« Il ne peut pas y avoir de développement de l'ESS sans un vrai ancrage dans les régions »  (Stéphane Junique)

[Élection ESS France 1/3] Le 10 avril prochain, ESS France, l'association qui représente et promeut l'économie sociale et solidaire, aura un nouveau président. Trois candidats sont en lice, que La Tribune interroge sur leur vision et leur projet. Premier échange avec Stéphane Junique, infirmier de formation et bénévole de La Croix Rouge dès l'âge de treize ans, aujourd'hui président du groupe VYV. Un candidat qui souhaite renforcer l'ancrage territorial de cette économie en s'appuyant sur la constitution de nouvelles filières. Et plaide pour cela en faveur d'une nouvelle loi de programmation qui viendrait renforcer la loi Hamon de 2014. Et de défendre également l'idée d'une diplomatie de l'ESS, à l'heure où cette forme d'économie est de plus en plus reconnue par les instances internationales.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Stéphane Junique, vous avez choisi de vous présenter pour devenir le prochain président d'ESS France dont l'élection aura lieu le 10 avril prochain. Pourquoi cette candidature ?

STÉPHANE JUNIQUE - Je pense que nous nous trouvons dans un moment de la vie du pays qui est le moment de l'Économie sociale et solidaire. Face aux nécessaires transformations sociales et écologiques, nous avons besoin que ce mode d'entreprendre porté par l'ESS soit mieux considéré et reconnu. Je considère que les entreprises de l'ESS sont les entreprises de demain. D'une part parce qu'elles permettent de protéger certains secteurs comme la petite enfance et le grand âge de l'hyper-financiarisation. D'autre part parce qu'elles jouent un rôle primordial dans le quotidien des Français, que ce soit dans la culture, la santé, l'agriculture, la solidarité... Enfin, je crois que l'ESS est un modèle qui permettra de créer - au travers des modèles coopératifs, associatifs, mutualistes - de nouvelles filières d'avenir, comme c'est déjà le cas dans la mobilité, le réemploi ou l'alimentation.

Si vous êtes élu président d'ESS France, comment entendez-vous valoriser ce potentiel que vous décrivez ?

Le rôle d'ESS France est de mieux faire connaître ce modèle qui demeure encore peu connu du grand public et de porter les combats qui permettront de le renforcer.

La loi Hamon de 2014 est une bonne loi qui a permis de sécuriser ce modèle. Mais faute de volonté politique, faute d'accompagnement des structures de l'ESS, cette économie n'a pas pu aller au bout du potentiel que lui aurait permis d'atteindre cette loi. Je plaide donc pour une loi de programmation en faveur de l'ESS afin de fonder de vraies politiques de l'ESS dans le pays, notamment au niveau local.

La loi 2014 a par exemple rendu obligatoire l'élaboration de stratégies régionales de l'ESS mais cela n'est pas appliqué dans toutes les régions. La loi de programmation que je défends aurait vocation à renforcer ces politiques locales, à consolider les dispositifs de soutien à l'ESS, notamment par la diffusion et le renforcement des schémas de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables (Spaser). Il faut aussi que l'on noue de vraies relations avec les associations Régions de France et France Urbaine afin que tous les territoires puissent bénéficier du potentiel que leur offriraient les entreprises de l'ESS.

Je souhaiterais aussi que l'on donne un mandat à Bpifrance pour porter le développement de l'ESS. Il faut aussi soutenir la force d'innovation sociale de cette économie avec la mise en place d'un Crédit impôt innovation sociale qui fonctionnerait selon le même principe que le Crédit impôt recherche.

Quelle place voudriez-vous voir accordée aux Chambres régionales de l'ESS (Cress) ?

Pour moi, il ne peut pas y avoir de développement de l'ESS sans un vrai ancrage dans les régions. Par conséquent, je défends deux idées. D'abord, qu'on soutienne d'une manière plus forte les Cress qui jouent un rôle précieux en matière d'accueil, d'orientation et d'information des acteurs souhaitant développer des activités sous les formes statutaires de l'ESS. Je souhaiterais qu'on les arme afin qu'elles puissent accompagner 40.000 nouvelles structures sous quatre ans, ce qui générerait la création de nombreux emplois dans les régions. Mais pour cela, il faut rouvrir le sujet de la consularité des Cress afin qu'elles aient les moyens de leurs mener à bien leurs missions.

Vous évoquiez tout à l'heure la capacité de l'ESS à créer des filières, notamment en réponse aux enjeux sociaux et environnementaux. C'est dans cette logique que s'inscrivent les Plans territoriaux de coopération économique (PTCE) qu'orchestrent les Cress. Que proposez-vous à ce sujet ?

Il est nécessaire d'offrir aux PTCE un accompagnement plus pérenne car leur modèle est encore fragile. Les PTCE sont accompagnés sur une durée de un à deux ans sur de l'innovation sociale. Mais quand on développe une activité, les trois premières années sont difficiles car c'est le moment de la montée en charge. Il faut un peu plus de temps pour trouver un équilibre économique. Je propose donc que l'on développe un peu moins de PTCE dans le pays mais que l'accompagnement dure cinq ans afin qu'ils puissent trouver leur modèle économique.

Depuis la loi Hamon de 2014, on a vu bon nombre d'entreprises se saisir des enjeux sociaux et environnementaux au travers de la RSE. La loi Pacte de 2019 a également introduit le statut de sociétés à mission... Ces modèles sont-ils une menace pour l'ESS ? Risquent-ils de l'invisibiliser ? Quelle posture devrait adopter ESS France face à cette tendance ?

Je défends l'inter-coopération entre toutes les entreprises qui ont envie d'accompagner les transformations écologiques et sociales de notre société. Mais la loi de 2014, dans son article 1er, définit bien ce qui relève de l'ESS, à savoir les associations, les coopératives, les fondations, les mutuelles et les sociétés commerciales relevant de l'ESS. Cette définition englobe suffisamment d'acteurs. L'enjeu est donc plutôt de faire en sorte que les activités qui relèvent aujourd'hui du secteur traditionnel basculent vers ces statuts. Je crois qu'il faut accompagner la conversion d'entreprises classiques vers ces modèles de l'ESS. Et la coopération entre toutes, notamment dans la construction de nouvelles filières, est une bonne chose puisqu'elle offre une meilleure visibilité à ces modes d'entreprendre.

On entend souvent dire que l'ESS est une économie de la coopération. Pourtant, la concurrence est souvent très présente entre structures, renforcée par la montée en puissance des appels à projet au détriment des subventions. Quel regard portez-vous sur cela ?

J'aimerais manifester un cri de colère. Depuis plusieurs années, les associations sont maltraitées alors qu'elles mènent des actions essentielles. Le collectif Morts dans la rue estime que 600 personnes sont mortes dans la rue depuis janvier 2023. Sans les associations et les bénévoles qui font des maraudes, ce bilan serait encore plus tragique. Dans les villes rurales et périurbaines, elles accompagnent les dynamiques culturelles. Dans les quartiers politique de la ville, elles créent de la cohésion sociale et territoriale.

Pourtant, on réduit la liberté associative. On ne les considère pas comme des acteurs économiques. Depuis 2005, la part des subventions dans leur budget a diminué de 40 %. Or en mettant trop en concurrence les associations, on ne renforce pas leur maillage et leurs actions, on les fragilise. Je plaide donc pour deux choses. Il faut d'abord encourager le recours aux subventions plutôt qu'aux marchés publics pour ces acteurs. Il faut aussi que l'autorisation d'excédent raisonnable soit facilitée pour améliorer leur trésorerie. J'ajouterais à cela que, alors qu'a été décidée la disparition progressive des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises d'ici 2027, il serait inacceptable de ne pas ouvrir le débat sur la réforme de la taxe sur les salaires des associations. Car cette taxe est l'impôt le plus contre-productif pour l'emploi. Or on l'oublie parfois, mais les associations créent de l'emploi.

En tant que candidat à la présidence d'ESS France, vous portez aussi une dimension internationale puisque vous défendez l'idée d'une diplomatie de l'ESS. Pourquoi et de quoi s'agit-il ?

Je l'ai dit : je pense que nous sommes dans un moment de l'ESS en France mais c'est aussi le cas à l'international et en Europe. On observe aujourd'hui des prises de position importantes en faveur du développement de l'ESS, que ce soit de la part de l'ONU, du Bureau international du travail, de l'OCDE, mais également de la Commission européenne qui a développé et défini un plan d'action de l'ESS en Europe. Il est donc important que l'on poursuive cette diplomatie d'influence menée par les acteurs de l'ESS en faveur de son développement. Mais également que l'on facilite une diplomatie économique qui consisterait à accompagner des projets de développement d'entreprises de l'ESS souhaitant être dans la coopération avec d'autres acteurs internationaux. Cette diplomatie aiderait par ailleurs à porter l'image de la France au niveau international et européen. En 2025, la France accueillera le forum mondial de l'ESS à Bordeaux, ce serait une belle opportunité pour porter ce chantier de la diplomatie de l'ESS.

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