Sahouda Mallem, l’insertion de fil en aiguille

Passionnée de mode, cette entrepreneuse est également une experte de l’insertion par l’activité économique. Après une expérience de vingt-huit ans à la Mission locale et un premier atelier d’insertion à Avignon, elle en a ouvert un second à Marseille, sous le nom de 13 A’tipik. Son leitmotiv : permettre à chacun de trouver sa place dans la société.
(Crédits : DR)

Il est à peine treize heures. L'étroite rue des Antilles, aux pieds de Notre Dame de la Garde, semble somnoler. Pourtant, derrière la baie vitrée du numéro 10, on s'affaire. Certains ont déjà repris place derrière leur machine à coudre. D'autres finissent leur repas, plaisantant volontiers. Parmi eux, la patronne des lieux, Sahouda Mallem. Elle a créé l'atelier il y a six ans et y embauche une petite vingtaine de salariés éloignés de l'emploi. "Ils sont de toute origine", explique-t-elle, "de Tchétchénie, de Roumanie, des Comores. On a des Argentins, des Marocains, des Français, des Algériens ... Ils sont ici pour six à vingt-quatre mois et ont été prescrits par Pôle Emploi, le Conseil départemental ou la Mission locale. Certains n'ont jamais travaillé en France". Alors elle les aide à trouver leur place dans la société, comme elle l'a fait tout au long de son parcours.

Sa place à elle, elle a dû commencer par la trouver dans une famille de onze enfants. Elle est la septième de la fratrie, "une petite fille discrète et rêveuse" qui a déjà le goût de la mode. "Papa était ouvrier. A la maison il cousait et le week-end, on faisait du crochet, de la broderie. On avait toujours de jolis habits". Sahouda Mallem aime être en action et très vite, elle veut travailler. Si bien qu'après sa première année de lycée, elle quitte l'école. Après une première expérience en vente, elle intègre la Mission locale d'Avignon. Elle y restera vingt-huit ans.

Vingt-huit ans à la mission locale... et sur d'autres chantiers

Vingt-huit ans au cours desquels elle examine sous toutes les coutures les problématiques d'insertion. "J'ai rencontré des psychologues, des travailleurs sociaux, et même des sociologues de renom comme Edgar Morin. C'était une richesse. J'ai été formée par ces gens-là". Ses rencontres lui donnent envie de se replonger dans les études. En parallèle de son travail à la Mission locale, elle obtient un diplôme universitaire en anthropologie, suit une licence puis un master en conduite de projet dans l'Economie sociale et solidaire.

Non contente de remplir son bagage théorique, elle veut mettre en pratique ses connaissances et crée un premier atelier à Avignon : Chez Babel. "Cet atelier mettait en valeur le vêtement oriental. On sait qu'il y a du travail informel dans ce domaine, il y avait donc un vrai enjeu social et économique". Mais ce qui la motive également, c'est la possibilité de changer les regards sur une culture méconnue : « Souvent quand on dit arabe aux gens, ils pensent quartiers... Là on leur faisait découvrir une culture féérique à l'occasion de défilés qui rassemblaient jusqu'à un millier de personnes". Des événements qui attirent les micros et caméras de France et d'Algérie, mais aussi des responsables politiques. « Nous avons reçu un ministre et j'ai été invitée à la Garden party de l'Elysée". La consécration est à son comble en 2008 lorsque le préfet lui propose la distinction de l'Ordre national du Mérite. Deux ans plus tard, elle quittera Avignon, pour tout recommencer, à Marseille.

A Marseille, une nouvelle page à écrire

En 2012, elle a mis fin à son contrat à la Mission locale et à son activité Chez Babel, avec l'envie de la dupliquer dans sa nouvelle ville. "J'ai beaucoup travaillé sur cette notion de duplication. On peut reproduire quelque chose qui a marché ailleurs, mais il faut s'adapter au territoireJe me suis posée de manière intellectuelle et théorique". De cette réflexion naît un nouveau projet : un atelier qui répondrait au marché des créateurs locaux et, elle y est sensible, qui adapterait des vêtements pour des personnes handicapées. "Pour les habiller, il y a trois grandes entreprises en France, mais ce qu'elles font n'est pas beau, c'est très médical. Je voulais que les gens viennent ici avec des vêtements achetés n'importe où, qui leur plaisent et nous, nous les adaptons".

Mais les débuts sont difficiles. "Je ne connaissais personne à Marseille et je devais en permanence prouver que j'étais compétente. Vingt-huit ans d'expérience et ce n'était pas suffisant ? Eh bien non". Pas de quoi la décourager. "Je ne veux rien lâcher. Je n'ai pas le droit de désespérer". Elle tisse un nouveau réseau, rejoint une couveuse d'entreprises et ouvre sa boutique en septembre 2012. "Nous étions douze salariés et nous n'avions pas de travail". En effet, l'adaptation de vêtements pour personnes handicapées peine à trouver des débouchés. En revanche, "très vite, on a eu des commandes d'objets de décoration pour enfants, par des créateurs locaux. Ce qui marche bien également, c'est le upcycling. On décompose des pièces pour en créer de nouvelles. L'an dernier, on a décomposé 5 000 jeans pour créer 800 pièces". Une activité qui a séduit de nombreux clients, parmi lesquels Kaporal.

Faire de super-salariés

Et qui dit clients dit exigence de travail. "Nous devons fournir un service de qualité, avec des délais à respecter si nous voulons fidéliser nos clients et obtenir de nouveaux marchés". De quoi développer les compétences et la polyvalence des employés de l'atelier. "On agit sur tous les points qui feront d'eux de super salariés pour qu'ensuite, ils puissent travailler n'importe où. Cela prend du temps et demande des moyens. Personne d'autre que les chantiers d'insertion ne peut faire cela".

Exigeante, Sahouda Mallem n'en demeure pas moins très proche de chacun de ses salariés : "j'essaie de les alléger de leurs soucis pour qu'ils puissent se concentrer sur leur travail". D'où la nécessité de connaître la situation de chacun d'entre eux, jusqu'à sa place dans la fratrie : "ce sont des billes pour comprendre leur système de fonctionnement. C'est mon côté anthropologue, j'ai une vision à 180°, je prends en compte la dimension sociologique, environnementale, religieuse..."

A cinquante-cinq ans, Sahouda Mallem pense déjà à la relève. "Il me reste dix ans de travail devant moi. L'objectif est que 13 A'tipik soit à l'équilibre. Il faudra consolider, développer puis stabiliser nos activités de façon à avoir des clients fidèles et nous démarquer des autres pour devenir incontournables sur le marché de la confection. La question de la transmission se posera également. Je vais former un noyau qui pourra continuer. Moi je jouerai un rôle de présidente, ici ou dans d'autres associations".

S'éclipser. Laisser sa place. Pour que d'autres trouvent la leur.

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