Au parc naturel du Verdon, le projet Regain promeut une approche écosystémique de l'agriculture (2/2)

Porté par la Chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence et le Parc naturel régional du Verdon, le projet Regain a vocation à restaurer les équilibres naturels du Plateau de Valensole afin de répondre aux enjeux écologiques et de redynamiser l'agriculture locale. Un travail réalisé en plusieurs couches reposant sur un socle commun : la restauration des sols.
(Crédits : Denis VERNET)

A travers le projet Regain, Chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence et Parc naturel du Verdon ont une ambition : celle de restaurer les équilibres écologiques mis à mal par l'intensification de l'agriculture après-guerre.

Mais pour agir, il faut parvenir à convaincre des agriculteurs de questionner leurs pratiques, voire de les modifier. « Nous avons recherché un point de convergence entre toutes les problématiques rencontrées », raconte Sophie Dragon-Darmuzet, en charge du projet au sein du Parc naturel régional du Verdon. « Quelque chose qui permettrait de toucher les agriculteurs. Et la question du sol est ressortie ». Jonction entre nappes phréatiques et cultures, il est le principal outil de travail des agriculteurs, nécessairement impactés par la baisse de sa fertilité.

Une analyse des sols comme point de départ

C'est ainsi que, dans un premier temps, les agriculteurs du Plateau de Valensole sont invités à une journée technique sur la fertilité des sols et l'usage de la matière organique. Les volontaires rejoignent ensuite un réseau dénommé Sol, « socle de la démarche ». On leur propose alors « de réaliser des analyses de leur sol afin de susciter chez eux une prise de conscience ». Les premières analyses concernent 28 agriculteurs. En règle générale, leurs terres ne contiennent que peu de matière organique, peu de biomasse microbienne. Les sols sont érodés et résistent mal aux pluies. Mais ces analyses permettent aussi de croiser les pratiques de chacun avec les résultats obtenus. Et de tirer, déjà, quelques leçons. On apprend ainsi que ceux qui utilisent du compost de paille de lavandin -obtenu au terme de la fabrication d'huiles essentielles - disposent de sols plus riches.

« Il y a avait aussi des agriculteurs qui, ayant constaté l'érosion de leurs sols, avaient décidé de semer de l'herbe entre les rangs de lavandin. Chez eux, les résultats des analysés étaient très intéressants puisqu'ils ont montré des sols plus vivants, plus fertiles, avec moins de problèmes sanitaires comme les invasions de cicadelles », ces petites cigales destructrices de lavandins. « Il semblerait en fait que ce couvert végétal gêne leur circulation ».

Plus de deux tiers des agriculteurs suivis ont fait évoluer leurs pratiques

Deux ans plus tard, en 2019, de nouvelles études sont menées. Et déjà, « deux tiers, voire trois quarts des agriculteurs suivis ont fait évoluer leurs pratiques », observe Sophie Dragon-Darmuzet. Il peut alors s'agir de plantation de couverts végétaux, d'apport de matières organiques... Une prochaine analyse des sols menée courant 2023 en montrera l'impact.

En parallèle, un groupe de sept exploitants (bio et conventionnels) a décidé de s'organiser en Groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE) afin d'aller plus loin dans l'expérimentation de nouvelles pratiques, analysées de façon plus fine et régulière. C'est le PNR du Verdon qui anime ce groupe. « On travaille par exemple sur le choix des espèces composant les couverts végétaux, le moment où il faut les détruire, leur entretien... Et ce, afin d'identifier des pratiques très performantes ».

Plantation de haies, gestion des intrants, irrigation

A partir de ce socle commun qu'est le sol, d'autres problématiques sont abordées, avec chacune un pilote de projet.

Ainsi, le PNR du Verdon travaille également sur le sujet de la biodiversité, organisant la plantation d'une dizaine de kilomètres de haies entre 2016 et aujourd'hui. Des haies qui servent de refuges et de réservoirs de nourriture à de nombreuses espèces animales ; qui ont par ailleurs la vertu de lutter contre l'érosion du sol et de rafraîchir l'air.

Pour apporter tous ces bienfaits, les haies sont à chaque fois composées d'une vingtaine d'essences végétales adaptées aux besoins des exploitants. « Certains nous demandent des arbres qui les protégeront du vent. D'autres ont des ruches et préfèrent des variétés mellifères ».

De son côté, la Chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence est en première ligne sur le sujet de la qualité de l'eau, en partenariat avec la société du Canal de Provence qui l'accompagne aussi sur les enjeux liés à l'irrigation. « Nous avons pour ambition de rendre l'eau à nouveau potable », explique Charles Roman, chargé du projet au nom de la Chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence. Et ce, en réduisant l'utilisation d'intrants chimiques, qu'il s'agisse des pesticides ou des engrais azotés à l'origine de pollutions au nitrate.

Un travail au départ réalisé sur les cultures de blé dur, plus consommatrices d'intrants, puis sur le lavandin. « On mesure la quantité d'azote dans le sol et on propose d'ajuster l'apport de fertilisants en fonction de cela ». La Chambre publie régulièrement des bulletins - cinq par an- afin de partager les connaissances obtenues, notamment sur le lavandin pour lequel le savoir en matière de fertilisation demeure léger. « Nous collaborons avec le Centre Régionalisé Interprofessionnel d'Expérimentation en Plantes à Parfum Aromatiques et Médicinales (CRIEPAM), à Manosque, pour améliorer nos connaissances sur ce sujet ».

Diversification des cultures : vertus autant économiques qu'écologiques

Au total, « environ 50 agriculteurs sont suivis dans le cadre du projet Regain, sur les 250 exploitations que compte le Plateau de Valensole », assure Charles Roman. Et peu à peu, le cercle des partenaires qui les entoure s'élargit.

Après s'être attaqué à la restauration des équilibres écologiques du plateau de Valensole, le projet Regain se dote désormais d'une nouvelle mission : celle d'accompagner les agriculteurs dans la diversification des cultures, en faisant le choix de cultures nécessitant peu d'intrants.

Une réponse à la spécialisation qui rend les exploitants trop dépendants des fluctuations du marché, tout autant qu'au besoin de préserver les sols et les nappes ; à condition d'identifier des cultures adaptées aux contraintes géologiques, climatiques et économiques. Ce qui implique de faire appel à des spécialistes de ces sujets. « Nous avons noué un partenariat avec la coopérative agricole Duransia qui nous permet de bien identifier les débouchés pour chaque type de culture ». A ses côtés, des partenaires techniques tels que le Groupement des producteurs bio des Alpes-de-Haute-Provence ou Arvalis, un institut technique agricole.

Les partenaires n'ont pas encore identifié toutes les cultures qui pourront s'intégrer aux rotations des agriculteurs du plateau de Valensole. Mais Sophie Dragon-Darmuzet peut déjà en citer quelques unes. « Il y aura des légumineuses comme les lentilles, les pois-chiche, des haricots », des produits riches en protéines végétales et dont les plants contribuent à fixer l'azote dans le sol, jouant en quelque sorte le rôle d'engrais verts. « On réfléchit aussi à tester des cultures moins communes, de façon plus prospective comme le mil ou le sorgho », des céréales peu gourmandes en eau que l'on consomme majoritairement en Afrique, mais qui pourraient demain s'intégrer à nos régimes.

La transition écologique fédérera... ou ne se fera pas

Plus de cinq ans après son démarrage, le projet est de plus en plus connu sur le plateau de Valensole. « Il fédère des agriculteurs très différents, en bio et en conventionnel, qui arrivent à dialoguer sans trop de clivages. Le travail collectif aide à aller plus vite ».

Le collectif, voilà selon Sophie Dragon-Darmuzet la clef du succès de tels projets. « C'est important de travailler entre acteurs complémentaires, publics, privés, issus de la recherche... Sans la Chambre d'agriculture par exemple, nous aurions eu du mal à approcher les agriculteurs car le Parc est plutôt associé à des contraintes, des interdictions ». Autre force selon elle : le fait d'avoir choisi le sol comme point de départ. « C'est un bon sujet de ralliement car il permet de répondre à plusieurs problèmes à la fois ».

Elle relève néanmoins quelques limites. « Les pratiques changent doucement. Pour faire basculer tout un territoire, il faut beaucoup de temps ». Frustrant, alors que la préservation du climat et de la biodiversité relèvent de l'urgence. Par ailleurs, si la fertilité des sols a progressé, la qualité de l'eau , elle, ne s'améliore pas. « C'est assez décourageant de savoir que la pollution qui y est présente est due à une molécule interdite depuis vingt ans ». Et de relativiser : « ce que l'on fait évite d'empirer le problème, et permettra qu'il dure moins longtemps ».

Quoiqu'il en soit, le projet fait des émules. « Le Parc naturel des Monts d'Ardèche nous a contactés ». Et Regain a bien l'intention de continuer à semer, en d'autres secteurs du Parc naturel du Verdon, les graines d'une agriculture plus respectueuse des équilibres naturels, nécessairement plus pérenne.

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