Comment Natural Solutions met la technologie au service de la biodiversité

Installée à Marseille, cette agence a développé un large panel d'outils visant à collecter et exploiter de la donnée sur la biodiversité, afin de mieux la préserver. Des outils qu'elle met au service d'acteurs très divers, allant des parcs naturels aux collectivités locales en passant par le grand public. Mais après quinze années d'existence, elle choisit de faire pivoter quelque peu son modèle pour se positionner en « cabinet de gestion du capital naturel, avec une forte brique technologique ». Une manière de dire que la technologie n'est pas une fin en soi mais bien un outil parmi d'autres. Au service du vivant.
(Crédits : DR)

C'est une tragédie qui se joue à bas bruit. Oiseaux des campagnes, insectes, reptiles, mammifères, flore... Chaque année, de nouvelles espèces naturelles disparaissent dans ce que les scientifiques qualifient de « sixième crise d'extinction ». Une crise plus rapide que jamais -seulement quelques décennies quand celle qui a vu s'éteindre les dinosaures a duré près d'un million d'années- et dont la responsabilité revient toute entière à l'humain. Usage massif de pesticides, réchauffement climatique, surexploitation des ressources, destruction des habitats naturels ... Les causes s'entremêlent et nous menacent directement, tant notre existence sur terre est intimement liée à celle des autres espèces.

A titre d'exemple, l'Office français de la biodiversité assure que depuis les années 1970, 68 % des populations de vertébrés ont disparu. Qu'avons-nous fait pour empêcher cela ? Pas grand chose. Nous avons numérisé nos sociétés. Internet. Les téléphones portables. Les réseaux sociaux. Nous avons produit une mine infinie de données qui valent de l'or. Oui, mais pour quoi faire ?

La numérisation a bien sûr permis certains progrès palpables dans plusieurs secteurs, parmi lesquels la santé. Mais au quotidien ? Les applications, les réseaux sociaux qui ont immiscé la publicité dans les moindres interstices de nos vies sont-ils un vrai progrès ? N'ont-ils pas érodé le lien social ? Ne nous ont-ils pas détournés de notre environnement ? Voilà le type de questions que se pose Olivier Rovellotti, informaticien. « Comme les papillons de nuit qui sont hypnotisés par la lumière, nous nous sommes laissés berner par les nouvelles technologies », compare-t-il. Le progrès promis par le numérique, il y a cru. Et il veut encore y croire. C'est ce qui le conduit à fonder Natural Solutions. Avec une ambition : celle de « mettre le meilleur de la technologie au service de la biodiversité ».

Rendre compte de la complexité du vivant

Comment ? En parvenant à rendre compte de la complexité qui fait le propre de la biodiversité. Et que l'on a bien du mal à se représenter.

En effet, les espèces interagissent les unes les autres, dans des relations d'interdépendance. Elles évoluent aussi, dans le temps comme dans l'espace. Mais la notion d'espèces ne parvient pas très bien à saisir cette complexité, pense Oliver Rovellotti. « Notre stratégie est de dépasser le goulot d'étranglement de la taxonomie ». Façon de ne pas focaliser les efforts de préservation sur seules quelques espèces choisies selon des critères subjectifs. « On a tendance à se concentrer sur les espèces les plus grosses, les plus spectaculaires, chassables ou comestibles ». Un prisme qui a contribué à négliger des animaux aussi indispensables que les vers de terre, pourtant essentiels à la fertilité du sol. Ou encore les papillons de nuit, dont on s'aperçoit que le potentiel de pollinisation est supérieur à celui de leurs cousins de jour.

Alors, pour rendre compte de la richesse d'un espace naturel, Natural Solutions s'appuie sur toute une panoplie d'outils allant de capteurs de sons à des pièges photographiques, en passant par le relevé manuel ou la donnée satellite. Autant d'outils qui permettent de collecter des données qui serviront ensuite à mieux préserver la biodiversité. Selon trois grands piliers.

Zones à préserver

Le premier pilier consiste en la préservation des écosystèmes non dégradés. « Il faut préserver des banques de gènes. Avoir des lieux où la vie pourra repartir. Il faudrait que cela représente 30 % de nos espaces naturels. En France, nous avons des aires dites protégées, mais elles ne le sont pas vraiment ». A l'image de zones marines protégées dans lesquelles la pêche industrielle est courante. Ou des parcs naturels où la chasse est autorisée. « En réalité, seules 1 à 2 % de zones naturelles françaises sont réellement protégées ».

Pour aider les territoires à atteindre l'objectif 30 %, l'entreprise a crée l'outil Biodisport qui permet d'inventorier le plus finement possible les usages d'un espace et des les croiser avec les données sur sa biodiversité. Dans le but de mieux mesurer l'impact des différentes activités humaines sur les écosystèmes. « Nous accompagnons par exemple la gestion du Parc naturel du Queyras sur ces sujets». Où il a notamment été question de se passer de prises de vue par drones lors d'un tour de France, pour ne pas perturber les rapaces présents.

Les restrictions peuvent aussi concerner toutes sortes d'activités de loisirs comme l'escalade ou la randonnée. Ce qui n'est pas toujours facile à faire accepter. « Les restrictions sont souvent très mal vécues lorsqu'elles ne sont pas accompagnées d'explications ». D'où le second pilier de l'activité de Natural Solutions : la reconnexion au vivant.

Reconnecter l'humain à son environnement naturel

Pour recréer du lien entre les humains et les autres espèces, Natural Solutions croit beaucoup en la notion de biorégions. Notion qu'Olivier Rovellotti définit comme « des territoires homogènes en sol et en climat ». Ainsi, la zone de l'étang de Berre n'a pas grand-chose à voir avec les Calanques de Marseille, ces dernières s'apparentant plutôt aux côtés grecques et crétoises. « Prendre en compte la réalité écologique et climatique d'un territoire permet de ne pas faire de bêtises, et de vivre de façon adaptée à chaque lieu ». A rebours de la tendance à l'homogénéisation des habitudes culturelles. « Quand on s'adapte à la réalité, on est plus résilients. Et quand un consommateur s'ancre sur le territoire où il se trouve, il comprend mieux les restrictions ».

Afin de donner corps à cette notion d'écorégions, Natural Solutions a par exemple créé l'application grand public Ecobalade qui recense une centaine de parcs français. Téléchargée plus de 100.000 fois depuis son lancement, elle permet aux promeneurs de mieux connaître la faune et la flore qui les entourent.

Restaurer tout ce qui peut l'être

Enfin, le troisième pilier de l'activité de Natural Solutions, - « peut-être le plus important », pense Olivier Rovellotti- consiste en la restauration de territoires malmenés par l'activité humaine. « Il faut faire de la restauration partout où on le peut, comme on peut ». Dans des friches, sur des toits, dans les champs au travers d'une agriculture plus propice à l'épanouissement d'une grande diversité d'espèces animales et végétales ... C'est là le but de la plateforme Ekoteka dédiée à la nature en ville. « Sur ce type de projet, on travaille en trois temps. Il faut d'abord inventorier la biodiversité et la croiser avec le cadastre pour poser une stratégie de renaturation en ville », ciblant notamment les lieux où la présence d'îlots de fraîcheur est la plus nécessaire. « Nous travaillons avec des villes comme Alès, Dijon ... ».

Mais les projets de restauration qu'accompagne Natural Solutions concernent aussi des forêts décimées par les incendies. Ou encore la création des zones humides pour prémunir certains territoires du risque d'inondations.

Néanmoins, sur ce marché de la restauration, beaucoup reste à faire. « Ce marché n'est pas encore complètement mature. La réglementation n'incite pas à restaurer partout où on le peut ». Parce que le système économique actuel ne s'y prête pas vraiment. « Il faudrait une refonte complète de notre vision de la valeur. Trop souvent, l'impact est la cerise sur le gâteau et non une fin en soi». Néanmoins, « la finance verte se développe très vite. Et pour comptabiliser l'impact de différents projets, elle aura besoin d'acteurs comme nous ».

La biodiversité comme fin, la technologie comme moyen

Après quinze années d'activité, Natural Solutions a noué des liens avec toutes sortes de clients et partenaires. Parcs naturels régionaux et nationaux. Collectivités locales. Entreprises. Caisse des dépôts et consignations ... Elle vient même de constituer, à deux pas du Vieux-Port, son petit écosystème : Le Récif ; un espace partagé qu'elle occupe et qui héberge cinq à six autres structures engagées pour l'environnement.

Et au fil du temps, sa mission a quelque peu évolué. « Au départ, on mettait la technologie en avant et la biodiversité arrivait ensuite. Maintenant, c'est l'inverse ». Fini l'allongement sans fin de sa liste d'outils technologiques et de capteurs en tous genres. Le plus important est désormais de trouver des solutions face à la destruction de la biodiversité. Le numérique est un outil essentiel. Mais il l'est au même titre que des technologies plus frugales, ou que l'intelligence collective qui parvient à faire travailler ensemble des acteurs peu habitués à coopérer. « Nous voulons désormais nous présenter comme un cabinet de gestion du capital naturel, avec une forte brique technologique».

Un virage que Natural Solutions veut officiellement amorcer au moment des Assises de la biodiversité, du 5 au 7 juillet prochains, à Marseille. Devrait s'ensuivre, d'ici la fin d'année, une levée de fonds de 2 millions d'euros pour progresser sur le sujet de l'intelligence artificielle. Une intelligence artificielle qu'il s'agit, bien sûr là aussi, de mettre au service du vivant. Renouant avec « la promesse initiale des pionniers du numérique et d'internet : celle d'apporter du bien à l'humanité grâce à la connaissance ».

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