« Le vrai sujet de fond, c'est le rapport au travail » (Pierre Ippolito, président UPE06)

A quelques heures de l'ouverture de la Rencontre des entrepreneurs de France, qui se tient à l'Hippodrome de Longchamp en région parisienne ces 28 et 29 août, le président du l'Union pour l'Entreprise 06 (qui regroupe Medef et CPME) analyse la situation économique tricolore, évoque la fiscalité et le besoin maintes fois répété de stabilité, celle capable d'inciter - ou pas - les chefs d'entreprises à investir. Pierre Ippolito appuie surtout sur un rapport au travail qui s'est profondément modifié et dont il faut absolument tenir compte, et insiste sur un autre besoin, celui de la nécessaire baisse des dépenses publiques. Deux sujets sur lesquels le PDG du Groupe Ippolito attend particulièrement Elisabeth Borne.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Inflation, guerre en Ukraine, préoccupations climatiques... la rentrée 2023 ressemble beaucoup à la rentrée 2022 : qu'en est-il du moral des patrons ?

PIERRE IPPOLITO - Votre réflexion est juste. Nous sommes dans la même situation que l'an dernier, mais pas pour les mêmes raisons. Le constat est identique dans le sens où nous avons l'impression d'être engagé dans un tunnel et de ne pas encore percevoir la lumière qui se trouve au bout. Les problèmes n'ont pas eu raison de nous mais il est difficile de se projeter avec sérénité. Et la capacité à se projeter, c'est précisément ce qui décide le chef d'entreprise à investir, à créer de la valeur. L'humeur ambiante n'est pas à l'euphorie mais on ne sent pas, non plus, de forte inquiétude. Le tourisme a connu un été particulier, les Français sortent moins, dépensent moins. La Côte d'Azur a été préservée, pour sa part, grâce à la présence de la clientèle étrangère. L'industrie, qui a connu beaucoup de contraintes, a réussi à créer de l'emploi, les ratios le démontrent.

A quelques heures du début de la toute première Rencontre des Entrepreneurs de France sous l'ère Patrick Martin, élu président du Medef en juillet dernier, un sujet fait déjà grincer des dents, celui de la non suppression de la CVAE avec l'étalement de la baisse des impôts de production - une attente des chefs d'entreprises qui avait été officialisée par Bruno Le Maire en 2021 à cette même REF - sur 4 ans. N'est-ce pas un mauvais signal, capable de remettre en cause les projets d'investissements, surtout ceux liés à la réindustrialisation ?

Si même les institutions politiques ne tiennent pas parole, cela complique le travail du chef d'entreprise. Nous ne sommes plus dans une relation de confiance et d'espérance. De plus, on ne s'attaque pas au problème du mammouth, celui de la baisse des dépenses publiques. Comment envisager d'augmenter les prélèvements quand la France c'est trois fois la Suisse ? On n'entre pas dans un système vertueux. Et le vrai sujet concerne la réduction des dépenses publiques, un sujet qui n'est pas sur la table. De nouvelles taxes potentielles, des promesses sur lesquelles le gouvernement revient... nous nous retrouvons dans une instabilité fiscale. Taxer davantage ne règle pas le problème. Le vrai problème de fond est un problème sociétal, c'est le rapport au travail et le rapport au pouvoir d'achat. Celles qui sont le plus pénalisées, les classes moyennes, sont celles qui le méritent le moins. Tant que nous ne valoriserons pas le travail à sa juste valeur, nous aurons un problème. Il n'est pas possible pour les entreprises d'augmenter les salaires si on continue de les taxer. Le gouvernement veut que l'entreprise joue un rôle sociétal mais la contrepartie est que l'entreprise doit avoir le pouvoir de jouer ce rôle. Un autre sujet reste à revoir, celui du système d'assurance maladie des salariés. Les contrôles réalisés - je rappelle que c'est l'entreprise qui paye ce contrôle - ne doivent pas l'être a posteriori.

La réforme engagée sur l'assurance chômage est une réformette. La décote doit être plus importante. Il faut une réforme de l'assurance chômage et du travail qui soit extrêmement dure et alors nous pourrons revaloriser les salaires. N'oublions pas que beaucoup de liquidations judiciaires se font pour des raisons sociales et pas pour des raisons économiques.

« Demain ne meurt jamais » est le thème général de cette REF 2023. Les chefs d'entreprises sont donc d'inoxydables optimistes ? Quelles sont les réformes qui pourraient véritablement conforter leur foi en l'avenir (autre thème de la REF 2023) ?

En effet, l'entrepreneur n'abandonne jamais. C'est connu, donc on peut continuer à taper sur lui. Mais l'entrepreneur avance. Comme disait Winston Churchill, « on considère le chef d'entreprise comme un homme à abattre ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char ». Souvent, la réglementation existe, mais c'est l'application de cette réglementation qui est complexe et met à mal le chef d'entreprise. Par exemple, lorsqu'un salarié abandonne un CDD, il doit du temps de travail restant à l'entreprise. Combien de chefs d'entreprises n'entament pas de procédure aux Prud'hommes ? Et ils ont raison de ne pas y aller car la procédure est longue, coûteuse, bien plus coûteuse que le montant à récupérer. Le problème c'est la mise en application de la réglementation, alors même que la réglementation existe.

Les crises - économiques, climatiques, géopolitiques - posent la question des ressources à court ou long terme. Comment construire une stratégie de développement en 2023 ?

Ce n'est pas tant le long terme qu'il est complexe d'anticiper mais plutôt le moyen terme. Le 3/5 ans pose problème. Et cela à cause d'une trop grande instabilité, qui empêche de faire des prévisions. La visibilité est bonne à 24 mois mais le 36/48 mois ou le 60 mois est beaucoup trop instable. Et ce sont les investissements de moyen terme qui en pâtissent. Or, les investissements de moyen terme représentent 80% des investissements. Tout cela génère un cycle négatif, pas du tout vertueux.

Une question qui concerne aussi le spécialiste du transport et de la logistique que vous êtes : dans un entretien accordé à La Tribune en juillet dernier, le PDG de La Poste, Philippe Wahl indiquait que « demain, il y aura des ZFE partout ». Partagez-vous ce sentiment ? Le principe de la ZFE a-t-il été trop rapidement mis en place ?

La ZFE est l'exemple parfait d'une bonne intention menée sans connaître l'opérationnel. On évoquait les ZFE depuis déjà 5 ans sans que personne n'en parle et d'un coup ces zones à faible émission sont mises en place. Sur le principe de préserver le centre-ville, tout le monde est d'accord. Mais le gouvernement n'a pas vu la fracture, l'impact sur les business modèles. La ZFE doit être uniforme, homogène et sur le long terme. Je suis d'accord avec Philippe Wahl, oui, en 2040 il y aura probablement des ZFE dans toute la France, mais cela se prévoit à 10 ans. Une transformation de business modèle ne se fait pas en 3 ou 4 ans. Il faut aussi répondre à plusieurs interrogations : quelle est la bonne temporalité pour faire évoluer les achats, les outils industriels, la capacité à mettre sur le marché des produits compatibles et la capacité à traiter le parc existant.

Qu'attendez-vous du discours d'Elisabeth Borne, attendu en ouverture de la REF 2023 ?

J'attends un mot sur la valeur travail et sur la valorisation du travail...

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Commentaire 1
à écrit le 28/08/2023 à 11:13
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En effet mais au lieu de systématiquement chercher à déformer les gens au travail que l'on veut qu'ils exercent si on adaptait le travail à ceux-ci pour changer sachant que comme le disait Nietzsche l'humain malgré tout n'est pas domesticable ? Alors...

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