A Marseille, le déplacement du Palais de Justice crispe les problématiques du centre-ville

En annonçant consacrer 350 millions d’euros pour le nouveau projet de Palais de Justice au sein du quartier Euroméditerranée, Eric Dupont-Moretti, en déplacement à Marseille, a rallumé la colère de certains acteurs économiques décidés à conserver l’activité judiciaire au cœur de la Cité phocéenne. Au centre des préoccupations, les 200 commerces impactés et les dépenses annuelles générées par les juges, avocats, personnels… estimées à 18,3 millions d’euros qui ne viendront plus alimenter cette partie de la ville, en lutte pour conserver son attractivité. Au-delà du déménagement du Palais lui-même, c’est toute la problématique de centre-ville de la deuxième ville de France dont il est question, dans un contexte de Plan Marseille en Grand.
(Crédits : DR)

Le sujet allait forcément être abordé, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a péféré prendre les devants lors de sa visite à Marseille lundi. Avec beaucoup de précaution, il a confirmé que la future cité judiciaire de la Cité phocéenne s'instellerait dans le quartier d'Euromediterranée. Ce projet doit réunir toutes les juridictions dans un même lieu, quand elles sont aujourd'hui pour la plupart éparpillées autour du palais du justice actuel sis en plein centre-ville. Chiffré à 350 millions par l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), ses contours sont encore flous mais il devrait se concrétiser par un immeuble de 40.000 m2.

Une annonce officielle mais sans tambour ni trompette qui a quelque peu irrité une partie du monde économique, dont la Chambre de commerce et d'industrie Aix-Marseille Provence, agacée de ne pas avoir été prévenue de cette annonce estimée "hors-sol" et surtout de l'absence de concertation.

« Nous regrettons d'autant plus cette décision qui ne prend aucunement en considération les conséquences économiques, sociales et symboliques pour notre centre-ville, pour ceux qui y travaillent et pour ceux qui y vivent », estime le chambre consulaire. Avec le barreau de Marseille, qui réunit environ 2.000 avocats, l'UPE13, la CPME13 et l'UMIH13, la CCIAMP milite pour que les activités de justice demeurent en lieu et place. La crainte étant d'assister à un autre déménagement, celui des avocats et des salariés de leurs cabinets, tentée de franchir eux aussi la Canebière et le Vieux-Port pour s'installer dans l'immense quartier d'affaires d'Euromediterranée qui continue sa mutation avec une phase 2 ambitieuse.

Le projet de cité judiciaire étant sur un temps long, l'inauguration est programmée pour 2030 « au mieux », la CCIAMP espère encore empêcher ce déménagement. Et de s'en remettre à Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'Etat en charge de la Ville mais aussi du Plan Marseille en Grand, le projet de nouvelle cité judiciaire s'inscrivant précisément dans ce Plan d'envergure.

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Perte économique et foncière

Au coeur de l'ire de certaines acteurs, la perte économique liée à celle des activités judiciaires, estimée par la CCIAMP à 18,3 millions d'euros. Un chiffre a minima puisqu'il ne s'appuie que sur la consommation des avocats, dont 70% habitent à proximité, et pas sur celles des magistrats ou greffiers ni les familles vivant sur place. La donnée foncière n'est pas non plus pleinement prise en compte, mais les cabinets représentent 48.000 m2 et seulement 25% des avocats sont propriétaires, toujours selon la chambre consulaire.

Au printemps, le président de la CCIAMP Jean-Luc Chauvin parlait de « la mise à mort de l'activité économique du centre-ville » qui présente déjà un taux de vacance « de 16 % quand il est plutôt de 12 ou 13 % ailleurs en France ». Un combat sur lequel les deux grandes collectivités locales - Région et Métropole - se sont prononcées en se réjouissant de l'enveloppe consacrée par l'Etat et se disant prêtes, ensemble, à accompagner ce changement.

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Des écoles en remplacement

Depuis plusieurs mois, la décision du lieu d'implantation de la future cité judiciaire semblait bouclée en coulisse sans toutefois être actée publiquement. Un flou sur lequel la Ville, le barreau de Marseille et la CCIAMP comptaient pour que la piste d'un maintien à centre-ville soit étudiée. « Tout d'abord, sur la méthode inique du garde des Sceaux qui a pris seul sa décision. Une décision prise depuis Paris que nous jugeons « hors sol » et ce, malgré les positions locales contraires », regrette la chambre consulaire qui évoque « une concertation alibi, à charge » durant l'été.

Le Garde des Sceaux justifie sa décision par l'ampleur d'un tel chantier. « C'est une emprise foncière qui est telle que la mairie de Marseille n'en dispose pas (...) et en plus si nous envisagions les travaux où se trouvent les palais de justice le quartier serait bouclé pendant des années », défend Eric Dupond-Moretti qui assure avoir « longtemps cherché un lieu en centre-ville et nous ne l'avons pas trouvé ».

Face aux craintes des acteurs économiques, il rappelle les propositions d'occuper les espaces laissés vacants par une antenne de l'école nationale de la magistrature, l'école du barreau « et peut-être une délocalisation de l'école nationale des greffes ». Suffisant pour « revitaliser » le quartier. D'ici le prochain printemps, une concertation menée par le préfet sur ce sujet est annoncée. Certains avocats avaient d'ores et déjà prévenu qu'ils attaqueraient tous les permis de construire. De quoi retarder un chantier qui s'inscrit dans un contexte de hausse des effectifs de magistrats alors que les fonctionnaires travaillent dans des bureaux exigus, dans sept sites et manquent de salle d'audience selon une étude de l'APIJ.

Un sujet qui, plus globalement, pose la question de la vitalité des centre-ville, de l'accessibilité de ces derniers. A Marseille, le sujet est d'autant plus prégnant que les attentes, liées au Plan Marseille en Grand, sont fortes. Entré en phase 2, Euroméditerranée accélère le déploiement de cette nouvelle étape, et l'attractivité de son périmètre s'en trouve évidemment renforcé. De nombreuses entreprises, à l'image de Free Pro, y ont installé son siège social. Comme souvent, difficile de maintenir des équilibres dès lors qu'un quartier devient encore plus attirant. C'est d'ailleurs là, tout l'enjeu : accompagner ce changement, intelligemment et sans dénaturer l'essence même de chaque centralité. Un vrai pari, qui encore une fois, place la deuxième ville de France sous les feux des projecteurs.

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