Logement : décentraliser, fausse bonne idée ?

Face à la crise du logement, la carte « décentralisation » semble s’imposer dans le jeu du gouvernement et de sa « grande loi logement » attendue au printemps. Une solution qui fait débat, entre ceux qui y voit l’occasion de reprendre la main sur des politiques nationales rigides qui font fi des spécificités territoriales, et ceux qui se méfient des effets d’annonce et du flou qui règne quant à son périmètre, ses modalités, son financement.
(Crédits : DR)

Il y a ceux qui sont pour, à l'image de Pierre Ippolito. "Les Alpes-Maritimes sont trop atypiques pour rentrer dans un moule national de réglementations". Pour le président de l'Union pour l'entreprise (UPE) azuréenne, la solution de la décentralisation s'impose "sur tous les sujets économiques, directs et indirects, dont bien évidemment ceux relatifs à la politique du logement". Il faut dire qu'en la matière, la crise y est aigüe, peut-être plus qu'ailleurs ne serait-ce du fait de la configuration géographique contraignante du département et de la concurrence touristique qui y sévit. Conséquence : les actifs sont à la peine. Selon les dernières données de l'Observatoire Immobilier d'Habitat de la CCI Nice Côte d'Azur, la part des logements neufs mis en vente dédiés aux actifs (soit inférieur ou égal à 4.500 €/m²) a dégringolé en dix ans, passant de 32% en 2013 à seulement 2% en 2023. Et ce dans un contexte de production en berne. Quant à l'offre sociale, la récente décision de la préfecture de carencer en dépit des dynamiques engagées 26 communes des Alpes-Maritimes, dont la ville de Nice, sur les 42 concernées par la loi SRU, démontre son difficile développement. Et le durcissement de l'Etat sur ce sujet. « C'est une question de principe et d'affiche, tant le besoin est pressant », assume Hugues Moutouh, préfet des Alpes-Maritimes. Lequel confirme que parmi les pistes de réflexion engagées par le gouvernement pour atténuer la crise, la décentralisation de la politique du logement tient bonne place.

Patate chaude

Et puis, il y a ceux qui sont contre, du moins qui appellent à la prudence. Parmi eux, le maire de Cannes et président de l'Association des Maires de France, David Lisnard : « Si vous décentralisez le problème sans rien changer au problème, cela s'appelle se passer la patate chaude, et de cela, nous n'en voulons pas ». Lui plaide pour « une politique de libéralisation de l'acte de construire afin de recréer une dynamique de réalisation et de mise sur le marché de logements, avant de définir ce qu'il conviendrait de décentraliser ». Et pourtant, les volets décentralisation et territorialisation devraient bien occuper une place importante dans la grande loi logement programmée au printemps 2024 que la sénatrice (LR) des Alpes-Maritimes, Dominique Estrosi-Sassone, qualifie volontiers « d'open bar » tant les points abordés seraient nombreux. Bref, le sujet s'annonce passionné. « Il est surtout technique,intervient Jean-Claude Driant, et mérite de nombreux éclaircissements ». Que le professeur à l'école d'urbanisme de Paris résume en trois questions : « A qui ? Comment ? Quoi ? »

L'option AOH

A qui ? Assez logiquement, les Autorités organisatrices de l'habitat (AOH) apparaissent comme les candidates idéales. Elles ont d'ailleurs été créées pour cela à l'occasion de la loi 3DS (pour Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification) de février 2022, bien que leurs compétences soient réduites et majoritairement consultatives. Le statut est réservé aux intercommunalités qui en font la demande et qui remplissent toute une série de conditions. Lesquelles limitent à une trentaine le nombre d'EPCI susceptibles d'y adhérer à courte échéance sur un total de 1.254 recensée en 2022. Par conséquent, seule une poignée, dont la métropole Nice Côte d'Azur, l'ont à ce jour obtenu mais il semblerait qu'une « hypothèse d'élargissement à quasi tous les niveaux d'intercommunalité » soit sur la table, indique Jean-Claude Driant. Il conviendra alors de poser la question de ses ressources financières propres, aujourd'hui nulles, qui pourraient s'inspirer du versement transport mis en place avec les Autorités Organisatrices de Transport (AOT).

Nouvel impôt ?

On en arrive à la question qui fâche, celle du comment, à savoir du financement. Sur ce point, les questions sont nombreuses. Et Jean-Claude Driant de souligner : « Beaucoup de collectivités n'ont pas les moyens en ressources humaines, en compétences, en ingénierie pour mener véritablement des politiques de l'habitat. Juste un exemple : réglementer et encadrer les loyers, cela suppose un minimum de contrôle. Qui le fait ? Qui le paie ? » A cet égard, avance Dominique Estrosi-Sassone, les solutions ne sont pas légions : « On en fait vite le tour. Cela peut être la décentralisation de la PEEC (Participation des Employeurs à l'Effort de Construction, le fameux 1% logement, NDLR) mais cela consisterait à démembrer complètement Action Logement. On ne reviendra pas sur la taxe d'habitation dont la suppression a été une énorme erreur. Reste à envisager la création d'un nouvel impôt avec une fiscalité adaptée. Ou alors permettre aux collectivités de décider du montant de certaines taxes comme la taxe sur les logements vacants ou celle sur les résidences secondaires ».

Un périmètre à définir

Reste enfin la question du quoi. « Qu'est-ce qu'on décentralise ? De la réglementation ? Il est vrai que l'adaptation à la diversité des territoires est importante : l'allocation touristique de courte durée meublée ne se pose pas dans les mêmes termes à Nice, au Pays basque, dans les stations de montagne ou dans les secteurs ruraux, sa fiscalité associée aussi. Idem pour les logements vacants, les résidences secondaires, l'encadrement des loyers... », énumère Jean-Claude Driant. Qui poursuit : « Ou veut-on aller plus loin et décentraliser les 40 milliards d'aides globales, dont 36 milliards sont maîtrisés par l'Etat ? » Et la sénatrice des Alpes-Maritimes de conclure : « Il faut arrêter l'hypocrise. La décentralisation n'est pas une solution miracle et neutre, elle implique des réflexions difficiles et lourdes de conséquences qu'il convient de mener. » Autrement dit, le débat n'est pas près d'être dépassionné.

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