« L'objectif est d'anticiper la sécurisation de la ressource en eau » (Isabelle La Jeunesse)

Géographe de l'environnement et spécialiste de l'eau, de sa gestion et de sa gouvernance, l'enseignante-chercheuse Isabelle La Jeunesse a quitté l'université de Tours où elle exerçait depuis 2010 afin de prendre la coordination de la chaire partenariale « L'eau dans les territoires des Alpes-Maritimes » pour une durée de cinq ans. Lancée le 13 juin par l'Université Côte d'Azur (UCA), la Fondation UCA, le Département des Alpes-Maritimes et l'ensemble des intercommunalités azuréennes*, elle vise à mieux comprendre la ressource en eau en s'appuyant sur la recherche et l'innovation afin de la sécuriser et par là même sécuriser les territoires. Et ainsi anticiper les bouleversements climatiques dans un contexte méditerranéen où les changements apparaissent exacerbés.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE : Quelles sont les raisons qui ont poussé à la création de la chaire partenariale « L'eau dans les territoires des Alpes-Maritimes » ?

ISABELLE LA JEUNESSE : La dynamique de réflexion et d'anticipation sur le rapport à l'eau dans les Alpes-Maritimes n'est pas nouvelle. Déjà, en 2017, le Département créait le Syndicat mixte pour les inondations, l'aménagement et la gestion de l'eau maralpin (Smiage). Depuis, les enjeux du climat, éclairés ces dernières années par les tempêtes Alex, Aline et les épisodes de sécheresse de 2022 et 2023, ont poussé à la création d'un projet de territoire autour de la recherche et de l'innovation en eau, matérialisé par cette chaire partenariale. Celle-ci réunit l'Université Côte d'Azur au travers de l'Institut méditerranéen du risque, de l'environnement et du développement durable (Imredd), le secteur privé, très attendu sur les sujets de l'innovation et du mécénat via la Fondation UCA, et les collectivités du territoire. Ces dernières, en signant cette chaire, font de la ressource en eau une priorité politique et un enjeu d'intérêt général. C'est un message fort.

D'autres chaires en eau existent dans l'Hexagone. Quelle est la particularité de la chaire azuréenne ?

Il en existe d'autres en effet, à Montpellier, Avignon ou encore Strasbourg, spécialisées respectivement dans la viticulture, les eaux souterraines et l'écosystème du Rhin. Celle des Alpes-Maritimes se distingue par sa territorialité et sa diversité des risques et des milieux. Nous avons ici un continuum terre mer avec des milieux de montagne, de moyenne montagne, des parcs naturels, des communes rurales, un littoral touristique très intense et une grande métropole. Cela fait beaucoup pour un territoire qui n'est finalement pas si grand que cela. Nous sommes donc sur une vision systémique et globale de la ressource en eau, et ce dans un contexte méditerranéen qui a toute son importance du fait de son climat capricieux par nature, et où le changement climatique s'exprime plus fortement qu'ailleurs avec des périodes de sécheresse plus longues et des précipitations plus extrêmes.

Comment allez-vous procéder ?

Nous sommes au début de l'histoire. Il s'agit donc d'abord de réaliser un diagnostic terrain, un état de l'art et des besoins à partir desquels nous construirons et présenterons début 2025 un programme scientifique sur trois axes structurants : la ressource en eau et les milieux aquatiques, les usages de la ressource et la gouvernance de l'eau. Une attention particulière sera portée à d'autres axes transverses comme l'opportunité que représente la réutilisation des eaux traitées ou des eaux non-conventionnelles.

Pour quels objectifs ?

L'objectif est d'anticiper la sécurisation de la ressource en eau et donc la sécurisation des territoires en apportant les meilleures solutions possibles. A cet égard, nous ne partons pas d'une feuille blanche. Beaucoup de choses ont déjà été faites, notamment à Cannes Lérins et Nice Côte d'Azur dans le domaine de la réutilisation des eaux usées par exemple. Sur le Pays de Grasse, un travail a été mené avec les parfumeurs sur leur besoin en eau. Par ailleurs, des universitaires locaux travaillent déjà avec certaines collectivités sur des sujets précis comme la salinisation du delta du Var ou celui de la reconstruction dans la Roya. Nous sommes dans un processus de co-construction avec les collectivités. Lesquelles ont chacune bien conscience de leur situation actuelle. Nous venons donc en soutien pour les aider à se projeter un peu plus dans le moyen et long terme car le changement climatique va vite. L'idée est de ne plus être dans la réaction mais dans l'anticipation.

Quid de la mer ? Entre-t-elle dans votre périmètre de recherche ?

C'est évidemment un enjeu pour nous puisque la qualité de l'eau marine dépend beaucoup de ce qui se passe sur le bassin versant. Et inversement, lorsque l'on prélève trop certaines ressources en eau, il peut y avoir ce qu'on appelle des intrusions marines. Or, pour rappel, au-delà d'1g de sel dans 1L d'eau, celle-ci n'est plus considérée comme potable. Les liens sont donc indéniables.

Quels sont les moyens à votre disposition ?

Le fait que les fondateurs mettent en commun leurs moyens via cette chaire pour répondre à une problématique commune, ce n'est pas si courant. Concrètement, UCA offre un panel interdisciplinaire de chercheurs, allant des géosciences aux sciences humaines et sociales, ainsi que la coordination de la chaire. Les collectivités, elles, contribuent en fonction des moyens dont elles disposent, sachant que ceux-ci sont très souvent liés à leur taille. Cette contribution, dont je tairai le montant, s'avère tout de même significative et nous permettra de lancer des actions dès 2025. Enfin, le secteur privé sera sollicité via la Fondation UCA, tant au niveau de l'innovation que du mécénat, parce que la ressource en eau est un sujet qui concerne tout le monde, tous les secteurs d'activité et toutes les échelles. Pas une activité socio-économique ne peut se passer d'eau. Le changement climatique est l'affaire de tous.

*Les membres fondateurs : Département des Alpes-Maritimes, Université Côte d'Azur, Fondation Université Côte d'Azur, Métropole Nice Côte d'Azur, Communauté d'agglomération Sophia-Antipolis, Communauté d'agglomération Cannes Pays de Lérins, Communauté d'agglomération de la Riviera Française, Communauté d'agglomération du Pays de Grasse, Communauté de communes Alpes d'Azur et Communauté de communes du Pays des Paillons.

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