« Skema doit travailler encore davantage son pouvoir d’influence » (Alice Guilhon)

Née en 2009 de la fusion entre le CERAM Business School, basé à Sophia-Antipolis et l’Ecole supérieure de commerce de Lille, l’établissement, dont le siège social demeure ancré au sein de la technopôle n°1 d’Europe, déroule sa stratégie en effectuant les pivots nécessaires pour rester en adéquation avec les évolutions de la société. Ce qui signifie dessiner le campus de demain, déployer un « digital for good » dont l’IA est partie prenante, aller là où on ne l’attend pas forcément, comme sur la création de podcast… Une stratégie que mène Alice Guilhon, sa directrice générale, particulièrement sensible par ailleurs, aux sujets de féminisation des métiers de l’ingénierie comme à la prise en compte de la parole – et des attentes – des jeunes, ce que sert l’Observatoire des jeunesses, récemment créé. Skema qui poursuit son déploiement mondial, comme le souligne l’entrée en négociation exclusive annoncée mi-septembre avec le Fashion Institute of design and merchandising, sis à Los Angeles aux Etats-Unis.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En juin dernier, le Financial Times classait Skema Business School au quatrième rang mondial des meilleures écoles en finances pour son programme MSc Financial Markets & Investments. Comment parvient-on à ce résultat ?

ALICE GUILHON - Dans l'académique, nous sommes sur des temps longs et des boucles d'apprentissage qui prennent du temps. Ce qu'il faut savoir, c'est que depuis la naissance de Skema - mais même avant, les deux écoles fondatrices étaient très réputées en finance. Sur le campus de Sophia-Antipolis, nous avions un master qui a toujours été fameux, qui est passé tout en anglais en 2006 et qui était très performant, en ce sens que nous avons toujours placé les étudiants dans les meilleures places de marché du monde. Cela fait maintenant trente ans de capitalisation et d'histoire en finance. Nous avons toujours été dans le Top 10 du ranking du Financial Times et cela fait désormais 5 ans que nous sommes dans le Top 4 et c'est parce que nous avons investi, nous avons eu des diplômés très emblématiques qui ont toujours joué le jeu avec nous, ont recruté eux-mêmes. Ce classement est aussi le fruit de la partie scientifique - nous avons quatre des plus grands chercheurs en finance, de jeunes professeurs qui montent... - sans oublier les entreprises qui travaillent avec nous. C'est tout ce cocktail qui fait la réussite du programme.

Entre le moment où vous prenez des orientations stratégiques et le moment où vous pouvez mesurer le résultat, il existe un vrai temps long...

Il faut 5 ans pour produire un étudiant en master. Ce n'est pas le temps de la grande distribution, ni celui de la tech. C'est de la capitalisation. Cela signifie que nous devons travailler, que l'on doit nous faire confiance... Ce sont donc des relations de très long terme.

Vous avez fait de votre campus installé au sein du Grand Paris et inauguré en mai dernier, le campus de demain. Comment imagine-t-on le campus du futur et ses usages ?

Nous avons une stratégie multinationale. Pour être très forts dans le monde, il faut être très fort chez soi. Nos racines sont françaises, il fallait que nous soyons très visibles à Paris, au sens large. Lorsque nous avons décidé d'implanter un hub très visible à Paris nous l'avons dessiné pour les étudiants. Nous avons beaucoup interrogé nos étudiants en leur demandant ce qu'un campus représentait pour eux. Dans la tête de tout le monde, il y a dix ans, un campus c'est un lieu dans lequel on vient, on prend ses cours et on repart. Or, les jeunes générations ont des besoins différents. Nous avions déjà travaillé sur les fibres d'ADN pour notre plan stratégique et nous nous étions aperçus que le besoin d'appartenir à des communautés, le besoin de réseau social physique, le besoin d'interaction est prégnant. Au plus on est dans de la digitalisation de l'économie et l'intelligence artificielle, au plus les jeunes générations ont besoin d'être proches, de se parler, de se voir. Le campus n'est donc plus nécessairement un lieu pour un apprentissage pédagogique, mais un lieu des apprentissages. Ces apprentissages sont à la fois des apprentissages pédagogiques, des apprentissages de la vie et des apprentissages de réseaux. C'est le campus qui va générer des opportunités d'interaction que les jeunes n'auraient pas par ailleurs. Ce campus dispose donc de salles de classe mais aussi de nombreux endroits où les étudiants peuvent se réunir, déjeuner, travailler, s'isoler, jouer, où ils vont créer leurs communautés par affinité. Ce n'est pas un campus, c'est un lieu de vie et c'est une prolongation de leur espace personnel dans un espace communautaire. Les jeunes générations ont leur propre façon d'interagir entre eux, il faut les laisser faire. Nos réétudions nos autres campus pour les mettre dans cette philosophie.

Le coût des frais de scolarité et plus globalement l'accès aux grandes écoles pour tous sont de vrais sujets qui ont poussé de nombreuses écoles à revoir leur modèle. Skema a noué un partenariat en mars dernier avec le groupe Premium afin d'offrir 30 bourses dans le cadre du programme Bachelor Global BBA...

La diversité fait partie de nos valeurs. Pour nous, la diversité s'exprime à bien des égards puisque nous sommes l'une des seules institutions d'enseignement supérieur à être une multinationale et chez nous avoir des étudiants, des enseignants, des collaborateurs de toutes nationalités, c'est important. Nous avons poussé la diversité culturelle, ethnique, sociale. Nous travaillons sur nos territoires pour être le plus inclusif possible. Aucun étudiant doit se dire qu'il ne peut pas, pour des raisons financières, entrer à Skema. Nous travaillons sur l'inclusion et le respect de toutes les cultures religieuses, sociales, ethniques. Le plus grand challenge du XXIème siècle, c'est de réussir la diversité. Est-on capable de faire en sorte que l'Humanité respecte la diversité ? L'inclusion fait donc partie de nos valeurs. Tout ce que nous avons signé avec Premium et Olivier Farouz doit donner la possibilité aux étudiants de se dire qu'ils peuvent intégrer Skema et qu'ils sont aidés par une entreprise dont le dirigeant lui-même est issu de la diversité et qui a la volonté de donner leur chance à plusieurs étudiants. Notre politique de transition repose sur 3 D, le premier est diversité, le second est décarbonation et le troisième est digital for good.

L'EdTech - qui est un peu un terme générique - a révolutionné l'apprentissage. Quelle est votre stratégie sur ce point ?

Lorsque nous avons créé Skema, l'idée de mettre la technologie au service de l'éducation était vitale pour nous. Avec sept campus aujourd'hui - et demain avec 15 campus - on ne peut répéter les mêmes choses mille fois. Il nous semblait évident de mettre de la technologie au service de notre multinationalité, cela pour éviter des déplacements et pour que les étudiants aient accès au même contenu. 100% de nos salles sont connectées. La technologie est vitale pour nous. Mais, la période Covid a néanmoins eu un impact. Les étudiants font désormais un rejet de la distance. L'idée est de revenir à des enseignements plus physiques. C'est le sens de notre digital for good. Nous travaillons beaucoup sur des outils d'intelligence artificielle appliqués à l'éducation pour pouvoir adresser la distance sans que les étudiants aient l'impression d'être exclus du jeu, parce que derrière un écran. Il existe beaucoup d'outils dans l'IA générative, dans les plateformes d'IA interactive qui nous permettent d'adresser à la fois la distance et la digitalisation, mais pas de la digitalisation qui rejette. Nous avons créé des plateformes d'intelligence artificielle dans notre centre d'IA, qui comprennent des algorithmes, du codage, de la réalité virtuelle... Les étudiants peuvent ainsi se plugger, échanger, interagir.

Pourquoi avoir créé un centre d'intelligence artificielle ? Quel est son rôle ?

Nous avons en effet créé un centre d'innovation il y a deux ans, basé à Montréal. C'est un centre qui s'intéresse à l'intelligence artificielle appliquée à l'éducation. Nous avons des développeurs, des datascientist qui travaillent notamment sur ChatGPT nouvelle génération. Nous testons ces outils et au-delà nous avons créé des plateformes, des cours, des programmes que nous injectons dans la galaxie Skema pour que les étudiants puissent bénéficier tous de ces formations.

Skema a créé son propre podcast, baptisé Makes Sense ? depuis mai dernier. Il vient d'ailleurs d'obtenir le Prix Argent au Grand Prix Stratégies 2023. Au-delà du phénomène qui voit les podcasts devenir un outil de diffusion du savoir très apprécié, pourquoi ce format ?

Cela fait partie des nouveaux outils de communication que nous avons créé. Les professeurs sont heureux de pouvoir mettre au service du grand public, leurs compétences pour vulgariser et expliquer, toujours de façon un peu ludique. Notre plan stratégique comprend trois axes, mettre l'école à l'avant-garde, être un acteur engagé et être une institution glocale. Et être un acteur engagé signifie avoir de l'impact. Pour cela, l'école ne peut pas parler uniquement à des étudiants ou à des professeurs. Il faut aussi avoir de l'impact sur le grand public. Le podcast permet de vulgariser la connaissance des professeurs et de la rendre utile, de la rendre consultable à tous les niveaux de la société. Cela fait partie de notre mission de mettre à disposition des outils de compréhension de la société.

En termes de diversité, il y a également cet Observatoire de la féminisation, qui publie chaque année une étude soulignant les évolutions de la féminisation au sein des instances dirigeantes. Une étude précieuse pour mesurer les actes des grandes entreprises et qui dit aussi beaucoup de la société.

Nous devons travailler encore davantage notre pouvoir d'influence. Cette étude est toujours très attendue. Il faut arriver à faire bouger les entreprises que Michel Ferrari appelle des entreprises machistes. Et elles le sont souvent pour une raison structurelle. Ce sont souvent des entreprises basées sur l'ingénierie, or, dans les écoles d'ingénieurs, on arrive tout juste à 20% de femmes. Même si ces entreprises désirent changer, elles doivent le faire en changeant totalement de braquet de recrutement. Or, leur besoin est de recruter des ingénieurs... Le mal se joue plutôt dans la petite école. Il faut démystifier la science, les mathématiques, les techniques quantitatives auprès des jeunes femmes et cela se joue culturellement dans les familles. Il y a tout un travail d'accompagnement des jeunes dans le milieu secondaire à mener. Et le travail est colossal.

Quelle est votre stratégie de développement et de croissance pour les prochaines années ?

Nous ouvrions probablement encore trois ou quatre sites dans les dix prochaines années. Probablement l'Inde et le Moyen-Orient, l'Australie et probablement l'Europe aussi. Et puis, nous avons une stratégie où nous avons déployé des campus à l'étranger qui peuvent eux-mêmes déployer la marque. Il y aura probablement d'autres implantations dans des pays où Skema est déjà présente. En termes de croissance, nous atteindrons rapidement 18.000 étudiants. Notre objectif n'est pas de devenir le groupe qui réunit 20.000 étudiants mais d'avoir des campus à taille humaine. Nous inclurons probablement beaucoup d'intelligence artificielle dans nos produits, nous développerons des programmes plus innovants avec la quête de se dire quels sont les métiers de demain... Nous avons lancé un Observatoire mondial des jeunesses, qui rencontre un succès incroyable. Nous avons recueilli un million de contributions partout dans le monde. Nous sommes à l'écoute des jeunes, leur parole compte. Nous devons être capable de faire le relais auprès des gouvernements et des entreprises.

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Commentaire 1
à écrit le 05/10/2023 à 8:31
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Trop de "business school" d'abord et avant tout non ?

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