lancent. Ce peut être pour une reconversion ou en sortie de formation ». C'est le cas du tuteur de stage de Sandrine, Angelo, 26 ans, qui, après un parcours sinueux, a choisi Share-Wood comme tremplin. Formé chez les Compagnons du devoir, ce jeune Varois avait envie de se lancer depuis longtemps. « Mais les charges sont extrêmement élevées ».

En tant que résident, il a accès à du matériel professionnel. Surtout, Share-Wood lui permet d'entrer en relation avec d'autres artisans et clients, le tiers-lieu jouant un rôle d'apporteur d'affaires, régulièrement sollicité par des particuliers et professionnels. « Ici, tout va très vite dans le sens où ce que l'on peut avoir en dix ans tout seul, on l'obtient en deux ou trois ans. Par exemple, un collège scénographe m'a impliqué dans le renouvellement de la scénographie du Musée de la Marine à Toulon. J'ai aussi pu travailler pour le Château Lacoste. Si je n'étais pas ici, je n'aurais jamais eu ces connexions ».

Nouvelles façons de travailler et économie de la fonctionnalité

La mise en place de nouvelles façons de travailler, c'est un des piliers de ce tiers-lieu, terme auquel Romain Abbühl préfère la traduction espagnole de « lieu d'expérimentation citoyenne », plus parlante selon lui. « Nous voulons proposer une manière de travailler autonome, mais sans isolement. Il y a une forme d'interdépendance entre tous. Une solidarité qui permet de pouvoir répondre à plusieurs à de gros projets, et de faire face aux grands groupes ». Et peut-être à l'avenir, dans le cadre de commandes publiques. « Nous avons des discussions avec la Ville de Marseille sur ce sujet ».

Cette solidarité va de pair avec une « économie de la fonctionnalité », second pilier du projet. « On interroge la notion de propriété avec la mutualisation des machines et l'accès pour tous à des outils de qualité ».

Services rendus à la collectivité

Pour financer ce projet, Share-Wood s'est appuyé sur des apports de France Active, de la Région et de banques. Avec l'ambition, au départ, d'un lieu qui s'autofinancerait entièrement grâce à ses recettes. Recettes provenant de l'abonnement des résidents et des formations proposées (initiation et préparation au CAP en candidat libre), de même que de la vente d'habitats réversibles de type yourtes fabriqués sur place, de plus en plus plébiscités pour faire face aux défis de non-artificialisation des sols.

Mais si l'autonomie financière était un objectif au début de l'aventure, l'équipe s'est rendue compte des services qu'elle rend à la collectivité. Et de la nécessité de la solliciter.

« Humainement, nous voyons que les personnes qui viennent ici reprennent confiance en elles, en leur capacité d'agir et d'agir ensemble. Économiquement, cela permet l'acquisition de savoir-faire utiles pour relocaliser des activités, dans les métiers du bois, mais aussi de la métallurgie que nous utilisons également.

Et dans ces métiers où les besoins en main d'œuvre sont importants, nous aidons à créer du lien entre offre et demande de travail ». Notamment en parvenant à s'adresser aux femmes. « Beaucoup n'osent pas se lancer car elles ont l'image d'un métier masculin mais ici, elles viennent plus naturellement, testent, et voient que c'est possible. Ensuite, elles arrivent plus facilement à pousser la porte d'un CFA ».

De sorte que Share-Wood, comme c'est le cas pour de nombreux tiers-lieux, vise désormais « 80 % d'autofinancement et 20 % de subventions ». Pour l'heure, des subventions ont été obtenues au travers du label Manufacture de proximité porté par l'État. S'y ajoute « un soutien indirect par l'établissement public foncier avec un loyer modéré », et les collectivités locales, Ville notamment, « ont envie que l'on travaille ensemble. La Ville s'intéresse notamment aux modes de gouvernance des tiers-lieux, à leur résilience, à leur souplesse ». D'autant que « nous répondons à plusieurs aspects de leur feuille de route ».

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Parce qu'elle rend plusieurs services à la collectivité, la structure a fait le choix de compter sur 20% de financements publics dans son budget @MGP

Indispensable ancrage territorial

Après trois années « la tête dans le guidon », l'équipe, qui compte aujourd'hui six personnes et prévoit de recruter deux alternants pour la rentrée, peut enfin s'engager plus sérieusement dans la construction de projets. Comme celui porté par un consortium d'acteurs locaux qu'elle a rejoint : le Lica, tiers-acteur spécialiste de l'intelligence collective et du numérique, les Compagnons du tour de France, la régie de quartier Service 13 ou l'association Appel d'aire qui mène des actions de remobilisation auprès de jeunes déscolarisés ou placés sous main de justice. « Il s'agit d'un projet très large qui vise à s'adapter à chaque personne pour l'amener vers toutes sortes de formations, plus ou moins engageantes ». Le tout, en s'appuyant sur un référentiel de compétences certifiées par des badges numériques, spécialité du LICA, et avec l'appui d'Aix-Marseille Université pour l'évaluation du dispositif.

Avec ce projet, Share-Wood renforce son ancrage sur son territoire. Un sujet majeur pour qu'un tiers-lieu ait un sens, pense Romain Abbühl. « Pour qu'un tel lieu fonctionne, il faut qu'il soit coconstruit avec tous. Qu'il s'adapte aux spécificités des publics ». Mais il faut faire face à un obstacle : la précarité de ces lieux, généralement occupés de façon temporaire. « Il faut que nous trouvions une pérennité ».

Plusieurs pistes sont ainsi à l'étude. Le rachat du terrain en est une. De même qu'un déménagement dans un espace plus vaste. « Ici, on n'arrive plus à accueillir tout le monde. Mais est-ce que l'on veut s'agrandir encore ? ». La question est ouverte.

Share-Wood pourrait aussi se décliner dans d'autres thématiques. « Ce pourrait être dans tous les secteurs en tension. On pense par exemple à un lieu autour de la santé, au sens large ». Un lieu de santé pour tous alors que l'accès aux soins et à la prévention demeure inégal ; et par tous, en ouvrant les portes de ces métiers à des publics toujours plus variés.

« Les tiers-lieux sont là pour répondre à des problématiques locales ». Avec des enjeux forts de démocratie locale. Faisant d'eux des acteurs éminemment politiques, capables, même avec des moyens limités, de « changer les choses de l'intérieur ». Par l'action bien plus que par les discours.

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