« Je commençais à partir vers le fond. L’entreprise éphémère a été ma bouffée d’oxygène »

Né en 2015 à Arles, le concept des Entreprises éphémères vise à faire coopérer entre elles des personnes éloignées du marché du travail afin de les aider à trouver un emploi. Le tout en les accompagnant au moyen d’outils de développement personnel et en les mettant en relation avec de nombreuses entreprises. Un programme intensif de 6 semaines, qui permet à 60 % des personnes accompagnées de retrouver un emploi dans les 6 mois et qui se développe sur l’ensemble du territoire français. Reportage à Marseille, au moment de l’envol de la promotion Phares, acronyme de « Passer l'Humain Avant tout le Reste ».
Grâce à ce programme intensif développé partout en France, 65% des participants retrouvent un emploi ou une formation dans six mois.
Grâce à ce programme intensif développé partout en France, 65% des participants retrouvent un emploi ou une formation dans six mois. (Crédits : DR)

Un vaste espace. Des grappes de personnes réunies autour de tables. Des discussions en fond sonore... En cette fraîche matinée, le troisième étage de la Place des entrepreneurs, immeuble appartenant à l'UPE 13, déclinaison locale du Medef, a tout d'un open-space classique. Ici, on pianote sur un ordinateur. Là, on gratte assidûment un calepin. Sur les visages, beaucoup de sourires. Des yeux embués, aussi. « Quelqu'un a dû se parfumer avec de l'oignon », plaisante Sylvain, grand, le regard bleu, timide et taquin. Une boutade pour reconnaître avec pudeur que ce matin, beaucoup des occupants de cet open space particulier ont versé une larme.

« On arrive au bout des six semaines intensives de l'entreprise éphémère », explique Claude. L'heure est donc à la séparation et à un certain déchirement.

Au chômage depuis de longs mois, Claude a, comme beaucoup des personnes présentes ici, fortement souffert de l'isolement social provoqué par l'absence d'emploi. « On est cloîtré chez soi à lancer des CV qui ne marchent pas. Pas un seul rendez-vous. On se croit hors du monde ».

De quoi miner l'estime de soi. En particulier lorsque le taux de chômage est bas, et que se diffuse l'idée selon laquelle trouver du travail ne dépendrait que de la volonté de celui qui en est privé. D'après la Dares, les personnes exposées au chômage entre 2006 et 2010 seraient ainsi plus nombreuses (26% pour les hommes) à signaler des épisodes dépressifs que celles en emploi sur la même période (13%), bien que le lien de causalité ne soit pas évident - la santé mentale pouvant en effet accroître le risque de se retrouver au chômage.

Reste que cette période est souvent synonyme de mal-être et que l'entrée au sein de l'entreprise éphémère est apparu à Claude comme un sas de répit. « On trouve des gens qui ont les mêmes problèmes que nous. Et ensemble, on est plus forts pour trouver du travail ». Même constat pour Didier, ancien préparateur de commandes en surgelé qui a dû s'arrêter de travail suite à un choc thermique : « Je commençais à partir vers le fond. L'entreprise éphémère a été ma bouffée d'oxygène ».

Décloisonner les chercheurs d'emploi

Lutter contre l'isolement et la découragement provoqués par le chômage, en particulier lorsque celui-ci semble s'éterniser, c'est précisément l'ambition de Didier Krief et Céline Garence lorsqu'ils mettent en place le concept des entreprises éphémères, en 2015, suite à une période de chômage qu'ils ont relativement mal vécue.

« Les entreprises éphémères sont nées au moment des Rencontres de la Photographie à Arles. Là-bas, pendant deux mois, des personnes sont formées pour occuper des postes comme l'accueil, la billetterie ... Nous avons proposé de consacrer une partie de cette formation à travailler sur le marché de l'emploi caché ». 150 personnes sont ainsi accompagnées avec un certain succès. L'expérience sera alors reproduite via les entreprises éphémères, un dispositif porté par une entreprise à mission dédiée.

Très concrètement, il s'agit de constituer des promotions d'une cinquantaine personnes éloignées de l'emploi depuis au moins un an, et en particulier des publics jugés prioritaires. Pendant six semaines, ces personnes se retrouvent toute la journée pour contribuer à ce qu'un maximum de membres, qu'on appelle « associés », trouvent un emploi. « Nous sommes répartis en quatre groupes », explique Ornella, une jeune femme avenante, qui recherche depuis un an un emploi dans le design d'espace. « Moi, je fais partie du groupe communication. Nous écrivons des articles pour notre site, sur les entreprises que nous rencontrons. On a même une web-radio ... Il y a aussi un groupe qui s'occupe des relations humaines, un troisième du web », il s'agit en fait de surveiller la e-réputation des associés ou encore de déceler des offres d'emploi dites peu visibles. Enfin, le groupe relation entreprises se charge d'inviter des recruteurs potentiels ainsi que ceux-ci se présentent et procèdent à des recrutements sans CV.

Trouver de « bons recruteurs »

« Nous avons des partenariats avec des entreprises, des associations, ou même des instituons publiques », explique Didier Krief. Le principal étant de sélectionner de « bons recruteurs », c'est-à-dire « qui ont de vraies valeurs, qui veulent améliorer leur attractivité. Très concrètement, nous voulons des entreprises qui soignent l'intégration des nouveaux salariés, qui jouent le jeu du recrutement sans CV et qu'en cas de refus d'un candidat, elles apportent une réponse et expliquent les raisons de ce refus. De cette manière, on peut aider le candidat à progresser ». En échange de ces engagements formalisés par une charte, Didier Krief assure que les entreprises ont beaucoup à gagner. « Nous leur offrons un vrai service en les mettant en contact avec des profils très variés, des personnes qui ont des cicatrices. Des pépites qui peuvent leur apporter une vraie richesse ».

Autres acteurs clé du dispositif : les coachs. Prestataires extérieurs, ils contribuent à la cohésion du groupe et mènent avec les associés un travail de développement personnel en même temps qu'une montée en compétences. « En tant que coach, mon objectif principal, c'est la confiance en soi », assure Myriam qui s'occupe du groupe communication de la promotion Phares - acronyme « Passer l'Humain Avant tout le Reste » -. « Il y a un travail à mener sur les croyances limitantes. On fait aussi beaucoup de simulation à l'entretien ». Avec un travail important sur les savoir-être et la posture. Sur le vocabulaire aussi. Ici, on ne parle pas de demandeurs d'emplois mais d' « associés ». Et c'est sous ce titre que les candidats se présentent aux entreprises. Se positionnant dans un rapport moins asymétrique.

Reste à lever les nombreux autres obstacles qui se posent sur la route de ces personnes vers l'emploi. Handicaps. Absence de solutions pour la garde d'enfants. Beaucoup soulignent aussi les difficultés rencontrées pour se rendre sur un potentiel lieu de travail. Claude, par exemple, n'a pas de voiture. Pas plus que la volubile Naouel. « J'habite dans le 15e arrondissement de Marseille. Pour venir ici le matin, je dois prendre un métro, un bus et deux tramways ». Aujourd'hui, elle attend avec impatience la venue d'une agence de voyage prévue d'une minute à l'autre. « C'est un jour crucial pour moi. J'ai une formation de conseillère en vente de voyage. J'espère trouver du travail dans ce domaine ». Particulièrement motivée, elle se réjouit du fait que l'entreprise éphémère lui ait permis de retrouver un rythme de travail. « Ce rythme, je ne vais plus le perdre maintenant. Je suis dedans. L'entreprise éphémère m'a remis sur le marché du travail psychologiquement ».

65% de sorties positives

Né à Arles, le dispositif - porté désormais par un réseau de quinze salariés et de plusieurs intervenants prestataires - a rapidement essaimé sur l'ensemble du territoire français. Dans de grandes villes autant que dans de plus petites, rurales. Et partout, le résultat demeure stable, avec 65 % de sorties positives (retour vers l'emploi ou inscription à une formation) dans les six mois.

Pour consolider ce modèle, une diversification du modèle économique est à l'œuvre, avec notamment le développement de promotions de recrutement au service d'une entreprise en particulier, voire même d'une collectivité, comme cela est prévu avec la Ville de Marseille. Les Entreprises éphémères, qui travaillent pour l'heure de façon nomade, envisagent en outre de se doter d'un siège physique à Marseille.

Quant aux associés de la promotion Phares, de nouveaux horizons se dessinent. Naouel n'a pas pu obtenir son entretien avec la recruteuse venue présenter son groupe d'agence de voyage, faute de temps. Ce n'est que partie remise et ses collègues la rassurent. « Tu as en ta possessions toutes les clés pour réussir », lui souffle l'un d'entre eux.

Elargir les horizons

Didier, qui travaillait dans le surgelé, a trouvé un emploi chez Fatec, un groupe de gestion de flotte automobile. « J'ai une réunion d'information demain et je commence la semaine prochaine. Je ne connais pas grand-chose en voitures, mais ils vont me former pour devenir conseiller technique automobile ». Certains n'ont pas encore trouvé d'emploi, mais on élargi leur périmètre de recherche. Ridate, qui s'est retrouvée au chômage suite à un burn out au terme de 28 ans de carrière au sein de Pôle Emploi avait pensé à prendre sa retraite anticipée. Finalement, elle planche sur un projet dans le milieu associatif. « J'ai envie d'explorer des choses, de travailler sur le recyclage, l'upcycling, la transmission intergénérationnelle ». C'est aussi le cas de Hedia, souriante nounou qui cherche depuis cinq ans du travail sans jamais obtenir de suites à ses entretiens avec les familles. « Je suis intéressée par le métier de conseillère en insertion. Bibliothécaire, ça pourrait être bien aussi ».

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