La Truffe de Provence : authenticité défendue

EPISODE 1 - Pour parler de la prestigieuse truffe noire, on utilise communément le terme de « truffe du Périgord ». Mais il ne faut pas s’y méprendre : il ne s’agit que d’un nom biologique. Car c’est dans le Vaucluse que sont ramassés les trois quart de la production nationale. Un patrimoine qu’entendent bien défendre les producteurs face aux tromperies et contre-façons. Inévitables pour un produit de luxe, rare, dont la demande ne cesse de croître.
(Crédits : DR)

Tuber melanosporum. Son nom a déjà des airs de formule magique. Sa couleur noire et ses effluves envoûtants complètent cet effet. Sans parler de sa genèse biologique : une symbiose entre un mycélium et un arbre truffier, un chêne le plus souvent. Les deux s'attachant, échangeant leurs pouvoirs. Ce, pendant un cycle de neuf mois au terme desquels intervient la main de l'homme, guidée par le flair d'un chien, d'un cochon ou même de mouches. A moins de suivre la mystérieuse piste des ronds de sorcières, cette zone brûlée autour des arbres du fait du pouvoir antibiotique de la truffe.

Surnommées « enfants » ou « callosités de la terre » pendant l'Antiquité, « fruits de Satan » au Moyen-âge, les truffes noires sont également désormais connues sous le terme de truffes du Périgord. Mais il ne faut pas s'y méprendre. Il ne s'agit que d'un nom biologique. « La truffe du Périgord n'est géographiquement pas plus Périgourdine que le champignon de Paris n'est parisien », compare Nicolas Monnier, trufficulteur dans le Lubéron depuis 1992.

On trouve en effet des truffes sur l'ensemble du territoire français (et pas seulement). Mais le Vaucluse arrive en tête, assurant entre 60 et 70 % de la production nationale.

Le Vaucluse : berceau de la trufficulture

Le climat et la géologie y sont évidemment pour quelque chose. La truffe appréciant « un sol calcaire, au PH basique, associé à un écosystème ensoleillé et sec l'été ». Elle a également besoin de pluies suffisamment abondantes entre mi-août et fin septembre.

Au-delà de ces atouts, le Vaucluse est également le département qui a vu naître la trufficulture, sous l'impulsion d'un homme, Joseph Talon qui, en 1808, a l'idée de mettre en terre des glands de chêne pour donner vie à des truffes. Avec succès.

Désormais, le Vaucluse compte 3700 hectares de truffières et 300 à 400 producteurs. Ils produisent chaque année une dizaine de tonnes de truffes qui sont souvent distribuées en direct, soit au sein des truffières, soit dans les marchés dont les deux plus grands, au niveau national comme européen, sont ceux de Carpentras et Richerenches.

Au delà du Vaucluse, on trouve, bien qu'en moindre volumes, des truffes dans tous les autres départements de la Région où la Fédération des trufficulteurs recense un total de 7650 hectares de truffières, dont 1700 dans les Alpes de Haute Provence, 1000 dans le Var, 800 dans les Bouches du Rhône et environ 200 dans les Alpes maritimes et les Hautes-Alpes.

Des acteurs mobilisés

Si bon nombre de trufficulteurs sont des amateurs qui s'offrent, grâce à leurs petites parcelles, un bienvenu complément de revenu hivernal (période de récolte), on trouve aussi des professionnels organisés au travers d'une fédération régionale, elle-même rattachée à une structure nationale. S'y ajoutent des syndicats dans chaque département. Des structures qui s'attellent à une mission : défendre la traçabilité d'un produit qui, de par son prix - entre 400 et 1000 euros le kilo selon le lieu de vente- suscite bien des convoitises. Et des tromperies.

Dans le pire des cas, celles-ci portent sur la nature même de la truffe vendue. C'est le cas avec la truffe de Chine (Tuber indicum) qui ressemble beaucoup à la tuber melanosporum mais dont les qualités gustatives sont moindres. Importée dès les années 1990 en Europe, elle déclenche l'ire de spécialistes et de la Fédération des trufficulteurs qui, pour combattre cette concurrence déloyale, mettent en place un système d'analyse basé sur l'étude des spores de la truffe. 46 agriculteurs ont ainsi été formés au contrôle des truffes en région. Une charte de qualité a également été mise en place.

Dans d'autres cas, la tromperie concerne la provenance de la truffe. « Même sur un marché comme celui de Carpentras, on trouve des truffes qui viennent de l'étranger. Notamment d'Espagne où l'utilisation de glyphosate est possible dans les truffières et où l'irrigation est abondante », pointe Nicolas Monnier qui regrette que l'origine des truffes ne soit pas suffisamment mise en valeur, leurrant parfois le consommateur qui, dans un marché vauclusien, pense ne trouver que des truffes locales.

Face à cela, à l'aube de l'hiver 2021-2022, le Syndicat des trufficulteurs du Vaucluse décide de créer une marque : Diamant du noir du Vaucluse. Celle-ci est gérée par une association dont Nicolas Monnier assure la présidence. « Cette marque ne concerne que des produits de producteurs », ce qui exclut les négociants. Ces trufficulteurs doivent répondre à un cahier des charges comprenant des règles sur les méthodes de culture (absence de pesticide, usage limité de l'eau), et sur la commercialisation pour garantir une offre de produits mûrs et frais. « La truffe doit être vendue dans les sept jours suivant le cavage », terme désignant le mode spécifique de ramassage des truffes.

Sensibiliser et changer les habitudes

Pour l'heure, cinq producteurs vauclusiens sont réunis sous cette marque. Un chiffre qui a vocation à croître. « A travers cet outil, nous voulons changer les habitudes des producteurs et des consommateurs ».

Des consommateurs qu'il s'agit alors de sensibiliser à travers la distribution de flyers à propos de la marque, à l'occasion des marchés aux truffes notamment. « On leur explique aussi comment cuisiner une truffe. Qu'une truffe ne se cuit pas ». Un message qui cible les produits transformés à base de truffes. « Une truffe est intransformable », assure Michel Santinelli, homologue de Nicolas Monnier dans les Alpes-Maritimes et président de la Fédération régionale des trufficulteurs. « Depuis quelques années, des enseignes proposent des produits tels que des huiles à base de truffes qui génèrent une forte demande ». Mais, assurent les trufficulteurs, la stérilisation, obligatoire pour la fabrication d'huiles et autres tartinables truffés, détruisent ses arômes naturels. « Alors, même s'ils mettent de vrais morceaux de truffe pour respecter la législation, le goût provient d'arômes artificiels. Nous ne sommes pas contre la vente de ce type de produits. Mais nous sommes contre la tromperie ». D'autant, ajoute Michel Santinelli, que ces arômes chimiques « trompent le palais. De sorte que lorsqu'une personne y est habituée, elle finit par trouver les vraies truffes fades ».

En plus de cette initiative locale, une demande d'IGP a été enclenchée par la profession, avec le soutien de la Région Sud. Une manière de préserver les savoir-faire liés à cette culture fragile. Et particulièrement vulnérable face au dérèglement climatique.

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