Ressource en eau : « l’adaptation au réchauffement climatique est un sujet éminemment local » (GIEC)

Le changement climatique, en amplifiant les sécheresses et en multipliant les phénomènes météorologiques extrêmes, met à mal les écosystèmes naturels et les activités humaines les plus dépendantes de l’eau. Pour y faire face, plusieurs solutions existent, qu’il s’agisse de réduire la consommation d’eau ou pour redonner place à la nature afin de mieux gérer des précipitations irrégulières. Mais ces solutions exigent la coopération de tous, de l’entreprise au scientifique en passant par le citoyen, avec le politique comme (humble) coordinateur.
(Crédits : DR)

Le changement climatique est déjà là. Embourbée dans les gaz à effet de serre générés par l'activité humain, l'atmosphère se réchauffe. Ce n'est plus à prouver. Mais on peut encore agir. En réduisant les émissions de ces gaz pour que le phénomène ne s'amplifie pas, voire qu'il se résorbe. Ce qui implique les petits gestes de chacun, combinés à des politiques globales, nationales mais aussi internationales, pour que ceux-ci soient coordonnés, et que les efforts soient répartis de manière socialement juste.

Mais cela ne suffit plus. Le réchauffement climatique faisant déjà sentir ses effets sur la disponibilité de l'eau - en témoigne la sécheresse encore en cours -, il faut aussi trouver des façons de s'y adapter. Tout de suite. Or, pense Antoine Nicault, coordinateur du Grec (Groupement régional d'experts sur le climat) en région Sud, « l'adaptation au réchauffement climatique est un sujet éminemment local ». Un sujet qui nécessite la mobilisation conjointe de tous les acteurs concernés, c'est-à-dire tout le monde : usagers, entreprises, communes, Métropoles, Région, scientifiques de toutes disciplines (de la biologique à l'hydrologie en passant par l'économie et les sciences sociales), mais aussi l'État, par exemple au travers de l'Agence de l'eau, établissement public qui finance des projets visant à améliorer la qualité et la disponibilité de l'eau sur le territoire.

Favoriser l'infiltration de l'eau grâce à la restauration d'écosystèmes naturels

Directrice de la délégation en local de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, Annick Mièvre identifie deux enjeux majeurs concernant la gestion de l'eau en Provence Alpes Côte d'Azur.

« Le premier, c'est l'altération à la morphologie. Nous avons un littoral très urbanisé sur lequel on a beaucoup modifié les cours d'eau au moyen de barrages, de constructions en travers des cours, de canalisation de certains courts. Cela génère une modification des continuités et nuit au déplacement des poissons et sédiments ».

Par ailleurs cette artificialisation importante des cours d'eau rend les villes plus vulnérables aux inondations - appelées à être plus fréquentes et plus virulentes sous l'effet du réchauffement climatique - car l'eau ruisselle au lieu d'être absorbée.

C'est donc pour rendre les territoires plus résilients que l'Agence finance de nombreux projets de restauration des milieux naturels et des zones humides. « Quand on restaure un cours d'eau, on le reconnecte à la nappe et en cas de fortes pluies, l'eau s'infiltre mieux et permet de mieux recharger les nappes ».

L'Agence contribue ainsi à l'expérimentation de renaturation des étangs et marais des Salins de Camargue, d'anciennes terres des Salins du midi où l'on a choisi de laisser la nature reprendre ses droits afin d'en faire un tampon naturel contre la montée des eaux en même temps qu'un havre de biodiversité. « Nous soutenons aussi un projet de reconnexion à la mer dans les Salins d'Hyères ».

Un travail qui vaut aussi pour les métropoles, comme à Marseille, où il est question de rouvrir le ruisseau des Aygalades, au nord de la ville. « Cela permettra de désimperméabiliser des hectares pour en faire un parc urbain. Nous finançons des projets de ce type car cela permet aussi de réduire les pollutions. Au lieu d'avoir une pluie qui transporte les polluants se trouvant sur le sol vers les cours d'eau - faisant souvent les systèmes d'assainissement - la désimperméabilisation permet de faire s'infiltrer les polluants dans le sol qui joue un rôle d'auto-épuration ». Et de surcroît, « cela ramène des espaces verts et de la fraîcheur dans les villes ».

123 millions de mètres cubes d'eau : le sujet des fuites de canalisations

En parallèle de cet axe de travail, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse s'attelle à un autre problème majeur pour le territoire : celui des prélèvements trop importants d'eau dans les milieux naturels en rapport aux besoins de ceux-ci pour fonctionner correctement. « 21 bassins versants sont déficitaires, sur tous les départements ».

Des prélèvements qui pourraient être réduits en limitant le gaspillage, à commencer par celui que représentent les fuites d'eau. « En région Sud, le taux de rendement est estimé à 81 %, ce qui signifie que 19 % de l'eau fuit des canalisations », explique Yves Bourdais, délégué PACA du syndicat spécialisé des Canalisateurs du Sud Est. « Cela correspond à 123 millions de mètres cubes perdus chaque année, soit la consommation annuelle de la métropole d'Aix-Marseille ».

Et les disparités sont fortes entre les départements : 62 % de rendement dans les Alpes-de-Haute-Provence, contre 83 % dans le Var. « Il y a aussi des différences entre petites communes avec peu de moyens et grandes métropoles. »

Un écart que l'Agence de l'eau essaie de résorber en finançant la rénovation des réseaux dans les communes rurales. Le syndicat des canalisateurs en appelle de son côté à une hausse du prix de l'eau. « Mais les élus sont réticents à cela dans le contexte actuel d'inflation. Nous pensons néanmoins que cela est nécessaire, tout en faisant preuve de pédagogie car les usagers ont souvent une grande méconnaissance de tout le circuit, de tout le patrimoine nécessaire pour avoir de l'eau au robinet ».

Repenser l'agriculture

Autre levier important d'économies d'eau : l'agriculture. Celle-ci représentant deux tiers de la consommation en eau sur le territoire, elle offre une importante marge de manœuvre.

Parmi les solutions pour réduire la consommation de ce secteur d'activité : l'évolution des modes d'arrosage. « Une particularité du territoire est l'utilisation, grâce à un important réseau de canaux, d'une irrigation gravitaire qui génère des prélèvements supérieurs aux besoins », explique Annick Mièvre de l'Agence de l'eau. « Nous finançons donc des systèmes d'arrosage au goutte à goutte ou par aspersion avec des Associations de syndicats arrosant ». Avec des résultats significatifs puisque l'arrosage par aspersion permet par exemple de « diviser par 5 les volumes prélevés par rapport à l'irrigation gravitaire, pour le même résultat sur la plante ».

L'Agence soutient également des projets d'agroécologie visant à réinstaurer une part de nature dans les cultures pour rendre celles-ci plus résistantes à la météorologie et aux maladies. Des pratiques à l'origine de nombreux « co-bénéfices » : moindre consommation d'eau grâce à une meilleure rétention de celles-ci dans les sols, mais aussi réduction de l'usage de pesticides, soutien à la biodiversité, amélioration des paysages et dynamisme économique grâce à la création de filières en circuit court.

Les initiatives de ce type sont de plus en plus nombreuses. De même que la réflexion en faveur de nouveaux types de cultures, moins aquavores.

Les pouvoirs publics comme chefs d'orchestre

Mais selon Antoine Nicault du Grec Sud, les solutions apportées sont encore trop éparses, portées par des acteurs qui ne communiquent que trop peu entre eux, ne serait-ce que pour partager leurs bonnes (ou moins bonnes) pratiques. « Les pouvoirs politiques doivent reconnecter tout le monde sans laisser aucun acteur de côté, car le pire est de ne pas intégrer certaines personnes à la discussion ». Au risque de donner l'impression d'une écologie « punitive », exigeant des efforts injustement répartis.

En outre, la transversalité est essentielle, enjeux économiques, environnementaux, sociaux et politiques étant intimement imbriqués les uns aux autres.

Si Antoine Nicault se réjouit des ambitions fortes affichées par la Région - celle-ci s'engage à dédier 100 % des crédits européens à la poursuite des objectifs climatiques - il considère qu'il faut les mettre en œuvre « avec une grande humilité. La Région est un chef d'orchestre. Mais il y a tout l'orchestre derrière. Il faut conduire des projets marquants, mais aussi des actions moins glamour de transformation profonde du territoire ».

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