Marc Antonini ou le défi du stockage sur ADN synthétique

Lauréat de la médaille de l’innovation 2023 du CNRS, le directeur de recherche au sein du laboratoire Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis (I3S), spécialiste de la compression de données, s’attaque au sujet du stockage de données sur ADN synthétique pour lequel le plan d’investissement France 2030 met 20 millions d’euros sur la table. Cela valait bien la co-création d’une nouvelle start-up, sa deuxième, lui qui fait partie de ces chercheurs académiques qui poussent à la collaboration industrielle.
(Crédits : © Frédérique PLAS / CNRS Images)

A l'heure de la nécessaire décarbonation de l'industrie numérique, les systèmes de stockage de données montrent leurs limites. Tant en termes de volume que d'environnement. Les quelque 10.000 datas centers recensés à ce jour sur la planète représentent en effet 2% de la consommation d'électricité mondiale. En France, on en dénombre environ 400, lesquels pèsent, selon un rapport du Sénat daté de 2020 et consacré à la transition numérique écologique, 14% de l'empreinte carbone numérique française. Celle-ci, portée par la digitalisation de la société, pourrait augmenter de 86% d'ici à 2040. Dès lors, s'il n'est évidemment pas question d'un retour en arrière où la donnée ne serait plus, une alternative aux bandes magnétiques et autres disques durs plus sobre est-elle possible ?

Changement de paradigme

C'est tout l'objet des recherches de Marc Antonini. Tout juste lauréat de la médaille de l'innovation 2023 du Centre national de recherche scientifique, il dirige l'équipe Mediacoding (une douzaine de personnes au total) au sein du laboratoire de recherche mixte UCA/CNRS Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis. I3S pour les intimes. "Notre cœur de métier, c'est la compression de données, qu'il s'agisse d'images, de vidéos ou de nuages de points", explique-t-il. Trente ans de carrière, treize brevets déposés, des centaines de publications et des travaux qui ont contribué à la définition du standard de compression JPEG 2000, utilisé aujourd'hui pour le cinéma numérique et l'archivage des images médicales. D'autres ont été intégrés au sein des systèmes embarqués des satellites d'observation de la Terre Pléiades. C'est dire si le sujet le porte ! Et pourtant ! "Quand on fait de la compression depuis longtemps, qu'on essaie d'améliorer les codeurs existants, on ne fait finalement qu'optimiser très peu leurs performances. L'idée est de passer sur d'autres paradigmes, complètement en rupture".

La rupture ici tient en un système de stockage de données sur ADN synthétique, sur lequel le chercheur et son équipe travaillent depuis maintenant sept ans. Un domaine extrêmement novateur, mélange d'expertises en informatique, en biologie moléculaire, en chimie, en bio-informatique, en micro fluidique, qui intéresse des chercheurs de toutes nationalités, américains et européens en tête. Il faut dire que le potentiel de cette approche a de quoi convaincre. Tant en termes de volume que d'environnement. "C'est un support très compact qui théoriquement pourrait dans un seul gramme contenir les données de plusieurs data centers. Par ailleurs, une fois l'ADN synthétisé, sa conservation n'émet plus de gaz à effet de serre, elle n'utilise plus d'énergie, et dans un environnement spécifique, à température ambiante, elle pourrait durer jusqu'à 1.000 ans", détaille-t-il.

Programme de recherche prioritaire

C'est donc assez logiquement que Marc Antonini a été désigné pour piloter le Programme d'équipement prioritaire de recherche (PEPR) MoleculArXiv, doté d'une enveloppe de 20 millions d'euros sur sept ans issus du plan d'investissement d'avenir France 2030. Il réunit une vingtaine de laboratoires académiques et vise à défricher, organiser une activité souveraine ou, a minima, contribuer à une solution internationale, européenne de préférence. "Nous avons en France toutes les compétences par rapport à ces aspects de stockage sur ADN et nous sommes time-to-market par rapport à ce que font les américains", relève celui qui préside également le groupe de standardisation JPEG DNA qui pousse à l'élaboration d'une norme de compression d'images adaptée à l'ADN.

Marc Antonini a également co-fondé en 2022 une start-up sur le sujet avec Melpomeni Dimopoulou, qui a fait sa thèse sur ce sujet. Baptisée PearCode, la jeune pousse sophipolitaine a reçu le Grand Prix du concours d'innovation i-Lab 2023, avec à la clé une subvention de 550.000 euros. De quoi mettre le pied à l'étrier de la Deeptech qui cherche à créer une mémoire ADN permettant d'archiver des données dites froides (peu ou pas utilisées) au départ pour monter en puissance, automatiser les processus d'écriture et de décodage d'ici à un horizon de 5 à 10 ans, et ainsi s'ouvrir plus largement aux données, notamment à celles dites tièdes. Des recherches de fonds complémentaires, ainsi qu'un premier recrutement, "un doctorant Cifre avec des compétences en biologie moléculaire et informatique", sont en cours.

Transfert industriel

PearCode n'est pas la première expérience entrepreneuriale du chercheur. En 2013 déjà, Marc Antonini co-fondait avec deux de ses anciens doctorants la start-up Cintoo. Spécialisée dans la compression des données 3D issues de la capture de la réalité, elle se positionne sur les secteurs de la construction et de l'industrie 4.0, essentiellement nord-américains, et a conclu en décembre 2021 un troisième tour de table d'un montant de 5,3 millions d'euros. "Je fais partie de ces chercheurs qui ont envie de voir l'application directe de leurs travaux, l'innovation qui en découle. Cela ne passe pas forcément par la création de start-up, il y a beaucoup de collaboration industrielle avec, parfois, des transferts industriels, de logiciels en l'occurrence. Ce n'est pas toujours facile, mais quand la collaboration aboutit, c'est extrêmement valorisant".

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