Quel avenir pour le site industriel d’Alteo, leader mondial de l'alumine ?

Sans surprise, le tribunal de commerce de Marseille a accepté la proposition de reprise de l'ETI basée à Gardanne dans les Bouches-du-Rhône initiée par le groupe United Mining Supply, originaire de Guinée. Une décision qui signifie l'arrêt de l'extraction d'alumine, extraction qui génère des déchets de bauxite, ces boues rouges déversées en Méditerranée qui avaient valu à Alteo de se faire défavorablement remarquer. Un arrêt qui menacerait, par voie de conséquence, une centaine d'emplois. Ce qui est loin de plaire aux acteurs économiques de la région.
(Crédits : Alteo)

Depuis le 8 décembre dernier et l'annonce du retrait de Kem One - qui avait fait savoir son intérêt pour la reprise du spécialise de l'alumine - il était à peu près clair que c'est bien United Mining Supply, dépositaire également d'une offre, qui deviendrait le nouveau propriétaire d'Alteo.

Depuis ce 7 janvier, c'est officiel. Mais ce que prévoit UMS n'est pas forcément de nature à rassurer les acteurs économiques du territoire.

La fin du procédé Bayer

Car l'entreprise basée en Guinée, qui déploie des services de logistique intégrée en Afrique de l'Ouest, compte ne pas poursuivre l'extraction de bauxite, et cela dans un délai de deux ans. C'est donc une partie de l'activité du site qui est abandonnée, entraînant de fait la suppression d'une centaine d'emplois.

C'est aussi la fin d'une partie du savoir-faire d'Alteo, développée depuis 127 ans. L'extraction par procédé Bayer, un procédé d'extraction par dissolution à haute température et à haute pression par une solution de soude, a été déployé à l'échelle industrielle précisément sur le site de Gardanne au début des années 1890, avec l'aide même du chimiste autrichien qui l'a découvert, Josef Bayer. Et ce procédé, décrié pour cause de traitement des déchets qu'il entraîne - d'où la polémique des boues rouges - s'est largement répandu dans l'industrie.

Efforts poursuivis en R&D

Alteo, leader mondial sur les alumines de spécialité, n'a cessé de poursuivre ses efforts de R&D. En 2019, l'usine inaugurait une nouvelle unité de production d'alumine dite de « haute pureté », d'une capacité de production de 1 000 tonnes par an, destinée à conforter la compétitivité de l'ETI française, lui permettant notamment d'adresser de nouveaux marchés, dont la micro-électronique, dans le monde entier. L'investissement consenti - soit 1,5 M€ - s'était accompagné du recrutement de profils qualifiés.

Au même moment, l'usine inaugurait une nouvelle station de traitement des eaux par injection de CO2, résultat de deux années de recherche, construite en partenariat avec Air Liquide et dont le coût s'élevait à 7 M€, en partie co-financé par l'Agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse.

En parallèle, un programme revendiqué comme inédit concernait des expérimentations de de valorisation les résidus secs de bauxite.

Baisse de la demande dès novembre 2019

Décriée pour son rejet des boues rouges en Méditerranée - ce qui n'est plus le cas depuis 2015 - celle qui s'appelait encore Rio Tinto jusqu'à son rachat par le fonds d'investissement américain HIG Capital Europe en 2012, avait engagé 25 M€ dans la réduction de son empreinte environnementale.

Fin 2019, soit quelques mois après l'inauguration des deux nouvelles unités de production, l'entreprise que présidait Frédéric Ramé se plaçait sous protection du tribunal de commerce de Marseille. L'ETI aux 480 salariés pour un chiffre d'affaires de 242 M€ devait faire faire à une baisse des commandes tout en poursuivant ses investissements dédiés à sa mise en conformité environnementale. Une baisse d'activité qui a donc mis à mal celle qui couvrait 90 % des besoins hexagonaux en alumines de spécialités.

Perte de souveraineté ?

Si, bien sûr, la reprise d'Alteo par UMS permet la poursuite de l'activité, il n'en reste pas moins que celle-ci va donc être tronquée et que le profil du nouveau propriétaire, tout autant que ses plans d'exploitation du site, ne réjouissent pas vraiment les acteurs économiques. Au premier rang duquel le président de la Région Sud, Renaud Muselier, qui en septembre dernier, avait co-signé un courrier avec le préfet de la Provence Alpes Côte d'Azur à l'attention du président du tribunal de commerce de Marseille, promettant de soutenir « ce fleuron régional ». L'offre de Xavier Perrier, l'ancien directeur opérationnel d'Alteo, associé prioritaire de Kem One, était encore d'actualité et avait la faveur des acteurs économiques, beaucoup voyant une certaine continuité à tous points de vue. Xavier Perrier qui s'est heurté à des problématiques de financement, ses besoins s'élevant à 50 M€.

Promettant que promesse serait tenue et que rapprochement a été effectué avec UMS, le président de la Région rappelle tout de même que l'ancrage territorial d'une entreprise au savoir-faire tel que celui d'Alteo est essentiel pour l'économie du territoire.

Mais l'inquiétude pointe aussi du côté du député écologiste des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert. Lequel dit avoir prévenu il y a déjà deux ans le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, d'un risque de perte de souveraineté. Sans succès. « Où va-t-on ? » interroge le parlementaire. Qui rappelle qu'alors que l'on parle de relocalisation et de souveraineté industrielle, l'arrivée capitalistique du groupe aux fonds guinéen et chinois pourrait être synonyme de perte de cette souveraineté. Un groupe qui pourrait, indique-t-il, délocaliser en Chine. « Alteo produt 1 000 variétés d'alumine, dont certaines sont rares. C'est Alteo qui a sauvé Samsung lorsque ses batteries explosaient. Je rappelle que la Commission Européenne a inclut l'alumine en septembre dernier dans la liste des composants stratégiques. Ceux dont nous avons besoin pour les batteries électriques par exemple, pour les domaines du spatial, de la défense, de la sécurité, de la médecine. Comment produire des médicaments en France s'il nous manque la molécule de base ? Quelle est la stratégie industrielle de la France ? Avoir une stratégie c'est savoir ce que l'on accepte de garder et de perdre ». François-Michel Lambert a posé une question écrite au gouvernement afin d'exiger des engagements de la part de l'Etat sur la préservation de la souveraineté nationale concernant cette matière stratégique. Et le député écologiste dit réfléchir à engager des actions juridiques. Le dossier Alteo en restera-t-il là ?

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