Filière bio : dans le Sud aussi, la crise rebat les cartes

Épisode 1 - Pas de produits chimiques. Pas d’OGM. Respect du bien-être animal… Depuis 2015, les promesses de l’agriculture biologique ont nourri une demande en forte hausse, embarquant toute la filière bio dans une croissance à deux chiffres dont l’apogée est atteint au moment de l’épidémie de covid-19. Mais très vite, la filière déchante. L’inflation provoque une crise de la consommation alimentaire qui met au jour les faiblesses de la filière bio. L’obligeant à se réinventer.
(Crédits : DR)

2020 : les Français sont confinés. Sommés de limiter leurs déplacements, ils redécouvrent leurs commerces de proximité et se posent davantage de questions sur le contenu de leur assiette. Dans les magasins bio, la fréquentation est légèrement en baisse mais le panier moyen augmente de 55 % selon le magazine spécialisé Biolinéaires. S'y ajoute la venue d'une nouvelle clientèle, de sorte que le chiffre d'affaires des magasins bio croît de 18 %.

On imagine alors que nos modes de vie ne seront plus jamais les mêmes. On rêve d'un « monde d'après ». Un monde marqué par le retour à la nature. Où la vie serait moins stressante. Et où notre alimentation serait plus saine et plus respectueuse de l'environnement... Voilà qui promet de florissantes perspectives à la filière bio. Las.

Très vite, le rêve s'étiole. A peine l'épidémie absorbée, voilà que l'inflation assombrit les projections. Après des décennies de croissance, la vente de produits bio connaît ses premières déconvenues. Selon la Fédération nationale de l'agriculture biologique, l'achat de produit bio chute ainsi de 6,3 % entre janvier et septembre 2022. Quant au chiffre d'affaire généré par la vente de ces produits, il passe de 132 milliards d'euros en 2022 à 121 milliards en 2022, soit une baisse de 8 %. Ce, alors même que, la filière bio porte des promesses plus que jamais en phase avec les préoccupations environnementales d'un nombre croissant de citoyens.

Un mouvement initié dès les années 1970

Créé en 1985, le label Agriculture biologique garantit une production alimentaire sans produits chimiques de synthèse, sans OGM, soucieuse de la biodiversité et du bien-être animal. Des critères dont le respect est contrôlé annuellement par des organismes agréés, avec notamment des analyses de prélèvements réalisés sur les parcelles. S'agissant des produits transformés, la mention « AB » garantit qu'au moins 95 % des ingrédients sont issus de ce type d'agriculture. Néanmoins, la filière bio n'a pas attendu l'existence d'un tel label pour émerger.

Après la Seconde guerre mondiale, l'industrialisation de l'agriculture et l'usage massif de pesticides et d'engrais de synthèse permettent de remplir les rayons des supermarchés qui font alors figure de temples de l'abondance et de l'immédiateté. Mais certains s'inquiètent.

En 1972, le rapport Meadows alerte sur le risque que court l'humanité à rechercher une croissance infinie dans un monde fini. Certains cependant, ont envie de revenir à une agriculture plus frugale.

En Provence-Alpes-Côte d'Azur, région où le bio occupe à ce jour 35,8 % de la surface agricole utile (contre 10,1 % en France), ce mouvement en faveur d'une agriculture plus respectueuse de la nature et de la santé donne naissance à quelques entreprises désormais incontournables dans la filière bio française. Parmi les plus anciennes, on trouve le logisticien spécialiste du bio Relais vert né en 1986. Un an plus tard, c'est le grossiste Pronatura (désormais intégré au groupe Organic Alliance) qui voit le jour, avec l'ambition de professionnaliser un marché des fruits et légumes bio encore balbutiant.

En Provence-Alpes-Côte d'Azur, une filière dynamique

Aujourd'hui, la filière bio compte en Provence-Alpes-Côte d'Azur 4.915 fermes et 58.414 agriculteurs selon l'Observatoire Régional de l'Agriculture Biologique PACA. S'y ajoutent 2.706 opérateurs de l'aval engagés en bio. « La plupart sont des TPE, et près de trois quarts ont une activité de préparation (transformateurs, boulangers, terminaux de cuisson, restaurateurs ...), soit 1.985 établissements », précise l'Observatoire. Des chiffres qui placent la région à la 5e position par rapport aux autres régions françaises. Et en bout de chaîne : 325 magasins bio, soit 10 % du parc national. Parmi eux, c'est Biocoop occupe la première place avec 68 magasins en 2021. L'enseigne régionale Marcel & fils arrive en seconde position avec 32 boutiques.

Ici comme ailleurs, la filière bio a été portée par une croissance à deux chiffres jusqu'au moment de l'épidémie de covid-19. Une croissance peut-être trop rapide pensent certains. « Au moment du covid-19, les magasins bio ont continué de se projeter à partir des chiffres antérieurs à l'épidémie », constate Céline Poncet, administratrice de Biocoop dans le quart sud-est de la France. « Ils ont été trop dépensiers par rapport à la réalité actuelle. La croissance folle des années précédentes permettait de gommer certaines erreurs de gestion. La décroissance a remis les pendules à l'heure ».

Patron du réseau de magasins Marcel & fils, Emmanuel Dufour prévoit, en réponse à ce surdimensionnement de l'offre, un « phénomène de concentration qui obligera les magasins indépendants à s'accrocher à un réseau ». Son entreprise mise d'ailleurs sur la croissance externe pour prospérer.

Un label concurrencé

D'une soif de bio que ses acteurs ne suffisaient pas à étancher, la filière bio est donc passée en 2021 à une offre qu'elle ne parvient plus toujours à écouler.

« L'inflation que l'on connaît aujourd'hui a provoqué une crise de la consommation alimentaire car face à la hausse des dépenses contraintes, l'alimentation est la variable d'ajustement ». D'après le baromètre 2023 des produits bio de l'Agence bio, 33 % des sondés déclarent ainsi avoir réduit leur consommation alimentaire et 47 % se restreignent de façon importante. Et forcément, de par son prix globalement supérieur, « le bio est la variable d'ajustement de la variable d'ajustement », observe Sandrine Faucou, présidente de la commission bio au sein de la Chambre d'agriculture régionale et administratrice de l'Agence bio.

En plus d'être une variable d'ajustement, le bio se voit voler la vedette par un nombre croissant d'autres labels. « Il y a une forte appétence pour le local qui s'est amplifiée avec le covid-19, comme si le local était un gage de qualité », remarque Céline Poncet. « Mais rien ne le garantit contrairement au bio ».

Mais s'il est un concurrent jugé particulièrement déloyal, c'est bien le label HVE (pour Haute valeur environnementale), attaqué en justice par plusieurs organisations. « Ce label a permis d'améliorer un peu les choses dans les exploitations conventionnelles mais il ne porte pas du tout les mêmes promesses que le bio, c'est incomparable », pointe Sandrine Faucou qui regrette que cette appellation puisse induire en erreur le consommateur.

D'autant que ce dernier se montre de plus en plus dubitatif face au bio. Selon l'Agence bio, 61 % des consommateurs pensent que le bio est avant tout marketing et 19 % privilégient le local non bio. Et d'expliquer : « Si le bio s'est développé à l'origine via des marques spécialisées, l'arrivée sur le marché des grandes marques industrielles agroalimentaires ou de marques distributeurs a certainement contribué à diluer la promesse initiale et à limiter la capacité de réassurance du bio ».

Agriculture en danger ?

En résulte la chute de la demande que l'on connaît. Celle-ci pourrait-elle entraîner dans son sillage l'offre de produits agricoles ?

« Les producteurs, et en particulier ceux de filières particulièrement en crise comme le porc ou le lait, font face à une inadéquation de l'offre et de la demande », analyse Sandrine Faucou. « Les agriculteurs sont des chefs d'entreprise et ont besoin d'avoir des structures qui fonctionnent. Si la crise continue, certains risquent de se retirer de la certification mais nous manquons de chiffres à ce jour. Et parmi ceux qui passent en agriculture conventionnelle, certains ne changent pas forcément leurs pratiques ».

Elle souligne néanmoins un atout de l'agriculture bio accentué sur le territoire régional : le poids important du circuit court pour cette filière, avec davantage de vente en direct (la moitié des fermes bio vendent en direct contre un quart pour les fermes conventionnelles) et des relations de proximité avec bon nombre de transformateurs et de distributeurs.

Chez Biocoop, Céline Poncet assure ainsi que « les paysans auxquels nous sommes associés n'envisagent pas de déconversion malgré les difficultés qu'ils rencontrent car ils sont convaincus et nous nous sommes engagés avec eux sur le long terme ». Même discours du côté de Pronatura. Pour le dirigeant de Relais vert, la crise du bio « remet en question le potentiel de croissance des producteurs. Avec une croissance à deux chiffres par an, on s'habitue à voir grand. Mais dans l'agriculture, une stabilisation est quelque chose d'acceptable, contrairement à l'industrie ».

Une impression que semblent confirmer les chiffres de l'Agence bio qui note plutôt une hausse des surfaces cultivées en bio en France en 2021, avec un taux de sortie de 4,17 % contre 4,02 % en 2020, la moitié de ces sorties étant le fait de départs en retraite.

La redoutée vague de "déconversions" n'est donc, a priori, pas (encore) à l'ordre du jour. Mais pour que les agriculteurs bio continuent de résister à la tempête, il faut qu'ils puissent s'arrimer à une filière suffisamment forte. Une filière qui devra affirmer ses valeurs tout en travaillant sa désirabilité et sa capacité à convaincre de nouveaux consommateurs. Ce, tout en militant pour que les services qu'elle rend à la société - moindre pollution, préservation de la biodiversité, création d'emplois - soient reconnus à leur juste titre. Et davantage soutenus.

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