« Les agriculteurs sont la première source d’économies d’eau » (Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse)

Dans son sixième rapport, le Giec constate une hausse de 1,1°C de la température moyenne sur terre depuis l’ère préindustrielle et prévoit que nous atteindrons les 1,5°C d’ici 2030. Mais derrière toute moyenne se cachent des situations plus ou moins exacerbées, et le bassin méditerranéen est particulièrement frappé par ce réchauffement, notamment le bassin du Rhône où cette hausse des températures atteint déjà les 2°C, modifiant le régime des pluies et accentuant les sécheresses. Un défi majeur pour le monde agricole qui consomme 50 % de l’eau prélevée sur le bassin, et jusqu’à 71 % en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. D’où la volonté de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse d’accompagner ce secteur dans sa transition vers des pratiques moins polluantes et plus sobres en eau. Comme l’explique Hélène Michaux, directrice du département du programme et des interventions au sein de l’Agence.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En ce début de printemps, dans quel état se trouve la ressource en eau sur le bassin Rhône-Méditerranée-Corse ?

HÉLÈNE MICHAUX - La situation est préoccupante. Le niveau des cours d'eau est très bas. Nous sommes partis d'une situation défavorable, avec un été très sec et très long. Le mois de février a été marqué par des records de sécheresse et les quelques pluies de ces derniers jours n'ont pas suffi à recharger les nappes alors que nous entrons dans la période du développement de la végétation. Dans le même temps, l'enneigement a diminué de 10 % sur les trente dernières années alors que beaucoup de cours d'eau sont alimentés par la fonte de ces neiges. C'est le cas du Rhône, de la Drôme, de l'Isère ... De la neige en moins, c'est de l'eau en moins pour soutenir les cours d'eau au printemps.

Dans quelle mesure cette situation impacte les agriculteurs ?

40 % du bassin est déjà en déséquilibre, ce qui signifie qu'on prélève plus que ce que fournit la ressource. C'est un constat que l'on fait depuis une dizaine d'années. Cela concerne tout le territoire, mais plus encore le pourtour méditerranéen. Les agriculteurs sont particulièrement impactés car ils sont le premier consommateur d'eau. Ils représentent 48 % de l'eau prélevée en moyenne à l'année [Ce chiffre atteint même 70 % dans le sud du bassin, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur et dans la partie languedocienne de l'Occitanie, ndlr]. Ils utilisent de l'eau surtout pour l'irrigation et un peu pour l'abreuvement du bétail. C'est dans l'agriculture que les défis sont les plus importants car sans eau, il n'y a plus d'agriculture. Il faut parvenir à concilier leur mission de production alimentaire et la réduction de leur impact sur cette ressource.

L'Agence accompagne justement les agriculteurs en ce sens, avec, entre 2019 et 2022, 237 millions d'euros d'aides apportés à ce secteur. Quels types de projets soutenez-vous avec ces fonds ?

Nous accompagnons des projets qui permettent de réaliser des économies d'eau grâce à la modernisation des systèmes d'irrigation. Sur notre territoire, les agriculteurs ont traditionnellement beaucoup recours à l'irrigation gravitaire [méthode qui consiste à immerger des parcelles pendant un laps de temps, ndlr] qui consomme de grandes quantités d'eau, supérieures aux besoins précis des plantes. Nous les encourageons à se tourner vers des méthodes d'aspersion au plus proche des besoins, et parmi ces méthodes, le goutte à goutte est le plus efficient sur des cultures pérennes où l'on ne travaille pas le sol.

Nous soutenons aussi les changements de pratiques qui mobilisent les principes de l'agroécologie, en favorisant notamment la rétention d'eau dans les sols. De même que certaines solutions de stockage ou de transfert d'eau d'un cours d'eau vers un autre.

Vous évoquez le stockage, une technique qui inclut notamment les bassins de rétention à l'origine de vives tensions l'été dernier en France. Quelle est la position de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse sur ce sujet ?

Nous refusons les positions dogmatiques. Ces techniques font partie du panier de solutions que l'on étudie. Mais il est important d'analyser les situations au cas par cas. Les solutions qui permettent de stocker de l'eau de pluie l'hiver peuvent dans certains cas sembler intéressantes. En revanche, nous sommes plus interrogatifs lorsqu'il s'agit de pomper de l'eau dans les nappes. Se pose aussi la question des coûts. Un stockage génère un investissement et des coûts de fonctionnement. Il faut vérifier la durabilité de cet investissement au regard des conditions de remplissage. Le stockage d'eau ne doit pas être une fuite en avant. Il doit forcément être complémentaire à des économies d'eau car la ressource est et sera de moins en moins abondante l'été.

Il faut que l'ensemble des usagers fasse un travail d'optimisation des besoins et chasse le gaspillage. Et si les agriculteurs sont les premiers préleveurs, ils sont aussi la première source d'économies d'eau. En 10 ans, nous avons permis d'économiser 340 millions de mètres cubes d'eau, soit quatre fois la consommation d'une ville comme Lyon. Deux tiers de ces économies sont dues au monde agricole.

Économiser de l'eau peut aussi passer par le choix de cultures moins consommatrices. Quelles sont les actions de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse en ce sens ?

Nous accompagnons beaucoup de projets d'expérimentation de nouvelles variétés, de nouvelles cultures ou de nouveaux cépages car nous voulons que l'agriculture trouve une valorisation économique sur des pratiques peu consommatrices d'eau et de pesticides comme par exemple le chanvre ou le miscanthus qui est utilisé pour la qualité de ses fibres. Le sorgho est aussi une alternative intéressante au maïs. Nous accompagnons la mise en place de filières locales sur ces productions. Ces filières sont le plus souvent initiées par un industriel, une coopérative, un meunier ou un négoce en vin qui veut construire sa filière d'approvisionnement. A l'échelle du territoire, ces projets concernent de petits secteurs de quelques hectares mais il y a une vraie dynamique sur ces sujets. Nous avons lancé un second appel à projet pour ces filières l'an dernier et nous avons reçu beaucoup plus de dossiers que lors de la première année.

Les préoccupations sont fortes sur la quantité d'eau disponible. Qu'en est-il de la qualité de cette eau à l'échelle du bassin que vous couvrez ?

Nous pouvons nous féliciter d'une amélioration de la situation, avec une baisse des contaminations de cours d'eau depuis quinze ans. Les efforts du secteur agricole portent leurs fruits. Mais nous avons encore 48 % des cours d'eau qui sont pollués à cause des pesticides, en majorité des herbicides de type glyphosate. Il faut donc poursuivre les efforts.

Concernant les eaux souterraines du bassin, 10 % sont dans un état qui nécessite d'être restauré, dont 90 % à cause des pesticides.

Pour résorber ces pollutions, nous accompagnons des projets ciblés autour des 280 captages prioritaires. Depuis deux ans, nous expérimentons également des paiements pour services rendus à l'environnement qui permettent de rémunérer les agriculteurs pour des pratiques qui réduisent la pollution et préservent la biodiversité à travers l'installation de haies ou de mares par exemple, dans le cadre de projets de territoires montés par les collectivités locales autour des points de captage. 21 projets de ce type ont été retenus sur le bassin. On espère disposer d'éléments d'analyse prochainement.

L'eau se raréfie dans les périodes où on en a le plus besoin, mettant forcément certaines activités en concurrence vis-à-vis d'elle, faisant parfois craindre une « guerre de l'eau ». Constatez-vous déjà des tensions sur le bassin Rhône-Méditerranée-Corse ?

Il y a bien sûr un peu de tensions mais nous avons la chance, sur ce bassin, de nous être emparés de ce sujet il y a déjà quinze ans en lançant les Projets territoriaux de gestion de l'eau  (PTGE) qui encouragent tous les usagers de l'eau, les gestionnaires de l'eau, les collectivités, les associations environnementales ou encore l'État, à se mettre autour de la table. 65 projets de ce type ont vu le jour sur le bassin. [Le dispositif a été étendu à tout le territoire national dès 2019, ndlr]. Cela a permis, il y a une dizaine d'années déjà, de réaliser des diagnostics et des études à partir desquels ont été prévues des répartitions des volumes prélevables par grande catégorie d'usagers. Dès lors, chaque usager met en œuvre des actions pour réduire ses prélèvements dans les milieux. C'est une démarche contractuelle, de dialogue à l'échelle du territoire. Or je pense que lorsqu'on anticipe les problèmes, le dialogue est plus facile.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.