Cité judicaire à Marseille : ce déménagement qui pourrait « mettre à mort » le centre-ville

C’est le projet qui fait l’unanimité, mais pas dans le bon sens : en annonçant un déménagement dans une lieu hors du centre-ville, le projet de cité judicaire fait réagir avocats et acteurs économiques comme un seul homme. Avec une préoccupation centrale : quelle conséquence pour le centre-ville, alors même que les attentions sont focalisées sur la préservation de ces cœurs de cité ?
C'est dans le quartier d'Arenc, au coeur d'Euroméditerranée, que doit s'installer la future Cité judiciaire de Marseille
C'est dans le quartier d'Arenc, au coeur d'Euroméditerranée, que doit s'installer la future Cité judiciaire de Marseille (Crédits : DR)

La scène est inhabituelle. Le salon d'honneur du Palais de la Bourse, siège de la Chambre de commerce et d'industrie Aix-Marseille Provence, se remplit d'avocats en robe. Pas de procès en vue, si ce n'est celui d'un projet qui fait déjà l'unanimité contre lui : l'installation, choisie par le ministère de la Justice, pour la future cité judiciaire de la Cité phocéenne. Le quartier d'Arenc, en plein cœur d'Euromediterranée, doit en effet accueillir ce futur bâtiment de 40.000 mètres carrés. Le lieu exact n'est certes pas encore identifié, mais la zone se trouve, elle, à 4 kilomètres plus au nord de Marseille, en traversant le Vieux-port, des actuels palais Autran et Monthyon, où se déroulent les activités judiciaires de Marseille. Parmi les 111 quartiers de la ville, celui-ci est d'ailleurs nommé « Palais de justice ». Pas question donc pour ces avocats de le quitter.

"Il manque des chaises, c'est bien...", murmure avec le sourire Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre de commerce et d'industrie Aix Marseille Provence (CCIAMP) et hôte du jour. Accompagné de membres du barreau de Marseille, mais aussi de représentants des acteurs économiques, il veut montrer que "les concernés" par l'avenir de la future cité judiciaire font front. "Nous ne pouvons pas accepter que cette décision nous soit imposée sans concertation", affirme-t-il, pointant "la mise à mort de l'activité économique du centre-ville".

18,3 millions de perte pour le quartier

Selon une étude menée par la CCIAMP, la perte pour le quartier du Palais de Justice se chiffre à 18,3 millions d'euros par an. Dans le détail, la restauration pèse pour 40 % de cette somme (7,41 millions d'euros). "C'est un quartier avec une très forte présence de ce type de commerce", souligne Christophe Lowezanin, data scientist de la chambre consulaire. Les repas représentent 390.000 achats par an, un volume qui comprend aussi les articles des boulangeries. Pour le reste, les enseignes vestimentaires et les commerces alimentaires pèsent pour 18 % chacun du montant global. Une activité qui bénéficierait au naissant quartier d'Arenc ? Une théorie que balaie Jean-Luc Chauvin : "Nous avons déjà connu cette situation avec le déplacement du conseil départemental à Saint-Just et ça n'a rien créé".

Pour ce qui est du centre-ville, les 18,3 millions d'euros avancés sont tout de même à mettre en perspective au volume global qui se génère dans le quartier du palais de justice. "Environ 280 millions d'euros", avance Christophe Lowezanin en citant des données réalisées par un autre bureau d'études. La perte anticipée ne représenterait donc que 6,5 % de l'activité pour les alentours.

Peu au premier abord. "Mais notre étude ne prend pas en compte l'écosystème entier et l'effet d'entraînement", souligne encore Christophe Lowezanin qui d'ailleurs qualifie l'étude comme "minorant l'impact économique de l'activité judiciaire". Eu égard à la méthodologie employée, à savoir une enquête de consommation auprès des avocats - mais pas des magistrats et greffiers qui n'ont pas souhaité répondre - couplée à un volet statistique avec les données de consommation moyenne de l'Insee.

« Des ministères qui travaillent contre d'autres ministères »

Cette approche ne mesure donc pas la vie de quartier au sens large, avec des avocats qui vivent à proximité avec leurs familles. Elle ne prend pas en compte non plus l'impact foncier d'un déménagement. Aujourd'hui, sept avocats sur dix inscrits au barreau de Marseille sont actuellement localisés à 10 minutes à pied du Palais de justice. "Cela représente 48.000 mètres carrés, sachant que seulement 25 % des avocats sont propriétaires", ajoute Christophe Lowezanin. Autant d'éléments qui vont "chambouler tout le centre-ville" s'alarme Jean-Luc Chauvin, et aggraver la situation actuelle. "Notre taux de vacances est de 16 % quand il est plutôt de 12 ou 13 % ailleurs en France", souligne-t-il.

Le déplacement de l'activité judiciaire pose aussi une contradiction dans la politique menée par l'État. "On ne peut pas vouloir revaloriser les centres-villes d'un côté et de l'autre retirer une partie des clients", s'agace Bernard Marty. Le président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) du département n'apprécie pas le projet de créer une cité judiciaire loin de son lieu actuel. Il enchaîne : "Il y des ministères qui travaillent sur ce sujet avec le plan action coeur de ville, ils nous écoutent et puis là nous avons l'impression de recevoir un couteau dans le dos". Jean-Luc Chauvin tacle lui "des ministères qui travaillent contre d'autres ministères".

Quelles évolutions ?

La marge de manœuvre pour faire changer d'avis le ministère demeure floue. "J'ai rencontré le ministre qui m'a présenté son projet, ce n'était pas une concertation", raconte Mathieu Jacquier, bâtonnier du barreau de Marseille. Il estime que la décision finale du lieu d'implantation de la future cité judiciaire doit avoir lieu "en juin pour respecter le délai annoncé" qui est 2028. Du côté du ministère de la Justice aucune annonce officielle n'a été faite.

L'argument d'un déménagement repose principalement sur le sujet du foncier, puisque le futur site doit disposer de 40.000 mètres carrés. Mathieu Jacquier plaide lui pour une construction sur le site actuel, mêlant ancien et neuf "comme cela a été le cas à Anvers". Comme la CCIAMP, il souhaite que les avocats soient impliqués dans la décision. Une plaidoirie entendue ?

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