« Le ruissellement est un concept qui n'existe pas en économie » (Mathilde Lemoine, chef économiste Edmond de Rothschild)

Présente à Marseille à l'invitation du Forum des entrepreneurs qu'organise l’UPE 13, l'économiste en chef de Edmond de Rothschild - elle a également participé à la Commission Attali - estime que la transformation de l'économie n'est possible qu'en hiérarchisant les priorités, en soutenant les PME dans ces transitions, estimant aussi que les Régions ont un rôle important à jouer, notamment sur le volet formation. Et que l'on ne peut pas tout demander aux entreprises.
(Crédits : DR)

(Mathilde Lemoine est également administrative indépendante du groupe CMA-CGM, propriétaire de La Tribune)

LA TRIBUNE - Vous avez participé au débat « transformer la France, est-ce possible ? », le simple fait de poser la question ne montre-t-il pas à quel point c'est compliqué ?

MATHILDE LEMOINE : La France est particulièrement en retard sur sa quantité d'investissements dédiés à compenser l'obsolescence de ses machines, outils de production ou logiciels ainsi que sur la formation. Ensuite, il y a l'enjeu de la transition écologique qui fait que l'on se retrouve face à quelque chose d'irréconciliable : on veut du pouvoir d'achat, de la transition énergétique, de la souveraineté, mais avec une contrainte budgétaire. C'est incompatible, on ne peut pas tout faire. La priorité c'est de définir les priorités, il faut définir les blocages et les faiblesses pour trouver un consensus sur ce qu'il y a à transformer. Alors ce sera possible.

Cela signifie qu'il faut réorienter certains investissements ?

Non, c'est un problème de quantité. Depuis 2010, le volume d'investissements publics et privés n'a augmenté que de 10% alors que la zone euro a subi de nombreuses crises, plus qu'ailleurs. Tout vieillit et tout rattraper d'un bloc coûte extrêmement cher. Nous savons que ce qui augmente les dépenses publiques ce sont les dépenses sociales et des retraites. Du côté du privé, il faudrait un grand plan européen qui ressemble à ce que font les Etats-Unis. Quand il y a une crise, ils distribuent des crédits d'impôt ce qui permet aux entreprises de ne pas voir leurs outils de production vieillir.

N'est-ce pas faire le pari de la croissance, alors qu'elle est très faible depuis de nombreuses années, au détriment de prestations sociales qui maintiennent une certaine cohésion ?

Commencer par réduire la redistribution n'est pas possible parce que l'on marche à l'envers, les prestations sociales compensent le fait qu'on ne se transforme pas. En revanche, on peut s'attaquer au sujet de la tension sociale qui est celui de l'inégalité originelle. Il y avait une promesse d'accès à l'éducation et la formation, aujourd'hui 60% de l'apprentissage concerne des bac+2. En parallèle, la formation n'est pas du tout adaptée à l'évolution des compétences ce qui crée des tensions et revendications légitimes avec des salaires faibles. Sans transformer l'éducation et la formation, vous ne gagnez pas en productivité, il n'y a donc pas de croissance des salaires et il faut faire de la redistribution. C'est le chat qui se mord la queue.

Le thème de ce forum est l'alchimie de la transformation. Les entreprises sont-elles des magiciennes dès lors que l'on parle de transformation de l'économie ?

Les chefs d'entreprises ont une responsabilité, évoluer ce serait déjà bien, se transformer c'est encore autre chose, et on ne peut pas tout leur demander il faut que l'environnement soutienne ces changements. Cela commence par éviter les lourdeurs administratives et accompagner les PME dans les transformations technologiques qui sont onéreuses. Changer quelque chose qui fonctionne est extrêmement difficile et en plus c'est davantage coûteux pour les petites entreprises que les grosses.

Il faut regarder différemment les PME et mettre des dispositifs spécifiques. Les grandes entreprises peuvent participer mais plutôt à travers le transfert d'innovation qui permet à tous d'avoir plus de productivité, pas par ruissellement qui est un concept qui n'existe pas en économie. La responsabilité des institutions est également importante, les régions par exemple détiennent désormais la compétence de la formation, c'est à elles de définir les priorités sur ce sujet.

Vous avez participé à la Commission Attali mais aussi à la mission sur la compétitivité française, en 2010. Aujourd'hui l'industrie est au cœur des préoccupations, tant pour la réindustrialisation que pour sa décarbonation. Réindustrialiser est-il possible et comment ?

Voilà une autre contradiction, il y a un choix politique à effectuer : prioriser la transition énergétique au détriment du pouvoir d'achat ou pas ? Pour concilier les deux, on ne peut pas arrêter des pans entiers de l'économie. Ensuite, la politique économique peut être verticale ou horizontale. Dans le premier cas, il s'agit de subventionner des filières, mais le problème c'est que les matières premières ne sont pas toujours sécurisées car il faut les importer, les compétences ne sont pas toujours là, etc... Une approche plus transversale revient à donner un crédit d'impôt à condition de décarbonner, le plan américain sur ce sujet concerne plutôt les vieilles industries parce qu'elles émettent beaucoup de carbone. A terme, il faut voir si elles doivent disparaître et à quelles échéances.

Les connaissances des Français en économie sont souvent peu développées. Que faudrait-il faire pour mieux faire comprendre les enjeux économiques au grand public ?

Sur ce sujet je suis plutôt iconoclaste par rapport à mes collègues, je trouve qu'il y a un vrai intérêt et c'est plus qu'il y ait des points de vue différents qui donne l'impression que la connaissance est insuffisante. C'est plutôt sur la finance et la gestion de l'épargne, qui est très importante pour le quotidien, et la capacité des individus à avoir un avis sur ce qui les concerne, que l'on peut développer les connaissances.

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