De Marseille à Rennes, le réseau de boulangeries Bou'sol mise sur la restauration collective pour structurer des filières locales

Initié à partir de la boulangerie Pain et Partage installée à Marseille, ce réseau de boulangeries solidaires fabrique à destination de la restauration collective du pain bio à partir de matières premières produites et transformées localement. Également présent à Fabrègues, dans l'Hérault, le réseau s'apprête à ouvrir de nouvelles implantations à Rennes, Nice et Issy-Les-Moulineaux. Convaincu que la restauration collective peut impulser la transition alimentaire, le réseau milite pour un meilleur respect de la loi Egalim qui impose plus de bio et de local dans les cantines. Y compris auprès du grand public.
(Crédits : DR)

« Là, ce sont nos deux pétrins amovibles. On arrive, on met l'eau et la farine », montre Aziz, encadrant technique, une casquette verte vissée sur le crâne. « On utilise de la farine T65, de la T80 et d'autres farines pour les pains spéciaux ». Des farines dont les gros sacs sont entreposées dans un coin de l'atelier de production, en provenance du Moulin Picard qui transforme depuis les Alpes-de-Haute-Provence des blés bio cultivés par des agriculteurs locaux.

Autour d'Aziz, des salariés en contrat d'insertion pour la plupart : 60 sur les 75 salariés que compte l'atelier marseillais. Des personnes souvent très éloignées de l'emploi, embauchées pour un maximum de deux ans.

« Nous accueillons beaucoup de migrants nouvellement arrivés en France : des Afghans, des Soudanais... qui rencontrent des problématiques liées à la langue et à l'environnement sociétal », explique Benjamin Borel, co-gérant de l'atelier et co-fondateur du réseau Bou'sol auquel il appartient.

L'atelier compte dans ses effectifs deux chargées d'accompagnement socio-professionnel qui accueillent ces publics et les aident à lever les freins qui les éloignent du monde du travail. La langue, mais aussi le logement et la mobilité, en lien avec différents partenaires. Et si quelques uns voient leur contrat d'insertion se transformer en CDI, la vocation de Pain et Partage, est surtout, en tant qu'entreprise et chantier d'insertion, de servir de tremplin vers un autre emploi, pérenne, ou vers une formation qualifiante. Un pari réussi dans 65% des cas, dans la boulangerie parfois, mais plus généralement dans d'autres secteurs.

La restauration collective comme débouché

« Ici, poursuit l'encadrant technique en montrant du doigt une machine, c'est le levain. On fait varier la température pour le rafraîchir tous les jours ».

Levain, farine et eau sont mélangés pour la première étape : le fraisage. S'y ajoutent sel, levure et améliorant à base de blé pour le pétrissage qui s'effectue en deux temps. « Là, c'est fini », indique-t-il alors qu'un son strident vient de s'échapper du pétrin. D'une main légère, il saupoudre l'imposante masse d'un jet de farine; « c'est pour donner de la force à la pâte ».

Chaque pétrin - qui contient 200 kg de pâtes - est ensuite défait de son socle est déplacé en chariot afin que son contenu soit transvasé dans des bacs. S'ensuit un séjour en chambre froide pour la journée, avant une découpe la nuit venue.

« On peut découper le pain en baguettes, en petits pains individuels ou en pavés », poursuit Benjamin Borel, co-fondateur du réseau Bou'sol. Quant à la cuisson, elle est réalisée dans deux types de fours, pour une croûte plus ou moins fine. Des formats variés, qui permettent de répondre aux besoins des différents clients de cet atelier de production de pain créé en 1993, et installé depuis 2016 dans ce parc d'activité du 15e arrondissement de Marseille.

« Nous travaillons à 50% avec les acteurs de la restauration collective comme Sodexo qui fournit notamment les cantines marseillaises et nous a permis, grâce aux volumes importants qu'il nous commande, de monter notre projet de développement en bio et en circuit court », détaille Benjamin Borel. L'autre moitié du pain est écoulé sur des marchés publics en direct : « c'est le cas à Fos-sur-mer, Aix-en-Provence, Istres ou Martigues ».

Soumise à la loi Egalim depuis 2022, la restauration collective est censée proposer des menus contenant au moins 50% de produits sous signe de qualité, dont 20% issus de l'agriculture biologique. Une manne potentielle pour les producteurs concernés. Sauf que la loi n'est pas pleinement appliquée à ce jour, avec à peine 9% de produits bio dans les menus. Dans un contexte budgétaire souvent tendu, le prix demeure en pratique le principal critère de choix. « Nous avions un contrat avec le Crous. Nous l'avons perdu pour une question de prix », regrette Benjamin Borel. « Nous sommes environ 20 % plus chers que nos concurrents, parfois beaucoup plus ».

« À Montpellier, 25 % du pain était jeté avant que l'on fournisse les cantines. Aujourd'hui on est à 5 % »

Pourquoi un géant comme Sodexo a-t-il accepté de travailler avec Pain et Partage, pour un produit a priori aussi accessoire que le pain ? « Il y a une pression des parents sur la cantine. Opter pour un pain bio, local, solidaire, est une façon simple de répondre à ces attentes. La loi Egalim s'ajoute bien sûr à cette pression. Et il est plus facile de changer le pain que tout le plat principal qui comprend plusieurs ingrédients ». Par ailleurs, pense Benjamin Borel, « de nouvelles aspirations émergent parmi les responsables et salariés des entreprises comme Sodexo. Il y a une pression de plus en plus forte autour des enjeux de la Responsabilité sociale des entreprises, avec le recours accru à des documents extra-comptables qui poussent à avoir des actions vertueuses ».

Et le choix de la qualité n'est au final pas forcément plus coûteux sur la durée. « À Montpellier, où notre réseau dispose d'une autre boulangerie, 25% du pain était jeté avant que l'on fournisse les cantines. Aujourd'hui on est à 5%. Cela s'explique en partie par la meilleure qualité de notre pain. Mais aussi par un politique d'achat au plus juste. Au final, dans ces cantines, la qualité a été améliorée pour un coût fixe ».

Une démarche que veut amplifier le réseau Bou'sol au travers d'actions militantes, comme à l'occasion d'un récent « marché festif et revendicatif » organisé par le réseau InPact à Marseille. Marché au terme duquel Pain et partage est allée offrir des pains de sa fabrication à un restaurant administratif. Restaurant qui a finalement promis de devenir client de la boulangerie solidaire.

S'adresser directement au consommateur : c'est aussi l'ambition qui sous-tend l'ouverture prochaine d'une boulangerie de quartier à La Ciotat, cette fois à destination des particuliers. La fabrication de biscuits à partir de pain invendu - car cassé, trop cuit, ou présentant des défauts de toutes sortes, va dans la même logique. Un axe de travail que pilote Eric, encadrant technique en pâtisserie.

Valoriser le pain invendu

Arrivé en contrat d'insertion comme employé administratif suite à un accident qui l'a handicapé, il a fini par piloter ce projet, renouant avec un métier qu'il a longtemps exercé.

Dans son petit laboratoire où sont stockés bacs de chapelure et autres abricots en conserve, il raconte : « J'ai une expérience de 39 ans dans la pâtisserie. J'ai quatre CAP, un brevet de maîtrise. J'ai travaillé chez un meilleur ouvrier de France. A cause de mon handicap, je ne pensais pas retrouver du travail dans ce secteur ». Il y est finalement parvenu grâce aux spécificités de cette entreprise dans laquelle les contraintes de production sont moindres. « Je fais de la production mais aussi beaucoup de formation et de l'administratif ».

Il pilote ainsi une petite équipe qui transforme la fine chapelure de pain invendus en biscuits, brownies, crêpes et autres cakes. Des produits que les clients de Pain et Partage proposent ponctuellement, lors d'événements, afin de sensibiliser aux enjeux du gaspillage alimentaire. Et qui devraient aussi prendre place sur les étals de la future boulangerie à La Ciotat, de même que chez certains partenaires comme le supermarché coopératif Super Cafoutch, à Marseille. « Ce peut être intéressant pour les centres aérés, en remplacement de produits industriels bourrés d'additifs et d'emballages. L'enjeu est de développer une dynamique économique importante autour de ces produits ».

Jusqu'à Rennes

De tels écosystèmes locaux, le réseau - qui a réalisé en 2023 un chiffre d'affaires global de 4,5 millions d'euros - prévoit d'en faire germer d'autres, ailleurs en France.

Des projets sont ainsi en cours de construction à Nice, à Issy-les-Moulineaux ou encore à Rennes. Avec chaque fois la même recette : un approvisionnement bio et local, de l'insertion et la restauration collective comme débouché. Une recette qui a permis au réseau Bou'sol de se distinguer de ses concurrents dont le but est davantage lucratif.

« À Rennes, nous avons été sollicités par les collectivités locales qui se mobilisent autour des enjeux de préservation de la ressource hydraulique », explique Benjamin Borel. « Pour préserver la qualité de l'eau du bassin versant et réduire leurs dépenses en traitement de l'eau, elles ont décidé de soutenir l'agriculture biologique en amont du bassin versant ». Mais plutôt que de se contenter de financer l'installation de producteurs, l'enjeu est de leur garantir des débouchés, notamment en investissant dans la restauration collective.

C'est là qu'interviendra la nouvelle boulangerie bretonne du réseau Bou'sol, qui transformera du blé bio produit localement en pain pour la restauration collective. « Nous allons fournir la ville de Rennes et le Crous de Bretagne. Nous avons aussi des touches avec le secteur hospitalier. On espère que notre atelier sera en place fin 2024, avec une dizaine de salariés sur place, et que nous pourrons enclencher réellement la production début 2025 ».

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Commentaire 1
à écrit le 19/03/2024 à 18:55
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Boulangerie! Quand je pense ",Boulangerie," je ne vois pas une usine 😄, je vois un boulanger, son pétrin, un four maçonné en brique, chauffage au bois et gueulard. Je vois du levain, des patons qui prennent leurs temps pour lever et un façonnage mai...

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