A Marseille, Toulon et Nice, les supermarchés coopératifs réinventent la manière de consommer

Né aux États-Unis, le modèle de supermarché coopératif a fait des émules partout dans le monde, y compris en Provence-Alpes-Côte d'Azur. A Nice, Toulon et Marseille, des supermarchés dont le développement est plus ou moins avancé proposent à leurs membres des produits de qualité, souvent bio et locaux, voulus plus accessibles. Une ambition qui exige une certaine agilité entre gestion des nombreux bénévoles, volonté d'échapper à l'entre-soi, et quête d'un équilibre économique pérenne.
(Crédits : DR)

Des cagettes de fruits et légumes généreusement remplies. Différents types de fromage qui attendent sagement derrière leur vitre réfrigérée. Des yaourts. De la viande. Des produits d'épicerie et d'hygiène. Deux caisses... A première vue, Super Cafoutch ressemble à n'importe quel autre supermarché. A quelques exceptions près.

En tendant l'oreille, on constate qu'ici, le tutoiement est de rigueur. « Les oranges, tu penses que c'est à jus ? », demande Jeanne qui assure ce matin la pesée des produits. « Et les patates, c'est des Charlottes ? ». « Attends, je vérifie ! » lui propose son client, un salarié d'Airbus habitué du lieu.

Comme la plupart de ceux qui officient ici, Jeanne n'est pas une experte des métiers de la distribution. Hors de ces murs, elle est directrice d'école. Elle fait partie des plus de 1.500 coopérateurs qui se relaient pour faire vivre ce lieu, apprenant à leur rythme. Alors forcément, ça tâtonne un peu. Mais qu'importe, pense Jeanne : « Super Cafoutch, c'est le contraire de la caisse automatique ».

Un modèle américain

Ouvert en septembre 2022, Super Cafoutch fait partie de la grande famille des supermarchés coopératifs. Un concept né en 1973 aux États-Unis.

Écœurés par les dérives d'une grande distribution devenue tentaculaire, une bande d'Américains décide alors de mettre sur pied leur propre concept de supermarché.

C'est ainsi que naît à Brooklyn le Park Slope Food Coop, premier supermarché coopératif. Un supermarché qui appartient à ses coopérateurs et fonctionne de façon démocratique : un adhérent, une voix.

Les membres, en plus de contribuer au capital, offrent trois heures de leur temps mensuel pour gérer le magasin : tenue de la caisse, rayonnage... En échange, ils ont accès à des produits -bio et locaux pour l'essentiel- à un coût environ 40 % inférieur à ce que propose la grande distribution classique dans le cas américain. Des économies permises par le bénévolat des membres, l'achat groupé, ainsi que par une marge limitée à environ 20 %.

Et ça marche ! Le Park Slope Food Coop, qui s'étale sur une surface de 2.000 m², recense plus de 17.000 coopérateurs et 70 salariés, générant un chiffre d'affaires de 40 millions de dollars en 2019. Alors forcément, cela en a inspiré d'autres. En France mais aussi en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Presque toujours selon une même recette : organisation d'un groupement d'achat, mise en place d'une épicerie-test puis enfin, ouverture d'un supermarché.

A Toulon et Marseille, la barre des 1.000 coopérateurs a été franchie

Dans la région, le premier à franchir cette dernière étape se trouve à Toulon. La Coop sur mer naît en 2017 de l'initiative de « citoyens qui avaient envie de reprendre le pouvoir sur leur alimentation », raconte Isabelle Faure, directrice de la structure qui compte trois salariés.

C'est en décembre 2020 que La Coop sur mer franchit le stade du supermarché. « Et juste ensuite, on s'est retrouvés en couvre-feu ». Coup de frein forcé. De sorte que le magasin n'a réalisé qu'en 2022 la croissance attendue pour 2021 - soit une hausse de 45 % de son chiffre d'affaire - fragilisant sa trésorerie. « Heureusement, nous avons bénéficié de reports de prêts de la part de nos financeurs [France Active et Crédit mutuel, ndlr], cela nous a soulagés ».

Doté d'une surface de 600 m² de plain pied dont la moitié dédié à la vente, la Coop sur mer propose 3.500 références de produits variés, tous vendus avec une marge de 25 %. Elle compte 1.390 coopérateurs, dont 55 % sont actifs et font régulièrement leurs courses ici, pour un montant mensuel moyen de 190 euros. « Pour trouver notre équilibre, il faudrait que l'on arrive à 2.000 coopérateurs actifs. On espère y arriver d'ici 2024 ».

A Marseille, l'ouverture étant beaucoup plus récente, la trésorerie se porte mieux comme l'explique Hugues, l'un des quatre salariés de Super Cafoutch. « Il faut en profiter pour attirer les gens en rendant le magasin le plus joli possible et en augmentant le nombre de nos références. Nous en avons 3200 et il faudrait arriver à 5.000 ».

Ici, parmi les 1.500 coopérateurs, « 60 % sont actifs, avec une dépense mensuelle de 150 euros », indique Eva Chevallier, présidente. Des résultats qui permettront d'atteindre un équilibre économique dès lors que le supermarché pourra revendiquer 2.500 adhérents. Et avec un rythme de 40 entrées par mois, l'objectif semble réalisable à moyen terme.

A Nice, une épicerie qui s'interroge sur l'opportunité de changer d'échelle

Plus à l'est de la région, un autre projet de supermarché a vu le jour à peu près en même temps que les deux autres : Nice Coop, à Nice.

Tout commence en 2017 au terme d'une projection de « Food Coop », un documentaire qui retrace l'aventure de Park Slope aux États-Unis. « A la sortie du film, un groupe s'est constitué avec l'envie de faire la même chose à Nice », se rappelle Emmanuelle Voegtlin, l'une des six coprésidente de Nice Coop. Un groupement d'achat se forme, s'appuyant sur les locaux prêtés par une jardinerie. Puis en août 2019, le groupement se mue en une épicerie et investit un ancien Proxi de 80m² rue Vernier. Mais là aussi, le covid-19 ralentit l'avancée du projet.

« Au moment où nous nous sommes installés dans l'épicerie, nous sommes montés à 150 voire 200 adhérents. Mais nous sommes depuis retombés à 70. Nous avons moins bien avancé qu'à Marseille et Toulon ». Et de pointer plusieurs facteurs à l'origine de ce retard : l'épidémie bien sûr. Une plus grande difficulté à trouver des membres prêts à s'engager bien au-delà des trois heures mensuelles de bénévolat. L'absence de salariés, Nice Coop préférant ne pas solliciter de subventions publiques pour garder son indépendance.

Par ailleurs, à la question de savoir si un passage à l'échelle de supermarché serait pertinente, la réponse n'est pas totalement tranchée. « Ici, tout le monde se connaît. On pourrait faire plus grand mais étant donné le prix du foncier à Nice, ce serait risqué ». D'autant que l'épicerie, grâce à la fidélité de ses adhérents, est parvenue à trouver un certain équilibre économique. Équilibre qu'elle veut maintenir en relançant le recrutement d'adhérents. « L'an dernier, on ne communiquait plus vraiment. Cette année, nous prévoyons deux journées portes ouvertes dont une le 24 juin puis une seconde en septembre ».

L'enjeu de la mixité sociale

Entre les rayons de ce ces épiceries et supermarchés coopératifs, des consommateurs lassés de la grande distribution. « Le monde, les rayons qui débordent, 36 références par produit ... Je n'arrive plus à aller dans les supermarchés classiques », explique Margaux, interne en médecine et coopératrice de Super Cafoutch. Sensibles à l'impact de leur alimentation sur leur santé et sur l'environnement, les coopérateurs marseillais et toulonnais ne sont pourtant pas toujours parvenus à pousser la porte des magasins bio jugés trop chers. Ici, ils trouvent une offre globalement plus accessible par rapport à ce type d'enseignes.

Mais le prix n'est pas le seul argument de ces magasins. « Les gens viennent pour le lien social et intergénérationnel qu'ils trouvent ici », remarque Isabelle Faure. Et si la mixité des âges semble acquise, celle des milieux sociaux est un enjeu majeur. Hors de question de s'enfermer dans l'entre-soi. L'ambition est d'offrir au plus grand nombre une alimentation de qualité.

Pour y parvenir, les supermarchés de Marseille et Toulon acceptent notamment un certain niveau de segmentation de leur gamme. « Sur un melon par exemple, si les coopérateurs en font la demande, on va proposer un melon bio et local, un melon bio d'Italie un peu moins cher et un melon conventionnel », illustre Hugues. Une façon d'ouvrir la porte à tous, et pourquoi pas de les accompagner, par le dialogue, vers une évolution de leurs habitudes de consommation.

Et pour aller plus loin dans cette démarche d'inclusion, La Coop sur mer propose en parallèle des ateliers de cuisine pour des personnes en difficultés sociales.

Tout un monde à coordonner

Autre défi important pour les supermarchés coopératifs : parvenir à coordonner leur large réseau de bénévoles aux profils très différents, souvent peu coutumiers des métiers qu'ils expérimentent ici. « Il faut réussir à les rendre plus autonomes », pointe Isabelle Faure.

Et au-delà de ce cercle de coopérateurs, il est essentiel, assure Gwenaël, bénévole qui consacre une bonne vingtaine d'heures par semaine à la comptabilité de Super Cafoutch, « d'avoir une équipe de salariés qui soit solide et qui permette d'assurer un bon encadrement des bénévoles. C'est un facteur clé du succès, au même titre que le fait d'avoir un dimensionnement cohérent, avec un nombre de références qui soit en accord avec la surface disponible». Le nombre de références étant un facteur de fidélisation des coopérateurs.

Et si la conduite d'un projet avec autant d'acteurs, notamment des bénévoles, n'est pas toujours aisée, elle est de l'avis d'Emmanuelle Voegtlin un très bon exercice. « On apprend à s'organiser pour faire des choses ensemble. A s'autogérer ». Compétences qui pourront être exploitées au profit d'autres projets pour le territoire.

Le territoire est justement au cœur de préoccupations de ces magasins qui privilégient autant que faire se peut les circuits courts. Si possible en direct, bien que le recours aux grossistes soit récurrent par souci d'organisation.

« Les supermarchés coopératifs s'inscrivent dans des réseaux où l'on s'entraide les uns les autres », observe Gwenaël. « Quand un producteur se lance et a du mal à trouver des canaux de distribution, nous répondons présents. On soutient nos fournisseurs, on les paie en temps et en heure ». De sorte que les liens se renforcent. «Cela contribue à rendre l'économie locale plus résiliente».

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