Rachat de La Provence : Niel-Saadé, une volonté, deux stratégies

Alors que le patron de Free et celui de CMA CGM se disputent le rachat des 89% des parts de Bernard Tapie dans le quotidien provençal, basé à Marseille, c’est davantage deux visions qui s’affrontent plutôt qu’un combat entre deux milliardaires, comme cela est évoqué parfois ici et là. Deux stratégies aussi, aussi diamétralement opposées que les deux hommes eux-mêmes.
(Crédits : DR)

Lorsque Rodolphe Saadé annonce en octobre dernier être intéressé par le rachat de la majorité du capital de La Provence, c'est un peu un secret de Polichinelle qui est dévoilé. A Marseille, les diverses tentatives de rapprochement du PDG de CMA CGM du monde de la presse sont sues de beaucoup. Pas vraiment une surprise, donc.

La presse, cet univers perçu comme mystérieux, symbole de pouvoir aussi, attire. La presse fait rêver, à tort ou à raison, et reste un domaine qui intrigue et qui passionne. Racheter les parts de Bernard Tapie, l'homme d'affaires flamboyant qui a fait vibrer toute une ville et un pays, autant par son histoire d'amour avec l'OM, le club de foot de la ville, que par son parcours d'entrepreneur, possède sans doute, aussi, une dimension supplémentaire.

La presse, Xavier Niel y est lui aussi venu après un début de carrière tout autre. Créateur de Free, trublion des télécoms - et ce n'est pas son dernier spot pub qui le contredira - il a acquis avec à l'actionnariat du quotidien Le Monde, une certaine légitimité qui fait presque oublier que, lui aussi, n'est pas initialement du sérail.

Outre la volonté de devenir l'actionnaire majoritaire de La Provence, c'est peut-être là le seul point commun entre les deux hommes. Car dans la bataille pour l'emporter dans le rachat des parts de GBT (Groupe Bernard Tapie), soit 89% du capital de La Provence, chacun y va avec sa stratégie et sa méthode.

Saadé et la carte du territoire

Rodolphe Saadé joue clairement la carte du territoire. D'abord dans son implantation. Le siège du groupe de transport et logistique est installé à Marseille et son navire amiral, la tour CMA CGM comme on l'appelle, dessinée par l'architecte Zaha Hadid, fait intégralement partie de la skyline phocéenne, laissant une empreinte reconnaissable entre toutes dans le ciel marseillais.

Mais le PDG de la compagnie maritime joue aussi et surtout la carte du territoire dans les soutiens qu'il va chercher auprès des acteurs économiques. Depuis plusieurs semaines, celui qui possède à Marseille l'incubateur-accélérateur ZEBOX, pour accompagner les startups innovantes des domaines du transport et de la logistique et qui a initié Le Carburateur, dédié à l'entreprenariat social, rencontre, échange, fait savoir aux différents responsables économiques sa volonté de devenir propriétaire de 89% des parts de La Provence. Une opération séduction pour tenter de les convaincre que la réponse locale est la meilleure. La mieux-disante en termes d'emploi, de retombées économiques aussi. Rodolphe Saadé qui s'engage à conserver l'imprimerie du quotidien sur le territoire provençal, quand, dans l'esprit de son concurrent, la création d'une imprimerie commune à La Provence et Nice-Matin dont Xavier Niel est propriétaire à 100%, est envisagée.

Un Rodolphe Saadé qui a obtenu des présidents de la chambre de commerce et d'industrie Aix-Marseille Provence et du Pays d'Arles, de la présidente de la CPME et de celle d'Aix-Marseille French Tech de lui apporter leurs soutiens publiquement. Chose faite via un courrier co-signé, deux jours avant l'audience au tribunal de commerce de Marseille qui a levé le 11 janvier dernier, le droit d'agrément que détenait Xavier Niel, décision que certains ont vu comme un point positif pour Rodolphe Saadé. Mais, à Marseille, d'autres responsables économiques, bien que sollicités, ne se positionnent pas (encore ?) publiquement.

Niel et le levier juridique

Déterminé, Xavier Niel l'est tout autant. Le créateur de Free n'en est pas à sa première opération de rachat délicate sur le papier. Pour rappel, il y a 3 ans, c'est à Iskandar Safa qu'il s'oppose dans le rachat alors d'un autre titre de PQR, Nice-Matin. Arrivé dans le jeu alors que le rachat par Iskandar Safa semblait être fait, Xavier Niel l'a finalement emporté.

Et s'il est déterminé, le patron de Free est aussi serein en ce qu'il sait s'appuyer sur ce que lui permet le droit. En l'occurrence ici, sur le droit de préemption qui lui laisse toujours un avantage sur les autres candidats. Un droit de péremption que personne ne lui dénie. Et qui pourrait bien peser lourd dans la balance.

Il ne faut pas oublier que Xavier Niel est aussi le propriétaire depuis un peu plus d'un an, juin 2020, d'un autre titre, pour partie local, Paris Turf, qui est installé entre la région parisienne et Aix-en-Provence.

Xavier Niel qui pourrait créer, actionnaire majoritaire de deux quotidiens du Sud, un groupe doté d'une force de frappe régionale, capable aussi de mutualiser d'autres outils que l'imprimerie commune déjà envisagée.

Et au milieu... 650 salariés

Jusqu'alors sorte de majorité silencieuse, les salariés du quotidien basé à Marseille commencent à faire entendre leur voix et leur mécontentement. Ainsi une assemblée générale des salariés est prévue le 26 janvier à 13h et se tiendra en présence de l'avocate mandatée par le CSE pour défendre les intérêts des 650 employés du titre, pressés qu'une reprise s'engage. Deux jours avant, un CSE extraordinaire initié par le mandataire ad hoc se sera tenu...

Et puis, il ne faudrait pas non plus oublier que le groupe Nice-Matin attend aussi avec impatience l'issue du dossier. D'autant qu'un rapprochement avec son cousin provençal n'est pas sans conséquences... Un titre, deux candidats (favoris) et plusieurs possibilités... certaines plus tangibles que d'autres...

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