Carburants, électrification, énergie… comment l'innovation sert l'activité maritime et comment Marseille est en avance de phase

Sur toute la chaîne de l'économie bleue, l'innovation bouscule les habitudes pour permettre de poursuivre le développement de l'activité. Des changements qui touchent les fournisseurs d'énergie, les infrastructures portuaires, les armateurs et la réparation navale.
(Crédits : Camille Moirenc)

"Marseille est véritable un laboratoire à l'échelle de la Méditerranée". Les mots ne sont pas ceux d'un local de l'étape, mais de Emmanuel-Marie Peton de Meet2050 un institut français de la transition environnementale du maritime. Cet organisme prévoit de s'implanter à Nantes et au sein de la cité phocéenne dans les murs du campus Tangram, le centre de formation pilotée par CMA CGM. Car avec l'horizon de 2050, l'année choisie par l'Europe pour atteindre la neutralité carbone, le secteur du maritime doit profondément évoluer. C'est d'autant plus vrai pour la Méditerranée, mer fermée qui concentre de nombreuses activités et une cohabitation entre ports et villes. C'est cette proximité qui, à Marseille met sur le devant de a scène, la nécessité d'innover pour poursuivre le développement de cette économie bleue. Des armateurs, à la réparation navale en passant par les entreprises de technologies de l'énergie, tous soulignent l'avance de la place portuaire marseillaise.

L'un des choix forts est celui du GNL. Le premier avitaillement d'un navire en gaz naturel liquéfié dans le port en janvier était présenté par les acteurs locaux comme un tournant majeur. "A l'échelle locale cela apporte un gain immédiat pour les populations", note Dominique Robin, directeur de l'association de contrôle de la qualité de l'air AtmoSud. Si le GNL ne présente pas totalement les effets attendus en termes de lutte contre la pollution, cette énergie dite "de transition" sera bien présente dans l'évolution de l'industrie maritime. "En se basant sur les bateaux en commande, une tonne sur deux sera transportée en GNL. Ce gaz va arriver de manière importante et massive", confirme Thierry Chapuis, président de France Gaz Maritime. Selon lui, l'étape suivante sera le méthane. Reste à savoir avec quelle technologie pour le fabriquer.

GNL et filtres à particules

En attendant, le GNL nécessite que les armateurs s'adaptent. Lionel Adenet, directeur technique chez Corsica Linea, l'illustre avec le prochain navire de la compagnie, le A Galeotta qui débutera sa commercialisation en janvier. D'un point de vue technique, le GNL demande d'être conservé à de fortes températures négatives comparé au fioul et l'architecture du navire doit aussi être repensée. "Il faut également de nouvelles compétences, nous avons bâti des formations pour transmettre à nos équipes la culture gaz", explique Lionel Adenet. "C'est une autre manière de gérer un bateau et les risques ou employer de nouveaux termes avec les normes Atex et les installation cryogéniques", développe-t-il.

Hors de la navigation, cela nécessite aussi de créer une filière d'approvisionnement. "Selon la quantité ce n'est pas la même manière", note Lionel Adenet. Du côté de la réparation navale aussi il faut s'adapter. "Nous demandons des autorisations pour effectuer des travaux avec du gaz dans les cuves parce que les vider prend trop de temps", avance Jacques Hardelay, président du Chantier Naval de Marseille.

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Autre méthode, celle de La Méridionale avec son filtre à particules. "Cela convient pour le refit car le GNL s'équipe sur des nouveaux navires", précise François-Xavier Demotes-Mainard, le directeur de la flotte et des opérations. Pour schématiser brièvement, une injection de bicarbonate et une chaussette en téflon pour récupérer les métaux lourds permettent de "supprimer 99% du souffre et des particules fines" à quai comme en mer. Mais le système ne s'adapte pas à tous les navires puisqu'il impacte leur stabilité.

Le lourd investissement du branchement à quai

A quai, la connexion électrique des navires à quai (Cenaq) est présentée comme la solution la plus efficace. C'est sans aucun doute le sujet le plus emblématique des innovations portées par la place portuaire. Depuis 2019, deux postes à quai permettent à la Corsica Linea de se brancher. Un moyen d'éviter de laisser les moteurs tourner pour permettre l'utilisation de certains services et outils à bord. Une mutation qui a nécessité un investissement de 4,5 millions d'euros, dont 14% financés par la Région Sud et 14% par l'Ademe. "C'est un fort soutien sans lequel il aurait été difficile pour nous de réaliser ce projet", note Christophe Benoît, chef de projet chez Corsica Linea. "Le bilan c'est que nous pouvons dire que nous sommes à 100% d'émission de polluants en moins", enchaîne-t-il.

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L'infrastructure est lourde puisqu'elle comprend sur terre le poste d'alimentation principale avec transformateur, les câbles électriques, le poste à quai et la potence. En 2019, équiper l'ensemble de l'activité passager des bassins Est était chiffré à 20 millions d'euros. Christophe Benoît rappelle que "d'énormes investissements sont nécessaires" pour atteindre les objectifs de 2030 (l'Europe demande aux ports d'être dotés de ces branchements) car sur les 15 postes occupés par Corsica Linea seulement cinq sont équipés. Un chiffre qui prend en compte ceux du futur terminal du Cap Janet. Le futur navire au GNL de la compagnie ne sera d'ailleurs pas équipé d'un système pour se brancher à quai car il nécessite une fréquence de 60 hertz, or les infrastructures du port sont en 50 Hz.

"Les autorités portuaires se transforment en énergéticiens"

La fréquence de 60 Hz, c'est justement la norme américaine des bateaux de croisière américains. Avec une très forte hausse du nombre de touristes venus par ces géants des mers, la pollution augmente avec lorsque les bateaux stationnent dans la rade marseillaise. Des branchements à quai sont prévus, mais "cela ne signifie pas que les navires sont 100% électriques" prévient Mohamed Aït-Moulay, local business unit manager chez ABB. Il fait référence aux fumées noires qui s'échappent des bateaux lors du démarrage à froid dans les bassins. Là encore des innovations permettent aux armateurs d'éviter ces rejets. "Il existe des packs batterie pour quitter la ville en zéro émission. Ponant par exemple s'est équipé de ce système ce qui lui permet de manœuvrer sans émettre ces nuages de fumée", illustre Mohamed Aït-Moulay. En citant une autre compagnie, dont il ne donne pas nom, il explique qu'un équipement de 8,8 MWh suffit.

Avec ces nouvelles technologies, "la disponibilité de l'énergie devient un enjeu", estime Lorène Grandidier, business developer export chez Schneider Electric. "Les zones portuaires ont un foncier propice aux énergies renouvelables et il existe des solutions avec des réseaux intelligents. Mais la puissance massive requise, notamment pour la croisière, nécessite d'avoir recours au réseau d'Enedis", détaille-t-elle.

De son côté, Mohamed Aït-Moulay parle même de "révolution" avec "des autorités portuaires qui se transforment en énergéticiens". La gourmandise croissante en énergie de l'activité maritime pourrait "doubler la consommation de watts" estime Emmanuel-Marie Peton et placer le secteur en concurrence avec l'automobile ou le nucléaire pour trouver de la main d'œuvre qualifiée selon lui. En plus d'apporter des solutions, l'innovation peut aussi jouer un rôle d'attractivité sur le marché de l'emploi.

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