Espigas, l'espadrille venue d'Argentine fait le pari du made in France et de l'ancrage local

Une espadrille à la semelle en caoutchouc, qui sert autant « jouer aux boules qu'à monter en bateau ». Il s'agit du produit phare de la marque Espigas créée en 2014 par un couple de Marseillais suite à un périple autour du monde. Une marque qui a fait le choix d'une fabrication française, s'appuyant notamment sur un Esat marseillais où elle compte cinq travailleurs dédiés. Mais sur un marché international de la chaussure très concurrentiel, le plus difficile est de se faire connaître. D'où une stratégie qui mise beaucoup sur l'ancrage au territoire provençal. Et qui privilégie la vente directe.
(Crédits : DR)

Bobs, tongs et shorts sont de retour sur le Vieux Port de Marseille. Aucun doute en ce début d'avril, la saison touristique est enclenchée, pour le grand plaisir des commerçants de cette zone particulièrement bien achalandée. Parmi eux, des glaciers évidemment. Des boutiques de souvenirs qui sentent le savon à plein nez. Mais aussi Espigas, reconnaissable à ses stores rayés de rouge et de blanc. Derrière la vitrine, 30 mètres carrés de chaussures aux couleurs vives. Dont celles qui constituent le produit phare de cette marque marseillaise : les espadrilles.

« Tout est parti d'un voyage avec ma femme, Bérengère, il y a onze ans », raconte Olivier Perret, cofondateur de la marque et de l'entreprise qui la porte, 7sardines. « Elle était responsable des ressources humaines et moi j'étais acheteur chez Autogrill. Nous sommes parents de cinq enfants âgés, alors, entre 2 et 14 ans et nous avions envie de faire un truc en famille tant que c'était possible ». S'ensuit un voyage d'un an en camping-car au travers 17 pays. Parmi eux, l'Argentine où Olivier et Bérengère Perret découvrent « l'espadrille Nouveau monde ».

Version marseillaise de l'espadrille

Une espadrille qui a voyagé et s'est adaptée à son milieu d'accueil. « L'espadrille, telle qu'on la connaît avec sa toile en coton et sa semelle en jute est née au Pays-Basque ». Mais dès le XVIe siècle, de nombreux basques traversent l'Atlantique pour rejoindre l'Amérique du Sud avec l'espoir d'y faire fortune. D'autres vagues suivront au cours des siècles suivants. De sorte qu'une communauté basque se constitue en Argentine comme dans d'autres pays d'Amérique. Dans leur bagage : leurs savoir-faire. Et notamment la fabrication d'espadrilles. « Sauf qu'ils n'avaient pas de jute. Alors ils l'ont remplacée par de l'hévéa ». Et le pays n'étant par ailleurs pas un grand producteur de coton, les basques argentins se débrouillent pour assembler des morceaux de toiles, modifiant quelque peu la forme de la chaussure emblématique.

Le couple est séduit par cette chaussure qui « ne craint pas l'eau. Qui est légère et résistante. À Marseille, nous n'avons pas ce genre de chaussure contrairement au sud-ouest. Une chaussure qui nous correspondrait et nous permettrait d'aller jouer aux boules autant que de monter sur un bateau ».

Alors ils l'inventent. Améliorant la version sud-américaine de l'espadrille. À la place de l'hévéa, du caoutchouc, moins glissant. Et à l'intérieur, une semelle en cuir amortissante. « Nous avons voulu concevoir une chaussure qui soit ultra confortable, respirante, légère et durable ».

Le choix de relocaliser la production en France

Au départ, la jeune entreprise se fournit auprès d'un fabricant argentin. « Mais nous étions confrontés à des problèmes de coûts, de distance... » Elle opte ensuite pour une production en Asie... peu en phase avec les valeurs que veulent porter les deux fondateurs de la marque. « Nous avons donc voulu relocaliser la production en France, mais personne ne voulait produire ces chaussures pour nous ». Qu'à cela ne tienne, les entrepreneurs décident de mettre à profit ce qu'ils ont appris en Argentine et en Asie et de s'en occuper de manière plus directe. C'est alors qu'ils tombent par hasard sur l'Esat du Rouet, dans le 12e arrondissement de Marseille. Et voilà qui tombe bien, car cet établissement, habitué aux tâches de conditionnement et de lavage de linge, souhaite proposer à ses travailleurs qui le souhaitent de développer de nouveaux savoir-faire.

Grâce au soutien de Bpifrance et de la Région Sud, la jeune entreprise parvient à s'équiper. « Nous avons  aussi développé un système pour teindre les chaussures avant de les monter ». Les chaussures sont en fait cousues par un prestataire de Montélimar avant d'être montées et teintes dans l'Esat marseillais.

Esat avec lequel une organisation particulière se met en place dès 2019. « Une équipe de cinq personnes travaille à temps plein pour nous, en autonomie, sans moniteur. J'assure le management, la formation, je contrôle la production réalisée à partir de mes machines. Ces salariés participent à la vie de l'entreprise au même titre que nos trois salariés et alternants », décrit Olivier Perret.

Élargir la gamme pour lisser les ventes sur l'ensemble de l'année

Pour l'heure, l'Esat travaille sur les espadrilles et tennis de la marque. Devraient prochainement s'y ajouter les sneakers dont la production avait été entamée en Asie. « C'est un défi. Il existe de nombreuses marques qui proposent des sneakers mais la production se fait en Asie ou au Portugal. C'est compliqué de produire ce type de chaussures en France, pour des raisons de coûts et de savoir-faire. On espère être prêts début juillet, et ce sera une grande fierté pour nous ».

Les sneakers participent par ailleurs de la stratégie de la marque de lisser ses ventes tout au long de l'année, tandis que l'espadrille est un produit plutôt propice à l'été. Il en est de même pour les pantoufles fourrées de laine La Marseillaise, fabriquées entre Marseille et Montélimar et vendues depuis l'hiver dernier qui permettent de traîner autant dehors que dedans, en témoigne le slogan qui les définit  :« ne craint ni le Mistral, ni la Charentaise ».

Et la gamme s'apprête à s'étoffer encore avec l'arrivée de nouveaux accessoires, dans le cadre d'un projet de upcycling à partir de déchets liés à l'activité marine. Une offre qui doit encore être peaufinée avant son lancement officiel. Une tong pourrait aussi rejoindre les rayons de la boutique d'ici l'été.

Faire savoir... et comprendre

Mais innover ne fait pas tout sur un marché aussi périlleux que celui de la chaussure, plus encore de la chaussure fabriquée en France. « La demande ne faiblit pas. Nous vendons toujours autant de chaussures. Mais il faut s'adapter aux évolutions de modes de consommation. Et le plus dur est de parvenir à faire savoir que nous existons et ce que l'on fait ».

Si elle misait au préalable sur quelques revendeurs et une potentielle seconde boutique à Paris, l'entreprise - qui vend environ 4.000 paires de chaussures par an - a décidé de se recentrer sur la vente directe au travers de sa boutique et de quelques ventes en ligne. Nécessaire pour proposer des produits à un prix suffisamment compétitif. Mais aussi pour tisser des liens étroits avec son écosystème. « Nous ne faisons qu'un seul salon : le salon Côté Sud à Aix-en-Provence. Nous sommes aussi actifs sur les festivals de musique locaux et quelques événements sportifs ». La boutique fait également partie de certaines visites touristiques. « Nous sommes en lien avec l'Office du tourisme, la Semaine des métiers d'art et l'association Marseille autrement », association qui propose de visiter Marseille en dehors des sentiers battus.

Une proximité qui permet de proposer un service après vente efficace incluant les réparations. Mais aussi de mieux faire comprendre le long cheminement aboutissant à la fabrication d'une chaussure, et donc son prix - il faut compter 59 euros pour une paire d'espadrilles Espigas. Un travail de pédagogie réalisé également au moyen d'une opération de vente à prix libres début avril, avec un prix minimum de 15 euros. « C'est une manière de remettre le consommateur au centre de la décision. Et de lui rappeler que tout ne se vaut pas. En faisant fabriquer à Marseille, par des personnes handicapées, il faut compter 5 heures de travail par paire. Ce type d'opération donne l'occasion de le rappeler ».

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