« Il existe un particularisme régional dans le Sud en matière de cancer » (Pr Emmanuel Barranger, DG Centre Antoine Lacassagne)

ENTRETIEN - Fondé en 1961 à Nice, le Centre Antoine Lacassagne est l’un des dix-huit centres de lutte contre le cancer du réseau Unicancer. Cet établissement de santé privé d’intérêt collectif traite 6.400 patients par an, dispose de 200 lits et compte 900 salariés dont 110 médecins pour un chiffre d’affaires d’environ 155 millions d’euros. Un centre de référence en France dont le premier des objectifs est de le rester dans un contexte où les défis sont nombreux, entre évolution numérique, intégration des innovations, prise en charge des patients et attractivité RH. Entretien avec son directeur général, le Professeur Emmanuel Barranger, dont le mandat de cinq ans a été renouvelé le 1er février dernier.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Le Centre Antoine Lacassagne est l'un des établissements de santé de référence dans la lutte contre le cancer en France. Quelles sont ses spécificités ?

EMMANUEL BARRANGER - Elles sont plurielles. D'abord, le Centre Antoine Lacassagne possède l'un des plateaux techniques les plus complets d'Europe et est un des trois établissements en France, avec ceux de Caen et d'Orsay, à proposer des traitements par protonthérapie pour traiter, principalement, les tumeurs du cerveau chez l'enfant. Le centre est également reconnu pour son expertise en cancérologie des tumeurs de la face et du cou et en chirurgie des cancers de la femme. Il totalise chaque année environ 62.000 séjours par an, 32.000 séances de radiothérapie et 20.000 de chimiothérapie, ce qui en fait le troisième établissement de Provence-Alpes-Côte d'Azur en termes de volume. Enfin, comme dans tous les centres de lutte contre le cancer, son directeur général est un médecin.

Est-ce que cela change quelque chose ?

Je le pense. Le directeur général travaille en binôme avec un adjoint administratif, issu de l'EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publiques, NDLR). Au premier la vision, les enjeux, la cancérologie, au second l'opérationnel, l'application des normes, la gestion des supports. C'est une belle complémentarité, forte de sens. Dans la plupart des pays européens, les directeurs d'hôpitaux sont des médecins. Pas en France. Or, un professionnel de la santé à la direction d'un établissement de santé lui confère une notion de professionnalisme. Dans un contexte de crise de confiance à l'égard des dirigeants, notamment dans les administrations, cela a son importance.

Quel est votre modèle économique ? Êtes-vous à l'équilibre ?

Nous sommes un établissement privé au modèle économique public, nous avons donc l'obligation de respecter la nomenclature qui s'applique à tous les établissements de santé public et privé à but non lucratif. Autrement dit, nous ne pratiquons pas de dépassement d'honoraires et les consultations libérales sont interdites. Nos recettes proviennent des activités de soins, de recherche et du remboursement de molécules onéreuses. Quant à la question de l'équilibre, nous sommes fiers d'être excédentaires depuis deux exercices. C'est difficile, mais l'activité de cancérologie, contrairement à d'autres activités de santé, est plus rémunératrice, bien qu'elle demande en contrepartie des investissements coûteux et fréquents pour être à la pointe de la technologie. A cet égard, nous avons investi ces quatre dernières années 12 millions d'euros en équipement médicaux.

Vous vous engagez dans un second mandat qui, dites-vous, doit s'inscrire dans un particularisme régional. Quel est-il ?

Nous avons un taux de dépistage organisé inférieur à la moyenne nationale. De plus, mise à part la bande littorale, nous constatons une hétérogénéité de l'accès au soin, notamment dans l'arrière-pays, moins bien fourni. Enfin, la première cause du cancer reste d'abord et avant tout l'âge. Tout cela fait que nous prévoyons une augmentation de 20% des cancers dans la région à horizon 2028. Cela veut dire que le centre doit s'inscrire dans ce particularisme régional, en adressant davantage le dépistage, la prévention mais aussi les soins innovants via l'intégration de nouvelles thérapeutiques.

Justement, quelle est votre relation avec les startups, et notamment celle de la Côte d'Azur ?

Nous développons avec les startups des coopérations à travers des conventions de mise à disposition d'outils. Avec TheraPanacea, par exemple, nous travaillons à l'amélioration de leur outil d'intelligence artificielle permettant de contourner les lésions cancéreuses à la place du radiothérapeute avant de commencer les traitements. Plus localement, nous travaillons avec Therapixels, toujours dans l'IA, dans le cadre du dépistage et du diagnostic du cancer du sein. Nous développons aussi des coopérations avec des entreprises du territoire sur le sujet de la qualité de vie au travail pour offrir des soins de bien-être au personnel de l'établissement.

Quel enjeu représente le sujet RH pour l'établissement ?

Nous subissons comme tous les établissements de santé le turn-over du personnel soignant, d'autant que nous sommes concurrencés par le privé où les salaires sont très supérieurs à ceux pratiqués dans le public. Nous essayons d'être attractif en jouant sur la marque employeur, les vacances, les conditions de travail. Au cours de ces quatre dernières années, nous avons passé pas moins de vingt-cinq accords d'entreprise avec les syndicats. C'est beaucoup d'énergie pour rester attractif.

Quels sont les autres enjeux ?

Ils sont numériques, évidemment. En trois ans, nous avons investi 3,5 millions d'euros sur le plan informatique pour sécuriser les dossiers médicaux et les prises en charge, et améliorer les conditions de travail des salariés. L'autre enjeu d'envergure est bâtimentaire. Il s'agit d'assurer l'avenir de notre centre pour les décennies à venir. Or, nous sommes sur un établissement vétuste, de 60 ans d'âge, plus du tout adapté aux évolutions modernes de prise en charge et installé sur un site qui n'a plus de perspective de développement. Il y a un donc un enjeu de développement dans la Plaine du Var pour lequel des discussions sont en cours avec la ville et la métropole de Nice, mais sous certaines conditions que je tiens à rappeler, à savoir l'autonomie juridique bâtimentaire, le maintien d'activité et une aide massive de l'Etat sur le plan financier.

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