« L'innovation participe à réduire certains impacts de l'activité humaine sur les océans, mais elle n'est pas la solution globale » (Romain Charraudeau, Ifremer)

ENTRETIEN - Disposant de plusieurs implantations en France, dont une à la Seyne-sur-mer, dans le Var, cet institut de recherche public a la particularité d’être entièrement dédié à l’étude des océans. Parmi ses raisons d’être : la préservation de ceux-ci grâce à une meilleure connaissance de ce qui s’y passe, à grand renfort de données notamment ; mais aussi l’émergence de solutions qui se concrétise depuis 2018 par une politique active de soutien à l’innovation. Ce, au travers plusieurs modalités que détaille Romain Charraudeau, directeur de l’innovation au sein de l’Institut.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE : Dans son plan stratégique courant la période 2018-2030, l'Ifremer donne une place importante à l'innovation. Pourquoi ?

ROMAIN CHARRAUDEAU : Jusque là, l'Ifremer s'est beaucoup impliqué dans la compréhension des océans. Puis nous nous sommes dit que ces connaissances pouvaient être source de solutions face aux principales menaces qui pèsent sur les océans comme la surpêche, les pollutions marines, les menaces liées au réchauffement climatique, mais aussi face à d'autres enjeux : nous nourrir, nous soigner, produire de l'énergie... Or s'il on veut que les solutions issues de la recherche aient un réel impact, il faut qu'elles soient diffusées et commercialisées. Et cela nécessite de s'interfacer avec les entreprises. Cela nous aide par ailleurs à voir autrement les questions de recherche, de façon plus pragmatique. Et nous donne des moyens supplémentaires puisqu'il s'agit de capter une partie des richesses créées sur la base de nos résultats de recherche.

Concrètement, quelles formes prend votre politique de soutien à l'innovation ?

On peut définir trois scénarios. D'abord, l'innovation peut provenir d'un de nos chercheurs qui identifie une solution et veut la faire monter en maturité. Nous soutenons alors l'équipe de recherche tout au long du processus, jusqu'à la preuve de concept et au transfert auprès d'une société capable d'industrialiser la solution.

Le second cas de figure, c'est lorsque des entreprises de toutes tailles font appel à nous pour divers besoins dans le développement de leur solution. Nous mettons en place des contrats de collaboration dans le cadre desquels nous les aidons à améliorer l'efficacité de ce qu'elles proposent, à en réduire l'impact sur l'environnement et à lever d'éventuels verrous technologiques. Nous pouvons aussi leur proposer des prestations, comme par exemple la réalisation de tests. Enfin, le troisième scénario concerne les startups, qui sont de bonnes porteuses pour des solutions particulièrement disruptives. Nous avons mis en place plusieurs mécanismes pour en créer ou accompagner celles qui existent.

Quels sont ces mécanismes de soutien aux startups ?

Nous avons par exemple lancé le concours Octopousse qui s'adresse à ceux qui veulent créer une startup dans le domaine de l'océan. Les lauréats de ce concours sont accueillis en résidence pendant une durée de 18 mois en CDD et sont immergés dans un laboratoire de recherche. Nous leur apportons également un soutien financier de 60.000 euros en fonctionnement, et il faut y ajouter l'investissement de nos équipes qui les accompagnent, soit une enveloppe totale de 250.000 euros par projet. Nous accompagnons entre une et deux entreprises par an. Au cours des trois premières éditions, nous avons suivi quatre projets et trois startups ont été créées. La dernière en date se trouve dans la région Sud et elle développe une meute de drones permettant de cartographier efficacement et rapidement les fonds marins.

En parallèle de ce concours, nous pouvons aussi investir en direct dans des startups. C'est un cas minoritaire mais cela peut aider à boucler un tour de table car notre présence rassure les investisseurs. Enfin, nous sommes impliqués dans le fonds Blue Ocean, premier dans le domaine des technologies de l'océan. Il dispose de 170 millions d'euros qu'il investit dans des startups répondant aux enjeux de la surpêche, de la pollution et du climat. Nous avons soutenu la création de ce fonds et nous le conseillons. Cela nous permet également d'être au courant des meilleures solutions développées à l'échelle internationale.

Vous l'avez dit, les startups que vous hébergez sont immergées dans les laboratoires de recherche, en lien avec les chercheurs. Comment ceux-ci ont-ils accueilli ce projet ? Monde de la recherche et monde de l'entreprise ont longtemps été séparés, voire jugés antagonistes...

Cela marche très bien. Les équipes de nos laboratoires se prennent au jeu et réfléchissent au développement de l'entreprise qu'ils accompagnent. L'aspect culturel est très intéressant pour nous. Nous avons à cœur de développer un réflexe d'innovation au sein de nos équipes de recherche. Si un chercheur a des résultats, nous voulons qu'il ait le réflexe d'en faire une innovation en collaborant avec une entreprise voire en créant la sienne.

Votre politique d'innovation tournée vers le monde de l'entreprise vous permet-elle de diversifier vos ressources et d'avoir davantage de moyens financiers ?

Pour le moment, ce sont les contrats de collaboration qui sont les plus rémunérateurs. Concernant les prises de participation, il faudra voir sur une échelle de temps plus longue.

Quels sont les principaux axes d'innovation de l'Ifremer pour les prochaines années ?

Il y a un gros sujet autour de l'énergie marine renouvelable et de son impact environnemental. Nous nous intéressons aussi à la surveillance environnementale qui permet, grâce au développement de nouveaux capteurs ou de divers systèmes d'observation, d'avoir un suivi de l'environnement et de mieux évaluer l'activité anthropique. Il y a également un potentiel dans le domaine des biotechnologies marines, dans les domaines de la santé, des cosmétiques et de l'alimentation. L'aquaculture est un autre sujet qui nous intéresse, de même que la pêche durable avec l'évaluation des ressources ou encore la mise au point de nouvelles techniques de pêche ayant un moindre impact environnemental.

Les océans sont au cœur des bouleversements environnementaux. Ils constituent d'immenses puits de carbone mais leur biodiversité est mise à mal par la hausse des températures et par leur acidification, elle-même majoritairement causée par la trop forte présence de CO2. Sans parler de la surpêche et des pollutions que vous avez évoquées. Face à ces défis vertigineux, que peut l'innovation et quelles sont ses limites ?

L'innovation peut participer à réduire certains impacts de l'activité humaine sur les océans en les mesurant, mais il ne faut pas attendre d'elle une solution globale. La sobriété est un enjeu majeur.

Par ailleurs, il n'est pas toujours facile de connaître l'impact d'une solution que l'on développe. Il y a quelques années, à la demande de la filière de l'huître, nous avons développé des huîtres triploïdes qui avaient la caractéristique d'être moins laiteuses. Mais nous nous sommes finalement rendu compte que cette transformation avait rendu les huîtres plus fragiles face à certaines maladies, ce qui nous a été reproché. Lorsqu'on innove, on n'a pas toujours toute la maîtrise des impacts. Nous y sommes désormais très vigilants. Il n'est pas question de développer des innovations à tout va. Il faut qu'elles soient réellement efficaces et que leurs impacts environnementaux soient le plus maîtrisés possible.

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Commentaire 1
à écrit le 25/05/2023 à 8:19
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Elle a surtout entrainé les océans du monde dans une spirale mortifère qu'elle ne pourra pas rattraper.

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