Quels prochains défis attendent Carbon, acteur du Pacte solaire ?

Le dépôt du permis de construire pour la gigafactory solaire prévue pour s’implanter à Fos constitue une nouvelle étape dans la concrétisation de ce méga-projet qui a finalement été en avance de phase sur le sujet de la souveraineté photovoltaïque alors même que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire annonçait il y a quelques jours, depuis Manosque, à quelques km de Marseille, une « grande bataille » pour le solaire. Un Pacte qui marque les ambitions nationales et auquel Carbon contribue pleinement avec son objectif de capacité de production de 5GW. Reste cependant encore d’autres étapes à franchir, dont celle d’un investissement nécessaire de 1,6 milliard d’euros qui demeure à compléter.
(Crédits : DR)

En pleine bataille face à la concurrence chinoise, qui déstocke massivement ses panneaux solaires et écrase les prix sur le marché européen, la filière solaire tricolore a vu une éclaircie se dessiner il y a deux semaines, à l'annonce du grand plan solaire présenté par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, à Manosque. Un "plan de bataille" dont l'objectif clair est : installer 100 gigawatts de panneaux solaires à l'échelle de l'Hexagone d'ici 2050, contre 20 Gw aujourd'hui. Avec à la clé une forte accélération des capacités photovoltaïques déployées chaque année, qui devront passer de 3,2 Gw à 6 Gw par année. Et pour cela, il faudra produire, alors que « la quasi-intégralité des panneaux utilisés en France est importée », reconnaissait le ministre.

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C'est là où, après les mesures incitatives dévoilées par le gouvernement, interviendront des acteurs hexagonaux comme Carbon. Dévoilé sous une première forme en 2022, ce projet est conduit par quatre associés, majoritairement originaires d'Auvergne Rhône-Alpes dont Pascal Richard, ancien directeur et cofondateur de SMA France et actuel président du syndicat AURA digital solaire ; Pierre-Emmanuel Martin, président du groupe Terre et Lac et de la startup My Energy Manager ; Laurent Pélissier, pdg du fabricant de fours industriels ECM, et Gaëtan Masson, co-Président de l'European Solar Manufacturing Council - ESMC.

Carbon avait finalement annoncé, courant 2023, la décision d'établir son premier projet de gigafactory sur la zone industrialo-portuaire (zip) de Fos-sur-Mer. Avec toujours l'ambition de rassembler l'ensemble des maillons de la chaîne de production, à savoir « la production à grande échelle des plaquettes de polysilicium (wafers), des cellules et des modules photovoltaïques compétitifs à haut rendement et très bas carbone ».

Des ambitions européennes

Mais il ne s'agit que d'une première étape, comme le glissait encore récemment un membre de la direction de Carbon à la suite de ces annonces. Car le projet compte bien participer à la souveraineté énergétique de la France en lançant non pas un, mais plusieurs projets de gigafactories à l'échelle européenne. « Nous sommes une société ayant vocation à exister en Europe », confirme Nicolas Chandellier, le directeur général depuis janvier, à La Tribune. « Pour l'instant, nous n'avons pas identifié de pays ou de territoires, nous nous focalisons d'abord sur le succès du projet de Fos », poursuit-il.

Ce premier dossier rayonne tout particulièrement à l'aune des annonces pour le solaire qui viennent d'être dévoilées. « Nous sommes l'un des signataires de ce Pacte, et nous nous réjouissons des mesures annoncées et des engagements réciproques pris entre l'Etat, les industriels et l'ensemble de la filière solaire à un moment où il est important de se rassembler et d'avoir des objectifs communs, dans un contexte d'indépendance face à la concurrence chinoise », glisse une source proche de la direction de Carbon.

Et d'ajouter : « Nous comptons beaucoup sur cet engagement à acheter du « made in Europe » et à établir des commandes sur le long terme qui donnent, à des projets comme le nôtre, de la visibilité ».

Car avec son objectif de produire 5 Gw de panneaux solaires sur son futur site de Fos-sur-Mer d'ici 2030, la co-entreprise permettrait déjà d'atteindre en grande partie les objectifs de capacité annuelle installée, fixés par ce nouveau Pacte solaire. Sans compter que le second projet français, HoloSolis, annonce également des capacités de 5 gigawatts (GW) par an à horizon 2027.

Une année cruciale pour Carbon

Cette année devrait d'ailleurs être cruciale pour le projet à plus d'un titre : après avoir bouclé une première phase de concertation préalable entre le 11 septembre au 30 octobre 2023, obligatoire avec CNDP pour tout projet dépasse 600 millions d'euros, le projet Carbon s'ouvre désormais sur une seconde phase de concertation dite « continue » toujours en lien avec la CNDP, qui doit encore se traduire par deux nouvelles réunions publiques prévues au cours des prochains mois, et déboucher sur une première synthèse dès mai 2024.

En parallèle, la direction vient de déposer ce jeudi 18 avril une demande de permis de construire. Suivra, le permis d'autorisation environnementale qui devrait aboutir sur l'ouverture d'une enquête publique prévue à l'été ou, au plus tard, à la rentrée 2024. « C'est un nouveau chapitre, nous prévoyons de débuter le chantier au premier semestre 2025 et que les premiers panneaux sortent de l'usine en fin d'année 2026 pour un lancement en pleine capacité en 2027 », présente Nicolas Chandellier.

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Si à l'occasion du dépôt de la demande du permis de construire les équipes de Carbon se réjouissent « d'un calendrier respecté » et assurent que les délais présentés n'ont pas bougé. Pourtant, il y a bien un report d'un an du calendrier initial, le site même de la concertation du projet indique que la « mise en service est prévue fin 2025 ». En coulisse, ce point n'inquiète cependant pas Carbon comme l'explique notre source« Il s'agit d'un petit glissement qui demeure mesuré et qui prend aussi en compte que nous arrivions tout juste avant le décret d'application de la Loi sur l'industrie verte, qui permet justement de faire coïncider la phase d'instruction et d'enquête publique ».

Concernant le cahier des charges, la première phase de concertation publique aura toutefois permis au projet de prévoir deux principaux « aménagements » à sa feuille de route initiale, afin de tenir compte des remarques et questionnements soulevés : avec notamment, la réduction de l'emprise foncière du site, qui passerait ainsi de 62 à 45 hectares en vue de consommer moins de foncier. « C'est le même projet, mais sur deux étages », précise Nicolas Chandellier. A cela, s'ajoute la préservation d'un sanctuaire pour la biodiversité de quatre hectares qui sera réalisé à l'embouchure du Rhône.

L'enjeu du financement

Restera également un autre gros volet : le bouclage de son dossier de financement. Car en annonçant une enveloppe globale de 1,6 milliard d'euros nécessaire à l'amorçage et au lancement de son projet de gigafactory, Carbon misait sur trois leviers : soit 800 millions d'euros de dette (constituée auprès de pools bancaires adossés à des garanties d'Etat notamment), 400 millions d'euros de financements publics, et 400 millions d'euros provenant de l'equity.

« Les dispositifs comme le crédit d'impôt pour l'industrie verte, des financements européens, régionaux et France 2030 ont déjà été sécurisés, ainsi qu'une levée en equity auprès de nos fondateurs depuis deux ans, qui ont servi à financer les études de projet ainsi que le process de concertation », détaille notre source.

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La co-entreprise espère boucler une première levée de série A de 80 millions d'euros à l'automne, qui sera suivie d'une seconde phase au premier trimestre 2025. Le montant devrait correspondre à la part manquante pour boucler l'enveloppe nécessaire au lancement des travaux. D'ores et déjà, quelques partenaires ont annoncé leur soutien au cours des derniers mois, à l'image de la Région Sud (qui a annoncé apporter une aide 15 millions d'euros au projet) et de l'armateur CMA-CGM (actionnaire de La Tribune) qui injecte, via son Fonds Energies (une somme non-communiquée mais qui atteindrait selon plusieurs sources 10 millions d'euros). D'autres investisseurs privés, comme le fabricant de fours industriels grenoblois ECM technologies (et ex-candidat au rachat de l'isérois Photowatt), ont également confirmé leur participation. « Nicolas Chandellier ne le dira pas, mais nous espérons une participation du Grand port maritime de Marseille-Fos comme il l'a fait pour H2v (projet de production d'hydrogène prévu également pour s'installer sur la zone industrialo-portuaire) », lance René Raimondi, maire DVG de Fos-sur-Mer. De quoi faire sourire le directeur général de Carbon.

Une empreinte qui demeure à Lyon, pour quelle suite ?

Côté ressources humaines, Carbon a choisi de conserver son siège au sein de son berceau lyonnais, mais répartit désormais ses 40 salariés entre la capitale des Gaules et des locaux basés désormais à Marseille.

« Nous sommes en train de finaliser notre Codir avec des personnes d'expérience, capables de gérer des sites industriels employant des milliers de personnes, et nous travaillons également en parallèle avec des cabinets externes sur le développement du projet », glisse une source interne.

Passer d'une petite PME à un grand groupe sera ensuite une nouvelle étape à relever au niveau RH, avec de premiers recrutements qui devraient ensuite intervenir entre 2025 et 2027 pour suivre la livraison du premier site. Avec à la clé, près de 2.000 postes d'opérateurs, 600 postes de techniciens et fonctions supports ainsi que des ingénieurs et cadres.

« Nous avons conservé notre siège social à Lyon et créé une filiale dans le Sud pour exploiter le site de Fos-sur-Mer. Pour l'instant, nous allons demeurer sous cette configuration car Carbon porte d'autres projets en parallèle, qui pourraient encore déterminer quel sera notre barycentre ».

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