Lors de la dernière Mostra de Venise en septembre, l'expérience interactive et narrative en réalité virtuelle franco-allemande Empereur (35 mn), proposée par France TV StoryLab, a reçu le prix de la réalisation, à l'occasion du Venice Immersive.  Une sélection de ce type, défricheuse de films en réalité virtuelle (VR) ou en réalité étendue (XR), utilisant même la puissance de l'intelligence artificielle, manquait au Festival de Cannes (14-25 mai). Ce sera chose faite pour la prochaine édition. Les organisateurs ont annoncé le 10 avril le lancement d'une compétition dédiée aux œuvres immersives et aux potentialités de l'image. Empereur de Marion Burger et Ilan J. Cohen sera présentée hors compétition.

De la VR à la réalité mixte holographique

Pour cette première édition, huit œuvres qui rompent avec le cadre bidimensionnel de l'écran de cinéma ont été sélectionnées, parmi lesquelles figurent la première européenne de Maya : naissance d'une super héroïne (Royaume-Uni, France, États-Unis) de Poulomi Basu et CJ Clarke, et la première mondiale de Telos I (Canada, Suède, Danemark) de Dorotea Saykaly et Emil Dam Seidel, une expérience de réalité mixte holographique. Six productions hors compétition seront également proposées. Ces projets incluent des « installations de réalité virtuelle collectives, des expériences de réalité mixte, ainsi que des œuvres de vidéo mapping et holographiques » précise le comité de Cannes Immersive. Évaluées par un jury international et récompensées lors d'une cérémonie de clôture spécifique, ces œuvres seront proposées dans un espace de 1.300 m² au Cineum, le multiplexe flambant neuf de La Bocca, et au Campus George Méliès, spécialisé dans les écritures créatives et les métiers de l'image.

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Vegas Sphere, Van Gogh Immersive : la demande est croissante

Cette nouvelle compétition entend privilégier la diversité des points de vue et ne se présente pas comme une extension de l'industrie du cinéma. Au contraire, le format immersif est considéré comme un nouveau genre porté par une nouvelle génération d'artistes internationaux. 
Il s'agit d'abord de mettre en valeur « des œuvres narratives immersives, collectives, interactives, qui utilisent les spécificités propres aux technologies de la réalité virtuelle et augmentée pour développer de nouvelles manières de nous transporter » décrivaient les organisateurs en avril, tout en rappelant que le Festival de Cannes s'était lancé dans la réalité virtuelle en 2017 avec Carne y Arena (Virtually Present, Physically Invisible) d'Alejandro González Iñárritu. Le Marché du film présente pour sa part des œuvres immersives depuis plusieurs années dans des programmes dédiés.
Le secteur prend de l'ampleur grâce à l'émergence d'espaces physiques immersifs et grâce à de nouveaux réseaux de distribution comme la plateforme Unframed Collection. Lancée il y a quelques mois par le producteur français Lucid Realities, elle est dédiée aux acteurs de l'écosystème de la XR et aux lieux de diffusion (musées, galeries, cinémas ...). 
 « La demande est croissante pour des œuvres guidées par les technologies émergentes et collectivement expérimentées par le public en un lieu dédié » juge un observateur citant pour exemple Abba Voyage (deux millions de dollars de recettes par semaine) ou le Vegas Sphere, qui a généré 55,2 millions de dollars de revenus pour les concerts de U2 et grâce à la Formule 1.

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Un écosystème actif et bien soutenu en France

Potentiellement, ces expériences immersives pourraient demain contribuer davantage à l'industrie du film. Organisée en partenariat avec le CNC, la Compétition Immersive du Festival de Cannes vise justement à mettre en lumière ces films pensés pour un écosystème et les inscrire davantage dans une logique de marché voire de rentabilité : rencontre avec des producteurs, des distributeurs, des investisseurs pour in fine les rendre visibles auprès du public. 
Selon des chiffres publiés par Unifrance en novembre 2023, les œuvres immersives françaises ont généré à l'export 1,07 million d'euros pour 175 ventes sur 50 titres en 2022. Le principal acheteur a été le chinois Pico et l'animation, avec le court-métrage interactif en VR Madrid Noir, le genre qui représente plus de la moitié de l'export total. Ce « haut niveau », selon les termes de l'organisme chargé de la promotion du cinéma et de l'audiovisuel français à l'international fait figurer la France parmi les pays très actifs dans ce domaine comme Taiwan, la Chine, les pays scandinaves ou le Royaume-Uni.
Le pays fait même figure de hub créatif en raison de son système de soutien nettement plus sophistiqué. Portées par des entreprises comme Lucid Realities, Atlas V, Little Big Story Lab, les créations immersives y sont très bien accompagnées par les institutions publiques, du local au national, via des fonds dédiés au développement, à la production et à la distribution d'œuvres. Au dernier Festival de Cannes, Dominique Boutonnat, le président du Centre national du cinéma et du film d'animation (CNC) avait promis « la France sera au rendez-vous de la création immersive ». Lors de cette même table ronde intitulée « Un nouveau regard pour nourrir le cinéma », Jean-Michel Jarre avait ajouté : « Nous sommes à un carrefour fondamental qui va générer les styles de demain ». Pionnier des métavers, le compositeur et musicien est aussi président de la commission Création immersive du CNC lancée en septembre 2022.

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Souveraineté numérique et lieu immersif à Cannes

Dotée de 3,6 millions d'euros par an, elle vise à favoriser l'émergence d'œuvres immersives créatives, ambitieuses et tournées vers l'international. En septembre dernier, cette commission a octroyé 861.500 € à 25 projets, en aides à l'écriture, à la préproduction, à la production et à l'organisation d'opérations à caractère collectif. Selon l'artiste, qui définit la réalité virtuelle comme « un croisement entre le cinéma, les arts vivants et le jeu vidéo », « la France et l'Europe doivent trouver leur place dans la souveraineté numérique qui s'annonce ».
L'an dernier, Jean-Michel Jarre jugeait aussi essentiel que les modes d'expression immersifs existent dans les lieux de création. Pas étonnant donc qu'il parraine le nouveau projet de la mairie de Cannes en matière d'image : Cannes Immersive, un programme visant à faire de la ville « un hub mondial dédié aux créations immersives et au nouveau territoire artistique de l'intelligence artificielle ». David Lisnard, le maire (LR) de la ville détaillera, durant le festival, cette démarche qui prévoit de proposer des événements spécifiques, des installations muséales et éducatives en lien avec des salons ou festivals comme le Festival de Cannes, Midem+ ou Canneseries, et de faire naître un « lieu immersif pérenne ». Cet espace, pas encore déterminé, devrait exposer le meilleur de la création immersive et assistée ou générée par l'IA. Le programme détaillé sera connu dans le courant du deuxième semestre 2024 indique la mairie de Cannes.