Comment l'atelier d'insertion 13 Atipik veut tisser une filière du réemploi textile à Marseille (et au-delà)

Créé en 2012 à Marseille, l'atelier d'insertion par la couture 13 Atipik a toujours eu à cœur de réduire l'impact environnemental de la filière textile en valorisant des tissus usagés. Un savoir-faire qui est devenu sa spécialité, lui permettant de nouer des partenariats avec de grands acteurs de la mode comme Kaporal ou Jott, et de prendre la tête d'un Pôle territorial de coopération économique autour de la gestion et du traitement des gisements de déchets textiles dans la Métropole d'Aix-Marseille. Un projet local, pour lequel elle s'est entourée de partenaires nationaux.
(Crédits : DR)

Ciseaux qui claquent. Machines à coudre qui vibrent sur les tables. Doigts qui ondulent le long des coutures ... Ce matin, l'atelier d'insertion par la couture 13 Atipik est en ébullition. Entre ses murs blancs, une petite quarantaine de salariés s'affaire à transformer en trousses et pochettes quelques 100.000 anciennes sacoches de la marque marseillaise de doudounes Jott. « On en bave un peu », reconnaît Sahouda Maallem, la patronne et fondatrice de l'atelier.

Transformer de l'ancien en neuf, cela a toujours fait partie de l'activité de 13 Atipik. Par appétence personnelle de sa fondatrice qui, ayant grandi dans une famille modeste de onze enfants, s'est toujours amusée à transformer et améliorer des vêtements. Mais aussi par engagement écologique alors que ces dernières années, malgré un réchauffement climatique et des pollutions de plus en plus visibles, l'essor de la fast fashion a fortement aggravé l'impact environnemental de la filière. Ainsi, selon l'Ademe, 4 millions de tonnes de déchets vestimentaires sont jetés chaque année en Europe. Une benne par seconde dans le monde. Et ceux-ci sont la plupart du temps incinérés, dégageant des émanations souvent toxiques, tout en sollicitant l'exploitation de toujours plus de ressources.

Le upcycling comme marque de fabrique

Une consommation plus sobre, de même que le recours accru à la réparation, sont des réponses à ces aberrations. 13 Atipik croit aussi beaucoup au upcycling depuis sa création. « Au départ, on récupérait des matières que l'on transformait pour faire des défilés ou des exercices. Maintenant, l'éco-conception représente 80 % de notre activité » ; les 20 % restants consistant en de la confection de petites capsules pour de jeunes créateurs locaux ou nationaux.

L'upcycling est notamment au cœur de la marque Capuche créée par Sahouda Maallem. « On ne fait pas vraiment de distribution avec cette marque. Mais cela nous permet d'expérimenter des choses, avec de nouvelles matières : des serviettes, des rideaux ... ». La marque a aussi contribué à asseoir la notoriété de Sahouda Maallem et de ses équipes sur ces sujets. De même que divers partenariats.

Parmi eux, une collaboration régulière avec la marque Kaporal. « Nous avons réalisé des capsules en upcycling pour eux, avec des designers qui nous ont emmenés sur des pièces très techniques. On est allé sur du haut-de-gamme et cela nous a permis de montrer que l'on peut faire de la qualité avec du sur-cyclage ». Ce, malgré un travail beaucoup plus laborieux en upcycling, nécessitant plus de patience, et plus difficile à industrialiser. « Nous sommes désormais capables de mettre en place des process pour bien trier, pour réaliser les différentes opérations de démontage et de montage ... ».

C'est probablement ce qui a attiré l'œil de Jott, pense Sahouda Maallem. Et ces compétences sont, pense-t-elle, une plus-value pour ses 35 salariés en insertion parmi une équipe de 48 personnes au total.

« Certains lancent leur propre atelier où ils peuvent faire de la réparation. Ils peuvent aussi trouver du travail ailleurs. Les entreprises de couture recherchent sans cesse du personnel. Aujourd'hui, un bon couturier ne peut pas être au chômage ». Y compris à Marseille, où l'on compte 5 ateliers d'insertion par la couture, chacun ayant sa spécialité même si de plus en plus d'acteurs s'intéressent au upcycling, plutôt en vogue bien qu'il s'agisse encore d'une niche.

« Il y a encore du travail à faire pour changer les habitudes de consommation et sortir de la fast fashion. Pour y arriver, il y a notamment un travail à faire sur l'accessibilité. Avec le upcycling, on peut rendre accessibles des matières utilisées dans le luxe. On peut transformer de belles pièces de grandes maisons en objets de décoration. Nous avons des projets de ce type ».

Économie de la coopération

Mais pour avoir un impact significatif, il est aussi essentiel de nouer des coopérations. C'est tout l'objet du Pôle territorial de coopération économique (PTCE) porté par 13 Atipik autour de la gestion et du traitement des gisements de déchets textiles.

Définis par la loi de 2014 sur l'économie sociale et solidaire, ces pôles ont vocation à « regrouper sur un même territoire des entreprises de l'Économie sociale et solidaire et de l'économie classique, en lien avec des collectivités territoriales, des centres de recherche, des établissements d'enseignement ou encore des organismes de formation, en vue de mettre en œuvre une stratégie de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d'un développement local durable », ainsi que les définit la Chambre régionale de l'ESS (Cress PACA).

« À travers ce PTCE, nous devons avancer sur la gestion des déchets textiles dans la métropole d'Aix-Marseille, sachant que nous sommes plutôt mauvais élève sur ce sujet ». Aux cotés de la structure, d'autres venant des Bouches-du-Rhône, mais aussi de Seine-Saint-Denis ou du Nord, qui pourront répliquer l'expérience à domicile. « Le défi est tellement immense qu'on ne parviendra pas à le relever si on ne s'associe pas à d'autres ». D'autant qu'à plusieurs, il est plus facile de répondre à de gros marchés, auprès de grands comptes de la filière textile.

« Rien ne se perd, que tout se transforme et tout peut se partager »

Reste la question du foncier et de l'équipement. Un sujet auquel devrait s'attaquer le projet La Manufacture 1359 porté par 13 Atipik et ses partenaires, avec la mise en place d'une première recyclerie industrielle capable de transformer d'importants volumes de déchets textiles, ainsi que d'un tiers-lieu qui permettrait de mutualiser des équipements mis à disposition des adhérents : entreprises locales ou créateurs indépendants. Un tiers-lieu que le PTCE animerait en lien avec le réseau Fashion Green Hub regroupant les acteurs de la mode durable, et qui a désigné Sahouda Maallem comme animatrice régionale.

« Au cœur de notre démarche, il y a l'idée que rien ne se perd, que tout se transforme, et que tout peut se partager ». Car enjeux environnementaux et économiques sont indissociables des enjeux sociaux, en particulier sur un territoire marseillais en proie à une importante pauvreté. « Si on veut réduire cette pauvreté, il faut innover et nous avons de nombreux petits créateurs qui sont prêts à ça, de même qu'une véritable économie de la débrouille ». Une ingéniosité qui peut contribuer à faire des nombreux déchets dont nous ne savons que faire une ressource. Dans le cadre d'une économie à la fois plus juste et plus soutenable.

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