Gastronomie en Provence : l’enjeu de l’approvisionnement local

En Provence comme ailleurs, de plus en plus de chefs souhaitent mettre à l’honneur des produits bio et locaux, plus goûteux et plus en phase avec les enjeux environnementaux. Mais trouver les bons fournisseurs n’est pas toujours aisé. Plusieurs structures publiques et privées tentent donc de les y aider.
(Crédits : DR)

Ratatouille, aïoli, bouillabaisse... Les classiques de la gastronomie provençale ont un point commun : celui de reposer sur des produits peu transformés. Alors pour être goûteuse, la gastronomie provençale doit soigner ses choix d'approvisionnement. Ses fruits et légumes, par exemple, doivent être cueillis à maturité et voyager le moins possible. Son poisson, de dernière fraîcheur. Promesses que seul un approvisionnement local peut tenir.

Et si la jeune génération de chefs qui émerge sur le territoire s'éloigne quelque peu des grands classiques, imaginant ses propres recettes, l'importance du produit demeure. Si bien qu'ils sont de plus en plus nombreux à faire le choix du circuit court pour régaler leurs clients.

C'est le cas de Paul Langlère, chef du Sépia, un restaurant situé dans le 7eme arrondissement de Marseille. Pour les légumes, il travaille avec un producteur des Baux-de-Provence, de même qu'avec la ferme urbaine Terre de mars à Marseille. Ses produits laitiers viennent de Lambesc. Ses fruits de mer de Camargue... « Le plus souvent, je les ai trouvés par cooptation de confrères avec qui je m'entends bien. J'utilise aussi les réseaux sociaux. Mais trouver des producteurs locaux avec qui travailler n'est pas si facile qu'on le croit », constate le chef.

L'offre est là, à la campagne comme à la ville

Pourtant, d'après Grégory Galtier, responsable valorisation et diversification au sein de la Chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône, « l'offre de fruits et légumes, et même d'élevage, ne manque pas. On aurait même de quoi alimenter toutes les cantines de collèges et lycées sans nuire à nos capacités d'approvisionnement ». Dans les campagnes, mais aussi de plus en plus dans en ville, à Marseille, où se développe depuis plusieurs années une agriculture urbaine, soutenue par la Ville et la Métropole, toutes deux accompagnant l'installation de jeunes exploitants sur des terres qu'elles sanctuarisent.

Figure de cette agriculture urbaine, Terre de Mars, au Nord de la ville, propose ses produits cultivés en pleine terre à une quinzaine de restaurants. Sa force : une production diversifiée. « Nous avons plus de 300 variétés. Une quinzaine de sortes d'aubergines, une trentaine de tomate ... », explique Maxime Diedat, l'un de ses cofondateurs. De quoi séduire les chefs, soucieux de proposer des assiettes surprenantes. « Travailler avec des restaurants est valorisant pour un producteur. Et cela nous permet d'avoir un regard extérieur sur ce que l'on produit ».

10 à 15 % du chiffre d'affaires en provenance de la restauration

Mais Terre de Mars ne repose pas sur ce seul marché. Elle dépend aussi de ventes directes à destination du grand public, dans des marchés et à travers un système de paniers.

Et de manière générale, hormis quelques productions très spécialisées (fleurs comestibles, micro-pousses ...), la restauration représente le plus souvent une part modérée de l'activité des agriculteurs. « Entre 10 et 15 % de leur chiffre d'affaires », estime Grégory Galtier de la Chambre d'agriculture. L'essentiel de leur revenu provenant de la grande distribution et des Marchés d'intérêt national. « Un producteur n'a pas intérêt à dépendre d'un seul type de clients. On les encourage plutôt à se diversifier ».

D'autant que le travail avec la restauration n'est pas des plus aisés. « Cela exige un lourd travail de référencement pour des volumes pas si importants au final ». Une fois un accord trouvé avec un restaurant, il faut ensuite être mesure d'assurer la livraison de petits volumes, souvent en ville.

 ...reste à faciliter la rencontre avec la demande

Pour faciliter les relations entre chefs et producteurs, plusieurs dispositifs ont vu le jour ces dernières années. Des actions menées par des structures institutionnelles comme la Chambre d'agriculture, mais aussi privées.

C'est le cas de l'entreprise Terre de goût, créée en 2015 par Marianne Eldin. Dotée d'un important carnet d'adresses dans le milieu de la restauration, elle constate que les chefs manquent de temps pour aller à la rencontre des producteurs. « Cela prend du temps. En moyenne, sur six producteurs rencontrés, je n'en garde qu'un. Pour faire ce travail, les chefs devraient y consacrer deux jours par semaine. C'est impossible », dit-elle.

Pour les aider, elle constitue un réseau de producteurs suffisamment riche afin de répondre aux attentes diverses et variées des chefs. Le chef du nouveau restaurant gastronomique Ekume, à Marseille, est un de ses clients. Il apprécie la réactivité de l'offre proposée. « Si j'ai besoin d'une tomate d'un calibre bien précis et mûre à point, je sais que Marianne peut me trouver cela ». L'entrepreneuse tente aussi par son travail de résoudre certains écueils, comme la longueur des délais de paiement, difficilement supportables pour les producteurs. « Parfois, les restaurants les payaient 30 jours après, comme ils le faisaient avec l'industrie agroalimentaire. Alors j'ai décidé d'avancer les frais, ce qui leur permet d'être payé le jour de la facture. Et je négocie avec les établissements pour être payée sous quinze jours à un mois »

Les chefs provençaux peuvent également s'appuyer sur une association marseillaise : La Plateforme paysanne locale qui propose elle aussi, depuis 2013, de faire le lien entre une quarantaine de restaurants, d'hôtels, d'épiceries paysannes et une vingtaine d'exploitations à taille humaine, autour d'Aubagne, Manosque et Cavaillon.

« Notre but est de décharger les agriculteurs de toute la logistique en allant récupérer chez eux les produits que nous livrons ensuite aux chefs le lendemain », explique le responsable commercial Fabio Villa. Et ce, « sans négocier le prix proposé par les producteurs ». L'association se rémunère selon « une marge transparente », de sorte que « le restaurateur sait précisément ce que perçoit son fournisseur ».

L'association a aussi vocation à sensibiliser sur l'intérêt d'un approvisionnement local, et organise des réunions entre agriculteurs et chefs, afin que ceux-ci parviennent à mieux se comprendre, et à mieux échanger à propos de leurs attentes respectives.

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Développer l'industrie de la transformation alimentaire

Preuve de l'intérêt croissant des chefs pour les produits locaux, la Plateforme a vu ses effectifs passer de deux avant le covid-19 à cinq aujourd'hui. « La structure marche bien, même si elle reste petite, avec une trésorerie assez faible »

Néanmoins, si le local suscite un engouement, il ne représente encore qu'une niche. « Il n'y a pas tant de restaurants que cela qui cuisinent des produits frais », constate Grégory Galtier. « Seuls les plus qualitatifs sont prêts à mettre en avant une tomate française plus chère que sa concurrente espagnole ».

Selon lui, pour que la production agricole locale prenne plus ample place sur les tables du territoire, il faudrait exploiter davantage les outils de transformation existant. Outils qui, regrette-t-il « sont utilisés bien en deça de leurs capacités ». Ils permettraient pourtant de répondre à la demande de restaurants qui n'ont pas les capacités de ne travailler que du frais. Et ainsi d'amplifier l'impact économique et écologique du locavorisme.

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