Les Scop et Scic  : antidotes à la perte de sens au travail  ?

Elles sont 331 en Provence-Alpes-Côte d'Azur, embauchant plus de 2.900 salariés et générant un chiffre d'affaires annuel de de 281 million d'euros. Représentées localement par l'Union régionale des Scop et des Scic, les sociétés coopératives sont présentes dans tous les secteurs et ont pour caractéristique d'appartenir à leurs salariés et, dans le cas des Scic, à l'ensemble de leurs parties prenantes. Une façon de remettre la démocratie au cœur de l'entreprise. Et de redonner du sens au travail.
(Crédits : DR)

« Mon travail a-t-il un sens ? ». Depuis 2020, année du covid-19, la question semble avoir infusé dans les esprits de grand nombre de salariés. En témoignent les nombreux articles sur le sujet. De la Grande Démission aux États-Unis. Aux difficultés de recrutement et de fidélisation des salariés, qui assèchent de nombreux domaines d'activités en France.

Pourtant, cette épidémie de perte de sens ne date pas d'hier, comme le soulignent le statisticien Thomas Coutrot et l'économie Coralie Perez dans un article de 2023 intitulé « Le sens au travail, enjeu majeur de santé publique ». Ils pointent ainsi une perte de sens à l'œuvre depuis les années 1990, poussée par l'émergence d'un management par les chiffres. Un management marqué par de nombreuses réorganisations pour lesquelles les salariés n'ont que peu été consultés, avec notamment la mise en œuvre de process informatisés rigides. Les auteurs de ce texte expliquent notamment que le sentiment de perte de sens au travail allait de paire, entre 2013 et 2016, avec une hausse de 30 % du risque de départ volontaire. Faisant du sens le principal critère de fidélisation, bien plus que le salaire. Mais si le manque de sens est un risque pour l'entreprise, il l'est aussi en matière de santé publique, avec un risque de dépression multiplié par deux. D'où, assurent les auteurs, la nécessité de « redonner du sens au travail », et d'augmenter « le pouvoir d'agir des salariés sur les conditions, l'organisation et la finalité de travail ».

Donner du pouvoir d'agir aux salariés

Donner du pouvoir d'agir aux salariés, voilà justement l'ambition des sociétés coopératives de type Scop (Société coopérative de production) et Scic (Société coopérative d'intérêt collectif).

Si la genèse des premières remonte au XIXè siècle - on parlait alors plutôt d'associations ouvrières - les secondes naissent en 2000 et impliquent dans leur gouvernance plusieurs collèges représentatifs de leurs parties prenantes (collectivités locales, bénéficiaires, fournisseurs ...).

Dans ces structures, les salariés disposent d'une voix qui leur permet de prendre part aux décisions stratégiques concernant l'entreprise. Ils bénéficient en outre du partage de la valeur créée. « Les Scops et les Scic récompensent la part travail », explique Franck Maillé, président de l'Union régionale des Scop et des Scic en Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse. Les salariés reçoivent en moyenne 50 % des bénéfices (25 % au minimum), tandis que généralement, 50 % sont réinvestis dans l'entreprise. « Il est aussi possible de verser des dividendes à hauteur de 35 % du bénéfice maximum », précise Franck Maillé.

« Ces formes d'entreprises donnent du sens au travail car les salariés sont intéressés dans la réussite de leur entreprise. Ils récolteront les fruits de leur travail ». Ce, tout en bénéficiant du statut protecteur de salarié. « Les arguments que peuvent mettre en avant les Scop et Scic sont importants au moment des recrutements ».

3.000 salariés en Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse

En Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse, l'URSCOP recense 277 Scop et 54 Scic, ce qui positionne la région à la 7è place nationale. Ces Scop et Scic emploient 2.973 salariés dont 71,2 % sont associés de leur entreprise ; il faut en général compter un à deux ans avant qu'un salarié puisse acquérir le statut d'associé au sein de sa structure. Les Scop et Scic ont généré en 2022 un chiffre d'affaires annuel de 281 millions d'euros.

Les Scops, historiquement très présentes dans l'industrie et le bâtiment, se sont aujourd'hui fortement développées dans le monde des services, de sorte qu'un tiers des sociétés coopératives de la région se positionne sur ce secteur. 13,9 % opèrent dans la construction, 12,7 % dans le commerce, et 11,8 % dans l'industrie.

Si les Scop sont incarnées à l'échelle du pays par de grandes structures comme Ethiquable ou Enercoop, on trouve en région plusieurs figures comme ScopTi (ex Fralib), née d'une lutte sociale contre le groupe Unilever qui avait annoncé la délocalisation de l'usine provençale en Pologne ; Atem, une Scop industrielle d'environ 80 salariés, ou encore Tossolia, spécialisée dans la fabrication d'aliments végétaux. Pas d'immenses groupes en région, « mais de belles PME », observe Franck Maillé.

Créations ex-nihilo, reprises, transmissions

Parmi elles, quelques Scops nées de reprises d'entreprises par des salariés, comme Scop-Ti. Mais aussi « beaucoup de créations ex-nihilo ». « Les créateurs de Scop et de Scic sont souvent jeunes, entre 30 et 40 ans, ils sont diplômés et ont un peu d'expérience mais ont été déçus par les modèles d'entreprises classiques. Ils ont envie de trouver un sens humain, social, sociétal à leur travail. Mais aussi un sens économique à travers le partage de la valeur ».

Les sociétés coopératives naissent aussi parfois au moment - sensible - de la transmission. « On voit de plus en plus de patrons d'entreprises, souvent familiales, qui se rendent compte qu'ils ont en face d'eux, dans leurs équipes, un vrai savoir-faire et, potentiellement, des repreneurs ». Un sujet sur lequel travaille beaucoup l'Urscop qui se propose d'accompagner ce type de démarches avec l'accès, si besoin, à de la formation et à des financements.

Autre sujet important pour l'Urscop, et qui suit la demande de sens des salariés dans leur travail : la sensibilisation des sociétés coopératives aux enjeux de la transition écologique. D'autant que, pense Franck Maillé, ces structures peuvent favoriser l'engagement des salariés sur ces sujets.

Transition écologique

Lui-même dirigeant de la Scop Trans-Massilia qui opère dans le milieu du déménagement, il raconte avoir engagé une démarche RSE qui a conduit son entreprise à étoffer significativement sa gamme d'activités. « Nous proposons désormais de la collecte de déchets que l'on utilise pour amender les sols et nous créons des jardins d'entreprises ». Des activités favorables à la biodiversité, qu'il aurait été difficile de mettre en place sans le statut de Scop, pense Franck Maillé. « Si nous n'étions pas une Scop, mes salariés ne m'auraient pas forcément suivis. Ils m'auraient dit que ce n'est pas dans leur feuille de mission. Dans une Scop, tout le monde s'implique. Et ensemble, on peut aller plus loin ».

Une affirmation à rebours de certains préjugés selon lesquels les Scops seraient plus lentes, moins agiles, moins aptes à croître, inhibées par un besoin de consensus permanent. Une idée fausse, car si les sociétaires ont en effet leur mot à dire sur les grandes orientations de l'entreprise, la gestion du quotidien revient à une équipe de direction, comme partout ailleurs.

Citoyenneté économique

Articulant, dans une logique démocratique, enjeux économiques, sociaux et environnementaux, les sociétés coopératives seraient donc à même de favoriser l'engagement des salariés dans leur entreprise. Et au delà ? Ont-elles le pouvoir de renforcer l'engagement citoyen dans une démocratie en souffrance, comme en témoignent les hauts niveaux d'abstention aux différentes élections ?

Difficile à dire. Mais Franck Maillé n'hésite pas à employer le terme de « citoyenneté économique ». Une citoyenneté du quotidien qui permet à « certaines personnes initialement très discrètes, de se révéler lorsqu'on leur demande de se prononcer sur des décisions importantes pour l'entreprise, comme le passage à la semaine de quatre jours par exemple. Les Scop et les Scic permettent aux personnes d'avoir une prise sur le monde qui les entoure ».

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