Face à la crise, les entreprises de la filière bio dans le Sud s’adaptent

Épisode 2 – Développement et renforcement de filières. Mise en avant des produits bruts. Innovation produit. Communication plus offensive… Quelques entreprises de la filière bio implantées dans le Sud expliquent comment elles tentent de faire face à la crise.
(Crédits : DR)

Le mistral a beau s'acharner, sa guirlande de fanions multicolores est encore intacte. Façade bleu saphir impeccable, le tout dernier Biocoop marseillais vient d'ouvrir ses portes en haut de la Rue de la République, à quelques enjambées de la place de la Joliette, à Marseille.

A l'intérieur, du bleu et du jaune. Des plafonds hauts dont les matériaux sont apparents. Du street art. Et une crédence aux influences méditerranéennes fabriquée dans le quartier de Noailles. « Je voulais un magasin qui corresponde bien à Marseille et au quartier », sourit Matthieu Guignard. Après cinq années chez Biocoop à accompagner l'ouverture de magasins, il vient d'inaugurer le sien.

Le bio a beau être en crise, cela ne l'a pas freiné. « Il m'en faut plus. Je ne fais pas ça pour l'argent. Tant que je peux en vivre et payer mes salariés, ça me va ». Mais il sait qu'il faudra faire preuve de prudence. 163.000 euros de travaux seulement pour un local de 400 m² au total. Quant aux investissements non indispensables au démarrage, ils attendront un peu. D'ici là, pense Matthieu Guignard, « il faut être proche des clients. C'est comme ça qu'on s'en sortira ». Des clients potentiels dont le profil est ici très varié, le quartier de la Joliette se trouvant à la confluence de quartiers populaires et de quartiers d'affaires. Proche du centre-ville autant que du port. « Depuis l'ouverture [début avril NDLR], un dixième des encaissements se sont faits en anglais. Entre 12h et 14h, nous avons aussi beaucoup de personnes travaillant dans le coin, on ne s'y attendait pas tellement. Mais nous voulons avant tout aborder le quartier dans sa diversité ».

Fruits et légumes au cœur de la différenciation

Pour convertir de nouveaux consommateurs aux magasins bio (et donc au sien), il a une stratégie. De part et d'autre du magasin, des têtes de gondoles sur lesquelles sont présentés des produits « à prix engagé ». « Sur les produits de première nécessité, on travaille la marge en lien avec les producteurs ». Un effort compensé par une marge plus importante sur d'autres produits, tels que les confiseries ou les cosmétiques.

Le magasin - qui relève de l'économie sociale et solidaire - mise par ailleurs beaucoup sur le local -« Sur 2.500 références, environ 500 sont locales »- de même que sur le vrac qui concerne 350 produits du magasin: des céréales aux épices en passant par l'hygiène ou les croquettes. Mais s'il est un rayon star, c'est bien celui des fruits et légumes, juste à l'entrée du magasin. « On compte beaucoup sur ce rayon car les fruits et légumes sont ce que l'on propose de plus brut, en provenance directe de l'agriculteur ». De véritables atouts, en particulier sur le territoire régional. « A Paris, d'où je viens, les magasins bio n'ont pas accès à autant de fruits et légumes bio et locaux ». Et dans un contexte d'inflation qui a fait gonfler de 15 % le prix des fruits et légumes en grande distribution, les magasins bio peuvent se targuer d'une baisse de 3 % selon une étude de Familles rurales.

Miser sur les fruits et légumes : le grossiste Pronatura installé à Cavaillon y croit beaucoup lui aussi. Pour faire face à la crise, il s'attelle à « faire monter en compétences [ses] clients », explique Pierrick Leroux, son directeur général. « Nous avons relancé notre Bio Académie qui proposent des modules de formation saisonniers afin que les rayons reflètent au mieux les saisons ». Et les fruits et légumes occupent une place importante au sein de cette formation. « La reconquête du marché se fera par ces rayons car pour lutter contre l'inflation, l'enjeu est de consommer des produits naturels, sains et bruts. Nous encourageons donc nos clients à investir fortement sur ces rayons ». En proposant des produits à prix accessibles et d'autres un peu plus coûteux, mais qui se distinguent par leur qualité, comme « des tomates de variétés anciennes et de saison qui peuvent être de bons produits d'appel ».

La restauration collective : « un vrai canal de développement »

Pour sortir de sa niche, le bio lorgne aussi du côté de la restauration. En particulier de la restauration collective censée, depuis la loi Egalim, proposer 20 % de produits bio dans ses menus, un objectif encore loin d'être atteint puisque le bio ne pèse pour l'heure qu'environ 7 % des assiettes des cantines. « C'est un vrai canal de développement », pense ainsi Pierrick Leroux. En particulier lorsqu'il s'agit de proposer des fruits, des légumes et du pain. « Pour la viande bio, étant donné son prix, cela reste compliqué ».

La restauration collective intéresse également beaucoup le fabricant de pâtes Ateliers Bio de Provence, à Carpentras. En 2019, celui-ci se dote d'un outil de production adapté à ce marché. Pari gagnant puisqu'en deux ans, la part de son chiffre d'affaire réalisé sur ce marché est passée de 15 à 20 %. « Nous avons fait plusieurs salons et accentué nos efforts commerciaux tout en proposant de nouveaux produits comme des raviolis végétariens. Nous avons des clients dans toute la France, avec une bonne activité en Région ». L'entreprise est ainsi parvenue à se faire une place dans les menus des cantines d'Avignon, de la cuisine centrale Terres de cuisine installée à Rognonas ou encore de la Sodexo qui alimente les 320 cantines de Marseille.

Des produits innovants

Sur le marché des magasins bio qui représentent 40 % de son chiffre d'affaire, Ateliers Bio de Provence est parvenue à se maintenir malgré la crise en améliorant son offre de produits. Soit en améliorant l'existant, soit en enrichissant son catalogue de nouveaux produits. Elle a ainsi créé une nouvelle gamme dénommée « Coquelicot Évasion » qui propose des pâtes farcies inspirées des quatre coins de monde, à l'image de ses gyozas.

L'innovation produit est également au cœur de la stratégie de Morice, startup marseillaise qui opère sur le marché de desserts végétaux. Alors que coco et soja règnent en maîtres dans ces rayons, Morice privilégie d'autres matières premières, plus locales. Du riz de Camargue, du sarrasin du Sud-Ouest... « Nous essayons de sortir deux innovations de rupture par an », explique son cofondateur Jean-Christophe Bernard. « Pour attirer les clients dans les magasins bio qui commercialisent nos produits, nous devons proposer des produits différenciant qu'on ne retrouverait pas en grande distribution, contrairement aux desserts à base de soja ou de coco ». Et non contente de bousculer le marché des desserts végétaux, l'entreprise s'attaque depuis peu à celui des laits végétaux avec Meelk, sa nouvelle marque de boissons végétales à diluer dans de l'eau, composées uniquement d'amandes ou de noisettes.

Soigner les filières

Au-delà d'accroître leur désirabilité vis-à-vis des consommateurs, les acteurs de l'aval s'évertuent à renforcer leurs filières d'approvisionnement.

C'est par exemple le cas du logisticien Relais Vert : « Nous avons mis en place une filière autour des céréales et légumineuses. Nous achetons à des producteurs des lentilles, des pois chiches, du blé ou encore des haricots », explique son président Jérémie Ginart. Ces produits sont ensuite transformés dans un tout nouvel atelier de conditionnement de 3.000 m², à Monteux. « On fait du triage, du décorticage et du conditionnement pour nos marques et pour nos produits à façon ». L'entreprise s'intéresse aussi aux fruits secs, ou encore à la viande. « Dans les magasins bio, la viande n'a pas le vent en poupe. On préfère développer des substituts. Mais nous pensons qu'il est important de reparler d'élevage. Nous avons commencé avec le bœuf. Nous avons maintenant un projet autour du porc avec plusieurs acteurs français »

Le grossiste Pronatura nourrit aussi des projets de ce type, notamment dans le domaine de l'arboriculture. « Nous avons lancé Plaisirs du verger qui a permis de remettre en Provence une pêche locale, sur un terroir adapté », explique Pierrick Leroux. « Le fruit est cueilli à point et livré le lendemain en magasin », gage de qualité gustative et donc de différenciation.

Autant d'actions qui doivent aller de pair avec une plus forte communication sur les bienfaits de l'agriculture bio. Une communication jugée inutile du temps où le bio ne cessait de croître. Indispensable désormais, même si les moyens de la filière bio en la matière sont restreints. « Nous restons de petits acteurs en matière de communication », constate ainsi Céline Poncet, administratrice sud-est du réseau Biocoop. « Nous avons jusque là considéré que nos moyens devaient aller en priorité vers la production. Mais il est désormais nécessaire de le faire si l'on veut que notre projet soit entendu et constructif ». Et d'en appeler tous les acteurs à « se fédérer pour porter un message de fond ». Auprès des consommateurs. Mais aussi des pouvoirs publics.

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