1950. La quarantaine tout juste passée, Paul Ricard a envie de souffler. Les années noires du régime de Vichy ont été éprouvantes. Et après des décennies à s'investir corps et âme à faire briller son pastis, la peinture qu'il affectionnait tant durant ses jeunes années lui manque. Il veut s'y adonner à nouveau tout en passant de bons moments en famille.

Alors, lorsqu'il découvre qu'une île située non loin de Bandol dans le Var est à vendre, il décide de la faire sienne. Enfin, pas tout à fait. « Il n'a jamais voulu la garder pour lui », assure son arrière petit-fils Marc De Jouffroy, par ailleurs membre du Directoire chargé de la stratégie et du développement au sein de la société Paul Ricard.

Un morceau de rocher

L'île, utilisée autrefois comme carrière, est alors « un petit morceau de rocher où tout est à faire. Avec pour seules limites sa superficie [sept hectares, ndlr], le ciel et la mer ». Cette terre, Paul Ricard la modèlera jusqu'à sa mort, en 1997. La transformant en un lieu de rencontre ouvert à tous, où l'on trouve des artistes, des artisans et où l'on peut, évidemment, prendre l'apéro.

Mais comme toute île, celle de Bendor est peu à peu ternie par les embruns, les marées, le vent ... et par le temps qui détourne ses visiteurs, rendant ce lieu de plus en plus confidentiel.

« Aujourd'hui, on trouve à Bendor deux hôtels fatigués dont un a fermé il y a quinze ans, le plus petit port de Méditerranée, des restaurants et un atelier d'artisans en sommeil », dépeint Marc de Jouffroy. « Nous avions besoin de réinventer ce lieu. De le rendre compatible avec son climat et les enjeux environnementaux à venir sur les dizaines d'années à venir. Nous avons souhaité mettre plus en avant son potentiel magique pour qu'il sorte de sa confidentialité et devienne une destination incontournable en Méditerranée ». Une ambition qui exige un partenaire à sa hauteur. « Nous avons lancé un grand appel d'offre pour l'exploitation du site. Une dizaines d'hôteliers ont participé et notre choix s'est portée sur Zannier Hôtels ».

Zannier : le soin accordé à l'expérience du client

Créée en 2010, cette entreprise s'est lancée dans l'hôtellerie haut-de-gamme avec un positionnement différenciant comme l'explique son PDG et fondateur Arnaud Zannier. « A cette époque, ce secteur était très axé sur l'ostentatoire. Je ne m'y retrouvais pas ». Lui privilégie des hôtels centrés sur l'expérience de l'hôte. A Megève d'abord. Puis au Cambodge. En Namibie. Au Viet-Nam.

« Nous avons continué notre développement jusqu'à avoir cinq établissements obtenus grâce aux investissements de notre famille. Puis nous avons décidé d'ouvrir la porte à d'autres investisseurs ». C'est dans ce contexte que l'hôtelier découvre l'appel d'offre de la famille Paul Ricard. « Travailler sur un projet avec une autre grande famille était un point intéressant. Cela nous permet de créer une destination qui ne porte pas seulement sur un environnement ou sur une architecture mais sur l'histoire d'une famille avec ses valeurs. Je trouvais intéressant de broder un canevas sur cette base là. Et puis, il n'y pas beaucoup d'îles privées méditerranéennes sur la côte française. C'est le genre d'opportunités qu'on ne croise qu'une fois dans sa vie».

Après dix-huit mois de réflexion, les deux familles sont parvenues à définir l'avenir de l'île. Concernant l'offre hôtelière : trois bâtiments avec chacun son thème : Côte d'Azur des années 1960 pour l'un, esprit cabanon provençal pour le second, tandis que le troisième, plus contemporain, s'adressera à une clientèle davantage familiale.

Trois univers reliés par l'esprit « cœur de village » de Bendor avec ses cafés et restaurants qui reprennent les codes méditerranéens, y ajoutant quelques notes sud-asiatiques pour la touche Zannier. Et Marc de Jouffroy de compléter : « Nous allons faire revenir les artisans ». Qu'il s'agisse de virtuoses du cocktail, de cuisiniers mais aussi de souffleurs de verre ». Une miction qui doit attirer une clientèle internationale mais aussi, à la journée, des visiteurs plus locaux, essentiels à la préservation de l'âme du lieu.

Enjeux environnementaux

Une âme qui doit aussi être poreuse aux inquiétudes et enjeux de son temps, parmi lesquels l'indispensable préservation du climat et de la biodiversité. « Nous avons pensé à ces aspects à la fois pour ce qui est de la construction et de l'exploitation du site ».

En matière de construction, cela se traduit ainsi par le choix de matériaux voulus les plus isolants possible. « Nous avons aussi débétonné une bonne partie de l'île pour offrir des îlots de fraîcheur, avec la plantation d'une centaine d'arbres qui s'ajouteront aux trois cents déjà présents ». Dans les chambres, la fraîcheur sera apportée par des brasseurs d'air plutôt que des climatiseurs, « et nous allons jouer avec le mistral qui optimiser la ventilation ».

Quant à l'exploitation, le projet promet de prendre soin de la biodiversité en adoptant un éclairage plus respectueux de la faune. « Et sur l'est de l'île, nous allons consacrer un petit espace à la nature ». Des engagements que les porteurs du projet aimeraient faire reconnaître au travers de plusieurs labels.

D'ici là, après l'obtention des permis de construire en fin d'année dernière, l'heure est à l'achèvement des étapes préalables à la construction, qui démarre donc tout juste.