Desserte aérienne de service public : le dilemme corse

Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, la compagnie régionale Air Corsica, délégataire historique du marché de service public relatif aux liaisons entre la Corse et le Continent, est confrontée à la concurrence de la compagnie espagnole Volotea dont la proposition est deux fois moins élevée. Le choix de l’embarras pour la Collectivité de Corse qui doit désigner prochainement le délégataire…
(Crédits : DR)

C'est la sueur au front que les élus de l'Assemblée de Corse s'apprêtent, dans quelques semaines, à désigner l'opérateur qui assurera la prochaine délégation de service public (DSP) aérienne entre les quatre aéroports internationaux (Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari) et les trois du Continent, Paris-Orly, Nice et Marseille. Historiquement opérée par la compagnie régionale Air Corsica (en partenariat avec Air France pour la desserte de la Capitale), la prochaine DSP sera attribuée pour une période de quatre à compter du 1er janvier 2024. Dans le secteur du transport aérien, une compétence qui relève de la Collectivité de Corse au titre de son statut particulier, l'île a toujours échappé à la concurrence si l'on excepte la tentative, en 1999, d'Air Littoral qui a depuis déposé le bilan.

L'ouverture des plis, le 18 juillet dernier, consécutive à l'appel d'offres, est venue confirmer la rumeur : Air Corsica n'est pas la seule candidate en lice. Volotea s'est mise sur les rangs et propose d'assurer en partie la desserte de service public à destination d'Orly et de Marseille au départ d'Ajaccio et de Bastia. La compagnie catalane, dont la présence en Corse depuis 2012 n'a cessé de s'intensifier (47 000 vols, 6 millions de passagers transportés dans l'île, dont plus de 400.000 cet été), a fait une offre pour remplir les obligations de service public à 50 millions d'euros, presque deux fois moins que celle d'Air Corsica (96 millions). En prime, elle prend l'engagement de créer une base délocalisée en Corse et de privilégier l'emploi local. On comprend un peu mieux la fébrilité des élus de la majorité territoriale nationaliste, son président Gilles Simeoni en tête, à la perspective de la désignation du futur délégataire, inscrite à l'ordre du jour de la session de l'Assemblée de Corse prévue les 23 et 24 novembre prochains.

Air Corsica, l'enfant du pays

Les élus de la Corse et une large majorité de la population insulaire ne voient pas d'un très bon œil l'arrivée de Volotea dans le paysage, comme l'atteste la campagne sur les réseaux sociaux pour la décrédibiliser. Pourtant, la Catalogne est perçue comme un modèle idéal pour ceux qui revendiquent un statut d'autonomie pour l'île. Dans le contexte aérien, la compagnie espagnole est plutôt considérée comme un trouble-fête.

Il faut dire qu'Air Corsica, suscite un attachement affectif. C'est le bébé de la décentralisation, la compagnie identitaire par excellence, créée en 1989 par l'Assemblée de Corse, qui transporte 2 millions de passagers par an - essentiellement des résidents qui bénéficient de tarifs préférentiels - et emploie 660 salariés en CDI. L'écarter de la DSP, même si la logique de marché et la réglementation européenne le suggèrent, ce serait provoquer une casse sociale et un traumatisme dans une île où le taux de chômage et le niveau de pauvreté sont les plus élevés de France.

Au-delà de la dimension territoriale se situe une véritable anomalie, pour ne pas dire une aberration : l'arbitrage de la DSP aérienne incombe à la Collectivité de Corse alors même qu'elle est le principal actionnaire (à hauteur de 65%) d'Air Corsica. Contre toute éthique juridique, elle est juge et partie. Ce cas d'école n'émeut pas le ministre des Transports. Dans un entretien accordé à Corse-Matin le 14 août dernier, Clément Beaune ne se mouille pas : « L'attribution du marché est une compétence de la Collectivité de Corse, donc je n'interfère pas, mais je crois qu'il faut voir la réponse à ces offres comme une bonne nouvelle. Cela montre que la Corse est attractive. »

« Une équation extrêmement complexe »

Comme le permet la procédure d'appel d'offres, des négociations sont en cours entre la puissance délégante et les deux compagnies soumissionnaires. Mais compte tenu de la différence abyssale de l'offre, une entente paraît improbable.

Entre Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif de Corse, et Gabriel Schmilovich, le directeur de la stratégie de Volotea, il n'y a que les initiales en commun. Dans l'esprit du premier, risquer l'arrêt de mort d'Air Corsica n'est pas envisageable. Mais il le reconnaît publiquement : « Nous sommes confrontés à une équation extrêmement complexe ». Quant au second, il prévient aimablement : « Nous avons les moyens juridiques de nous défendre. »

Le message est clair : si elle perd le marché malgré une offre très avantageuse, Volotea s'engouffrera dans la brèche procédurale ouverte par la compagnie Corsica Ferries qui, écartée de la DSP maritime au profit de Corsica Linea, a obtenu de la justice administrative en 2021, que la Collectivité lui verse pour distorsion de concurrence des réparations à hauteur de 95,5 millions d'euros.

Volotea a été désignée par le passé comme la compagnie low cost la plus ponctuelle d'Europe. Nul doute qu'elle le serait aussi devant les tribunaux...

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.