Dans le Sud, la Convention des entreprises pour le climat veut transformer l'économie locale

REPORTAGE - Face aux urgences environnementales, de plus en plus d'entreprises assurent tenir compte de ces enjeux et proposent de viser l'impact zéro. Sauf que le mal est fait et que six des neufs limites planétaires ont été dépassées. Il est donc urgent d'aller plus loin, pense la Convention des entreprises pour le climat. Créée à Paris avant de prendre racine dans plusieurs territoires français, celle-ci accompagne les entreprises vers une transformation profonde de leur modèle économique. Faisant d'elles des entreprises régénératives, capables de réparer une partie des dégâts causés à l'environnement. Reportage à Marseille, à l'occasion d'une journée de travail dédiée à la coopération.
(Crédits : DR)

En ce chaud matin de septembre, l'Épopée fourmille. Situé dans les quartiers nord de Marseille, ce tiers-lieu dédié à l'innovation éducative, accueille aujourd'hui une session de la Convention des entreprises pour le climat (CEC) Provence-Corse.

Sur sa terrasse ombragée, dans ses espaces de travail comme dans ses couloirs, des patrons, des responsables RSE, des représentants d'institutions cogitent. Et les discussions vont bon train.

Dans une salle à la porte ostentatoirement décorée de boules de pétanque, de petites grappes de personnes se sont formées. L'ambiance est détendue. Façon vie étudiante. On parle régénération de biodiversité et coopération.

« Ce dispositif nous permet de vite voir les synergies possibles entre nous tous », explique un cadre du Crédit Agricole Alpes-Provence présent dans la salle. A ses côtés, des représentants de la PME cosmétique Pulpe de vie, d'Aromazone ou encore de la startup Telaqua qui optimise la consommation d'eau des agriculteurs. Comme tous les autres groupes, ils s'attellent à bâtir un projet commun. Il s'agirait en l'occurrence d'un label certifiant les agriculteurs ayant des pratiques régénératives. Eux s'intéressent à la biodiversité, tandis que dans d'autres salles, certains ont choisi de se pencher sur les enjeux liés à la jeunesse, l'emploi ou bien encore l'alimentation durable.

« Viser un impact net nul ne suffit plus »

Cette session de 48 heures est la cinquième du programme de la CEC Provence-Corse, association née d'un concept national crée en 2021 à Paris.

L'ambition : transformer l'économie pour la rendre compatible avec les limites de la planète avec le climat comme pierre angulaire, bien que les aspects de biodiversité, de gestion de l'eau, de qualité des sols (imbriqués les uns les autres) soient aussi pris en compte.

« Viser un impact net nul ne suffit plus. Nous accompagnons les entreprises vers la mise en place d'une feuille de route qui leur permettra d'avoir un impact positif sur l'environnement à l'horizon 2030 », explique Nicolas Chabert, président de la CEC Provence-Corse. Ce qui implique de transformer en profondeur le modèle économique des entreprises, à l'image de Renault Trucks qui, suite à sa participation à l'édition nationale de la CEC, a complètement repensé son modèle. « Renault Trucks a décidé de diviser par deux le nombre de camions fabriqués. L'entreprise s'est recentrée sur le cœur de métier qui est de transporter des produits d'un point A à un point B et a cherché une manière de s'orienter vers des modes de transports plus verts ». De sorte que le groupe mise désormais davantage sur le ferroviaire pour les longues distances et sur la fabrication de petites camions électriques pour le dernier kilomètre.

Introspection d'entreprise

Changer le modèle économique est-il toujours possible ? Certaines activités ne sont-elles pas intrinsèquement incompatibles avec la préservation de l'environnement ? « C'est une question que les participants sont amenés à se poser : ai-je le droit d'exister ? », explique Nicolas Chabert. « Personnellement, je dirigeais une entreprise qui ne faisait que de la publicité. Je l'ai fermée ».

Une démarche d'introspection qu'il était « fondamental », pense Nicolas Chabert, de décliner sur les territoires. Au plus près de toutes les entreprises et des réalités environnementales.

Soixante-dix organisations ont ainsi répondu présentes à l'appel de la CEC Provence-Corse. Des TPE et des PME dans 80 % des cas, mais aussi de grands groupes et des institutions comme le Parc naturel national des Calanques, Rising Sud, ou encore la Société des Eaux de Marseille.

Des acteurs très divers donc, qu'il faut parvenir à fédérer au sein d'un collectif, autour d'une cause commune. C'est là tout l'objet de la toute première session du dispositif. Une session particulièrement bouleversante comme en témoignent les participants.

La claque

« Cette première session, on l'appelle la claque », explique par exemple Sandrine (ici, toute le monde s'appelle par son prénom), qui dirige la Société des Eaux de Marseille. « On assiste à des interventions d'experts, des représentants du Giec... Et en même temps on touche à l'émotionnel », se rappelle-t-elle tête baissée, faisant glisser son index entre les rainures de la table en bois. « Je croyais avoir compris ce qui se passait. J'ai été touchée dans mes tripes. Concernant le recyclage par exemple, j'ai découvert que cela ne suffit pas et qu'il faudrait diviser par six notre production de déchets ». En participant à la CEC, elle espère partager ses connaissance sur l'eau, ressource au cœur des préoccupations après avoir été ignorée, considérée à tort comme acquise.

Pour Marie, directrice générale de la société d'assurance Candide, le choc a aussi été violent. Comme Sandrine, elle « pensait savoir », « je pensais que cela toucherait des générations plus lointaines. Mais quand j'ai compris que cela concernait directement mes enfants, ça a été un choc. J'en ai pleuré. Nous n'avons plus que jusqu'à 2030 pour agir, après on ne pourra plus revenir en arrière ».

Le passage à l'action

Mais l'électrochoc ne doit pas rester vain. Il doit alimenter l'action et souder un collectif.

En cette cinquième journée, les feuilles de route qui ont vocation à réorienter le modèle des entreprises, commencent à se remplir.

Pour la directrice de Candide par exemple, plusieurs pistes ont été identifiées. « En tant qu'assureur, nous sommes exposés au risque climatique. On pense aux sécheresses bien sûr, à l'usure des bâtiments, à l'agriculture, aux problèmes d'approvisionnement, aux conséquences sur la santé... Nous pouvons mettre notre expertise au service de la prévention vis-à-vis de nos clients. On pourrait encourager des pratiques vertueuses et pourquoi pas proposer une offre liée à l'économie circulaire... Parfois, certains n'agissent pas comme ils voudraient car des freins les en empêchent. Nous avons peut-être la possibilité, en coopérant, de lever ces freins ... »

Pour Clisthen, qui dirige une PME corse, l'enjeu est de s'orienter vers « l'arrêt des activités négatives et de booster celles qui redistribuent les cartes ». Ce, en lien avec toutes les parties prenantes : clients, fournisseurs, mais aussi les comités de direction, pas toujours faciles à convaincre. D'où une réflexion au sein de la CEC locale pour ouvrir les portes de sa première session choc aux membres de ces comités.

Convaincre au-delà

Car la CEC Provence-Corse a bien l'intention de semer des graines pour une transformation globale de l'économie du territoire. Lors de la prochaine session prévue en octobre, les 70 structures participantes partiront avec une feuille de route voulue ambitieuse. Parviendront-elles à la mettre en place ? C'est la question que se pose Marie Hélène, participante venue de Grasse, qui travaille pour Canestria Arcade Beauty, dans la parfumerie. « Nous sommes une PME de 90 salariés et depuis le covid-19, nous sommes en permanence dans la gestion de crises. On manque de temps, on manque d'argent. Alors j'espère qu'on gardera tous contact et que nous aurons régulièrement des piqûres de rappel ». La CEC Provence-Corse entend ainsi construire un réseau d'alumni et la constitution d'une seconde promotion est en réflexion.

Mais si les entreprises jouent un rôle crucial dans la transformation de l'économie, leurs efforts doivent aller de pair avec des politiques publiques ambitieuses. Politiques d'innovation et de sobriété. « Quoi que nous fassions, nous avançons dans un système capitaliste qui recherche la croissance », souligne ainsi Clisthen. Pour sortir de ce système, il faudrait ainsi repenser les objectifs communs, revoir la définition et la mesure de la valeur, au moyen d'indicateurs autres que le seul PIB.

Besoin de politiques publiques ambitieuses

Les entreprises présentes demandent aussi des mesures de soutien. « Nous avons besoin d'une politique régionale plus concrète. Il est temps de passer des mots à l'action. Les acteurs privés ont de vraies attentes, sur l'eau, sur les friches... », pense Nicolas, cofondateur de la startup Telaqua.

L'accès à la connaissance est également un besoin mis en avant par plusieurs participants. « Cela fait quarante ans que des institutions travaillent sur ces sujets environnementaux avec les collectivités locales. Et les entreprises ?, interroge quant à elle, la directrice de Candide. « Comment on fait ? Lorsque nous implantons une entreprise, nous ne savons presque jamais rien sur ses caractéristiques en matière de biodiversité ».

La CEC Provence-Corse a justement vocation à créer des passerelles entre tous ces acteurs. Pour dépasser les rivalités au profit de coopérations. Vital face aux défis environnementaux qui sont, plus que jamais, collectifs.

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