« Avant 2030, l’intégralité des navires qui seront déployés en Europe seront capables de se connecter à l’électricité à quai » (Marie-Caroline Laurent, CLIA)

Souvent vilipendée – l’inauguration il y a quelques jours de l’Icon of the Seas, plus grand paquebot du monde l’a encore montré – le secteur de la croisière est pourtant engagé dans la décarbonation de son activité, ce qu’est venu affirmer la charte croisière durable signée par les armateurs mondiaux et l’Etat français en octobre 2022. Plus de douze mois après, alors que les enjeux se situent sur la mise à disposition de carburants moins polluants, la CLIA, l’association des professionnels de la croisière, insiste, par la voix de sa directrice générale présente au salon Euromaritime qui se tient à Marseille, sur le volet solutions technologiques, rappelant le rôle de la croisière sur les avancées qui servent, à terme, l’ensemble du monde maritime.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Plus de douze mois après la signature de la charte croisière durable, quel bilan faites-vous ?

MARIE-CAROLINE LAURENT - Cette charte reste un outil unique de collaboration au niveau mondial, mis en place à la fois avec le gouvernement français, les armateurs et le soutien de l'ensemble des ports, des chambres de commerce et d'industrie et de tous les acteurs de la croisière de Méditerranée. Avant la signature de cette Charte, nous disposions de la Charte bleue, qui était une charte locale, reliant des acteurs locaux. Pour la première fois, nous avons une charte environnementale qui couvre plusieurs ports et qui, ainsi, donne une valeur plus générale aux mesures que ce qui a été fait dans le passé.

Le texte de la charte met en avant 13 points détaillés comme des engagements notamment en termes de rejets liquides et solides, d'émissions dans l'atmosphère ou encore de travail de sensibilisation.

C'est la première fois que nous avons un texte couvrant un champ si large, autant dans le contenu que dans son périmètre géographique. Je rappelle que c'était un engagement volontaire de la part des armateurs de croisières et ça n'est pas seulement un document signé par les représentants français au niveau local mais bien par les PDG de chaque groupe international. Cela a mis en avant la possibilité de partenariats possibles avec l'Etat français et avec les ports en France.

Si la signature est le premier geste symbolique, des audits ont été menés au cours de cette première année, concrétisant en quelque sorte ce qui a été convenu entre les parties... Avec quel résultat ?

En effet, la direction interrégionale de la mer en Méditerranée (DRIM, NDLR) a mené des audits entre septembre et novembre 2023 dans les ports de Toulon, Nice, Cannes et Marseille. Sur les 14 audits menés, 12 navires ont obtenu la certification. Pour le grand public, la connexion électrique à quai n'est pas encore visible - elle est prévue à Marseille en 2025 et à Toulon cette année, NDLR - alors qu'à Copenhague, à Rotterdam, à Hambourg, dans les ports de Norvège... - on a déjà cette connexion que le passager peut notifier directement par l'absence de fumées. Mais cela arrive en Méditerranée, les financements sont là. A Marseille, les compagnies de croisière ont même contribué financièrement à l'installation de l'électrification. Nous essayons, en attendant que cette connexion se concrétise, de faire de l'éducation. Près de 50% de nos navires peuvent déjà se connecter, ce qui est énorme, comparé au reste de la flotte maritime. Il ne fait pas de doute qu'avant 2030, l'intégralité des navires qui seront déployés en Europe seront capables de se connecter à l'électricité à quai. Nous y travaillons.

La mise en service ces derniers jours de l'Icon of the Seas, plus grand paquebot au monde avec ses 365 mètres de long, cristallise précisément les reproches fait aux armateurs de croisières...

Que ce soit des petits ou des grands bateaux, l'effort reste le même. La transformation technologique est là. On parle beaucoup de l'Icon of the Seas, qui, au-delà de sa taille, dispose de certaines nouveautés technologiques, à la fois sur ses émissions mais aussi sur ses traitements des déchets, en accord avec la charte de la croisière durable.

Faire évoluer les navires vers des normes plus respectueuses de l'environnement, cela oblige à travailler avec les chantiers navals, en amont de toute construction. Comment cela s'organise-t-il ?

Nous sommes le seul segment du maritime qui continue de construire ses navires en Europe. Et cela car chaque bateau de croisière, même s'il utilise les mêmes plateformes technologiques qu'un autre bateau, est unique. Contrairement aux bateaux de fret construit sur un même prototype. Nous n'avons pas cette logique dans la croisière. Dans une même famille de navire, il existe différents types de propulsion et la plateforme évolue en permanence, ce qui demande un partenariat très étroit avec les chantiers de construction navale et une réinvention complète pour chaque navire qui est construit. Pour le MSC Euribia, qui est le dernier navire sorti des chantiers navals de l'Atlantique, celui était équipé d'un jumeau numérique à bord, qui effectuait le même trajet afin d'analyser les différentes trajectoires. Ces innovations ne se font pas sur les autres segments du maritime.

Comment, justement, travaillez-vous avec les différents écosystèmes de l'innovation, notamment ces startups qui réfléchissent aux nouvelles solutions de propulsion ?

Nous le voyons avec la propulsion vélique : cela crée une dynamique plus forte de recherche de solutions. Parfois cela fonctionne. Nous avons d'ailleurs un projet de voiles solides en Europe. Parfois, c'est plus compliqué. L'une des technologies en test, la pile à combustible, n'a pas de solution encore aboutie en Europe. MSC a noué un partenariat avec une startup américaine, par exemple. C'est une dynamique que nous observons. Nous travaillons avec l'Europe sur tout ce qui est fonds d'innovation, sur l'émergence d'une industrie maritime innovante. Nous faisons de la croisière, mais nous faisons aussi effet de pilote, de test pour le reste du maritime. Sur le sujet de la pile à combustible, nous sommes le seul segment à le faire. Et cela pose d'ailleurs de nombreux challenges techniques qui sont passionnants.

Le sujet des carburants moins polluants en majeur...

Il existe certes le sujet de la pile à combustible mais aussi tous les nouveaux types de fuel. L'un des grands challenges pour la croisière est d'avoir accès à ces carburants. C'est d'ailleurs un point pour la charte que nous soulignons. Le grand objectif c'est d'avoir accès à des carburants décarbonés, sur la plateforme de Marseille notamment où nous faisons du soutage régulièrement. Allons-nous avoir du biogaz pour les bateaux avec un moteur GNL, aurons-nous du biodiesel pour les moteurs traditionnels... Nous n'imposons pas aux ports d'avoir tous les carburants moins polluants à disposition car cela n'est pas très réaliste. Il est en revanche primordial d'identifier les solutions disponibles. Tous les navires qui sortent sont hybrides ce qui leur permettra de s'adapter selon son champ d'opération. Nous allons d'ailleurs publier une étude sur le sujet en juillet qui s'appuiera sur une cartographie précise prenant en compte les différents types de fuel et les éléments à quai. Nous opérons dans 350 ports en Europe. Avoir ces 350 ports électrifiés n'est probablement pas réaliste. Cette cartographie permettra d'avoir une approche plus stratégique, identifiant les ports prioritaires au regard de la réduction de CO2 permise.

Les JO ou les grands événements, aux aussi engagés dans une volonté de durabilité, sont-ils des accélérateurs qui peuvent servir le maritime ?

Les JO ou les grands événements permettent souvent de faire émerger des solutions de mobilité douce. Cela sert plutôt les excursions que nous organisons à terre. Comment emmenons-nous nos passagers, où, comment... L'impact environnemental dans les destinations fait également partie des piliers de la charte. C'est le plus compliqué car il demande une concertation avec les acteurs, le tour-opérateur qui n'a pas le financement pour investir dans des bus électriques... C'est là où les JO ou tout événement qui peut pousser les acteurs locaux à moderniser leur procédure peut être intéressant.

Les grands rendez-vous comme Euromaritime, c'est une façon de répondre au croisière bashing ?

C'est une façon de rappeler à tout le monde que nous sommes un acteur du maritime. Nous ne sommes pas que du tourisme. Nous avons, surtout en Europe, un rôle d'acteur indispensable. Pour rappel, nous représentons 80% des carnets de commande des chantiers navals européens. De manière provocatrice, je dis souvent à Bruxelles, si vous voulez arrêter la croisière, vous fermez vos chantiers navals. De manière contre-intuitive, les chantiers navals nous disent souvent que grâce à l'activité commerciale des croisières ils arrivent à faire en sorte que leur activité militaire de construction navale reste compétitive. C'est la réalité de la construction industrielle...

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Commentaires 3
à écrit le 01/02/2024 à 17:33
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Une usine à gaz donc, une de plus, au secours. Faut tout miser sur le vent maintenant franchement, faites nous enfin rêver !

à écrit le 01/02/2024 à 16:52
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Il va falloir un grand câble pour naviguer😂. Enfin, "naviguer! Plutôt baguenauder sur la mer dans une HLM de luxe. L'intérêt? Vois pas. J'ai navigué assez longtemps à la voile sur des bateaux de 30 à 45 pieds, quasiment au raz de l'eau, mouillé dan...

à écrit le 01/02/2024 à 15:05
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On ne peut que rire quand on sait que l'on naviguait a l'aide du vent pour des intérêts bien plus puissant !

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