Crise du bio  : l'urgence d'une réponse politique

Face à la crise, les entreprises de la filière bio s'adaptent. Elles le font pour survivre bien sûr, mais aussi parce qu'elles sont convaincues que l'agriculture bio est un pilier essentiel de la transition écologique. Elles savent aussi que leur seul engagement, même couplé à celui de leurs clients, ne suffira pas. Et en appellent à une politique de soutien beaucoup plus ambitieuse. Indispensable pour insuffler une transformation en profondeur de notre système alimentaire.
(Crédits : DR)

Des magasins qui ferment, entraînant dans leur chute celle de leurs fournisseurs. L'inflation a soufflé un vent de retour en arrière sur une filière bio jusque là prometteuse.

Fondateur de la PME implantée à Marseille, Morice spécialisée dans les desserts végétaux, Jean-Christophe Bernard y voit une injustice. Injustice vis-à-vis de tous ces acteurs qui, face à l'urgence climatique et à l'anéantissement de la biodiversité, « essaient d'aller dans le sens de l'histoire avec une offre bio, végétale et plus engagée ».

Cette injustice, il l'exprime d'abord à travers une simple vidéo diffusée en novembre 2022 sur les réseaux sociaux. S'ensuit une émission en ligne : La Bio à bloc, « avec deux copains ». « C'était un peu la radio libre de la bio », sourit-il. Puis ce sont les dernières annonces du gouvernement à destination de la filière bio qui le conduit à franchir un nouveau cap.

Lors d'un salon de l'agriculture marqué par une forte mobilisation des acteurs du bio venus exprimer leurs inquiétudes, le ministre de l'Agriculture annonce un plan d'urgence à hauteur de 10 millions d'euros afin, écrit le ministère, d'aider « des exploitations en agriculture biologique qui sont en graves difficultés économiques et en risque de déconversion ». Pas de quoi panser les inquiétudes.

« 10 millions, c'est 160 euros par ferme », s'indique Jean-Christophe Bernard. « Le gouvernement confirme qu'il ne s'intéresse pas au bio. Et se cache derrière l'idée que le bio c'est cher ». Et de reprocher le soutien de celui-ci à des labels beaucoup moins exigeants tels que le label HVE (Haute valeur environnementale), créé en 2012 par l'État suite au Grenelle de l'Environnement et remis en cause par plusieurs associations.

« Le bio n'est pas rémunéré à sa juste valeur »

Avec Philippe Delran cofondateur du magazine Biolinéaires et Simon Le Fur, à la tête du grossiste Aventure Bio installé en Occitanie, Jean-Christophe Bernard décide de « passer des actions plus agressives ». C'est ainsi qu'est initiée la pétition Stop Mépris bio. Pétition relayée par des acteurs de toutes la filière : des grossistes comme Relais Vert, des magasins bio ou encore des transformateurs...

Parmi les revendications : un plan de soutien à la hauteur du milliard d'euros accordé à la filière conventionnelle, et proportionnel au poids du bio dans l'agriculture nationale. De même qu'une meilleure considération de l'agriculture bio et de ses vertus.

Des vertus écologiques évidemment, mises en exergue par Pierre Prigent, responsable du programme Agriculture et alimentation chez WWF, à l'occasion d'une conférence sur l'alimentation en milieu scolaire organisée par le grossiste Sysco à Marseille. Pour mettre en place un cadre de référence de l'alimentation durable, la fondation WWF a souhaité analyser les différents labels proposés sur le marché, en prenant en compte non seulement leur empreinte carbone mais aussi leur impact sur la biodiversité et l'usage de pesticides. Résultat : « il n'y a rien de mieux que le bio. C'est ce vers quoi on doit aller. Parmi les AOP, on a des résultats différents car toutes un cahier des charges différents et elles ne se valent pas». Et concernant le label HVE, « on trouve dans nos rapports des produits qui sont très mal notés ».

« Le bio n'est pas rémunéré à sa juste valeur, au regard de tous les services qu'il rend à la société », constate Sandrine Faucou, présidente de la commission bio au sein de la Chambre d'agriculture PACA.

« Sur les terres bio, il n'y pas de pollution de l'eau et donc pas de coûts de retraitement pour la collectivité ». Elle souligne également le potentiel de création d'emplois de l'agriculture bio. L'Agence bio estime ainsi qu'une ferme bio emploie en moyenne 30% de main-d'œuvre en plus qu'une ferme conventionnelle. Et dans un contexte de difficulté à remplacer les départs à la retraite d'agriculteurs, le bio pourrait par ailleurs « être un vecteur d'attractivité », pense-t-elle, « car on observe que 30 à 50 % de porteurs de projet en agriculture ont une démarche bio ». Sandrine Faucou souligne par ailleurs la capacité d'innovation de l'agriculture bio, qui a donné naissance à bon nombre de techniques : paillage, gestion de l'eau, permaculture... Des techniques « qui se développent au bénéfice de l'agriculture dans sa globalité », puique même hors label bio, de plus en plus d'agriculteurs appliquent désormais ces méthodes.

Double peine

Malgré ces atouts, « le bio subit une double peine », regrette Céline Poncet, administratrice de Biocoop dans le sud-est de la France. « L'agriculture bio génère moins de coûts pour la collectivité. Elle ne nécessite pas de dépollution de l'eau, ni de compensation des betteraviers à qui l'on demande d'arrêter les néonicotinoïdes [pesticides tueurs d'abeilles, ndrl], sans parler des maladies qu'elle évite en réduisant l'exposition aux pesticides pour les agriculteurs et les consommateurs. Mais elle dispose de moins d'aides et doit demander au client de payer les surcoûts que génèrent ses pratiques plus vertueuses».

Un discours similaire à celui de la Cour des comptes qui, dans un avis de juin 2022, expliquait que le développement de l'agriculture bio est « le meilleur moyen de réussir la transition agro-environnementale et d'entraîner les exploitations agricoles dites conventionnelles vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement ». Pointant dans le même temps le manque de soutien public à la filière, de même que le non-respect de la loi Egalim qui fixe à 20% la part de produits bio dans les cantines. Un objectif loin d'être respecté puisque dans la pratique, cette part avoisine plutôt les 7%.

Une alimentation en quantité et en qualité suffisante pour tous

C'est sur ce point que porte la troisième revendication de la pétition, qui compte à ce jour 53.000 signataires. « Il faudrait obliger les cantines à respecter les objectifs de la loi Egalim », suggère par exemple Jean-Chistophe Bernard qui souhaite en outre que la responsabilité de la crise du bio ne soit pas portée par les seuls consommateurs.

Pour que ceux-ci se tournent davantage vers les produits bio, il faut leur en donner les moyens. Économiques et informationnels, avec des campagnes de communication comme celles menées régulièrement en matière de santé publique. Car c'est bien là l'enjeu.

De même, soutenir la filière doit aussi l'aider à produire des denrées moins chères.

Car dans un pays où une personne sur dix recourt à l'aide alimentaire pour se nourrir, le défi écologique est intimement lié à un défi social : celui de permettre l'accès de tous à une alimentation suffisante. Aussi bien en quantité qu'en qualité.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.