« Il manque une politique globale du logement » (Isabelle Longchampt, FBTP 13)

Rénovation énergétique, zéro artificialisation des sols, réduction de l'empreinte carbone... Le bâtiment, à l'origine de 23 % des émissions françaises de gaz à effet de serre, est au cœur des enjeux de la transition écologique. Selon Isabelle Longchampt, présidente de la Fédération BTP des Bouches-du-Rhône, son potentiel d'action est majeur. Mais il a pour cela besoin que soit menée à l'échelle du pays une politique du logement qui soit cohérente, pratique et transversale.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Alors que les ressources énergétiques sont sous tension cet hiver, les Français sont appelés à être plus sobres énergétiquement. Au-delà de maintenir les chauffages à 19°C, la rénovation énergétique des logements est un levier d'action important. Où en sommes-nous ?

ISABELLE LONGCHAMPT - Il y a encore beaucoup de besoins. En 2021, on comptait encore 5,2 millions de passoires thermiques en France. Cela signifie qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire. Et sur notre territoire, on n'échappe pas à ce problème [les passoires thermiques représentent 7 % des logements de la Région Sud, ndlr]. On a beau allumer le chauffage sur une période plus courte, nous comptons beaucoup de logements indignes, de copropriétés dégradées. Et cela a un fort impact sur le budget des familles puisque le logement représente 30 % de leur budget, et la moitié de ces 30 % est consacré au chauffage.

Comment expliquer cet important taux de passoires thermiques ?

Il existe beaucoup de dispositifs en faveur de la rénovation des logements. Mais ceux-ci se croisent, et parfois, ils se contredisent. Le gouvernement oriente les politiques d'aides vers de la rénovation globale. Mais on se heurte à un reste à charge trop important pour les ménages. Ils ne sont pas suffisamment accompagnés pour obtenir des financements adaptés en plus des primes du gouvernement qui ne couvrent qu'une partie des travaux. Il manque une politique globale et cohérente du logement. Parfois certaines aides diminuent, voire disparaissent comme en ce qui concerne l'isolation des combles.

En Région Sud, seules 1,3 % des entreprises du bâtiment disposent de l'habilitation RGE (Reconnu garants de l'environnement), gage de visibilité et de crédibilité auprès des personnes qui souhaiteraient rénover leur logement. C'est un niveau assez bas, et parmi les plus faibles du pays. Comment l'expliquer ?

Le problème est qu'avec ces dispositifs qui évoluent sans cesse, les entreprises ont du mal à se projeter et à investir de façon sereine dans leur activité. Si elles avaient une vision de long terme, elles mettraient davantage de moyens. Car qu'est ce qui fait qu'on s'adapte, que l'on se forme, que l'on embauche ? C'est le chiffre d'affaire, l'activité sur la durée. De notre côté, nous poussons les entreprises à se qualifier. Nous avons ainsi créé dès 2088 la formation Feebat qui accompagne les artisans et les entreprises sur les marchés de la performance énergétique, avec la possibilité de se former dans presque 350 sites. Mais il faut que cela soit intéressant économiquement pour elles.

En plus de ces compétences, la rénovation énergétique demande de la main d'œuvre. Celle-ci serait-elle suffisante pour répondre à une demande accrue ?

Comme tous les secteurs, nous en manquons. Mais nous disposons de plusieurs leviers pour lutter contre ce problème. Nous avons un panel de formation qui cible tous les niveaux de qualification. Nous venons également d'ouvrir un lieu unique au sein d'Euroméditerranée, Le Village du BTP, qui vise à accroître l'attractivité de nos métiers et à orienter vers des formations.

La féminisation de ces métiers est aussi un levier ...

Oui, c'est un enjeu. Dans les postes d'encadrement, la part de femmes augmente. Par contre, nous avons encore du chemin à faire sur l'exécution. On a tendance à croire que ces métiers sont trop physiques pour les femmes. Ce qui est faux. D'autant plus que ces métiers s'adaptent et comprennent de moins en moins de manutention. L'innovation bat son plein avec l'apparition de toujours plus d'engins qui réduisent le port de charges lourdes. De plus, je constate que les femmes qui choisissent ces métiers sont très bien intégrées.

Au delà de la rénovation énergétique, le secteur du BTP cherche à réduire son empreinte carbone à travers de nouveaux matériaux et process. Par quoi cela passe-t-il ?

Nous travaillons avec des industriels qui font des efforts pour produire des bétons dont le bilan carbone est de plus en plus bas. Nous utilisons également des matières premières plus naturelles comme la paille ou la terre. Et si possible locales. Autrefois, les constructions dans les Alpes étaient faites de bois car c'était la ressource la plus disponible. Chez nous, c'était plutôt la pierre. On revient à ce bon sens de la construction.

Le réemploi de matériaux est aussi un moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de consommer moins de matières premières. Est-ce une pratique qui se développe sur le territoire ?

Cela commence à se développer. Quand un bâtiment doit être démoli, on commence à réfléchir à ce qui peut être récupéré. La filière est encore à son démarrage. Il faut l'encourager mais nous nous heurtons à la réglementation. Si l'on récupère des fenêtres qui ont 15 ou 20 ans et sont en bon état, nous n'avons généralement plus le PV ni la fiche technique. De sorte que le bureau de contrôle ne nous permettra pas de la réutiliser. Il va falloir adapter les normes en fonction de ce que l'on veut faire.

Votre profession va devoir faire à un autre défi lié à la préservation de l'environnement et au manque de foncier agricole : celui de la zéro artificialisation des sols. Quel regard portez-vous sur cela ?

Je pense que ce sujet ne doit pas être abordé de manière dogmatique. On connaît les enjeux, le réchauffement climatique ... Mais dans le même temps, et particulièrement dans notre région, on manque de logement, de logement social notamment. A Marseille, on a deux ans de retard sur les permis de construire. On se prépare à une crise du logement majeure.

Si on prend la zéro artificialisation des sols de manière dogmatique, on ne construit plus. Dans ce cas, comment vont se loger les gens ? L'urgence climatique ne doit pas conduire des personnes à dormir sous des ponts.

Pour éviter d'artificialiser trop de surfaces, on peut prévoir de déconstruire et reconstruire. On peut préserver des espaces naturels. Aménager des dents creuses. Développer la rénovation de friches industrielles. Mais pour cela, il faut accélérer les procédures qui sont longues et complexes. Trop de temps s'écoule avant qu'un bâtiment sorte de terre.

Il faut aussi penser le logement dans une vision globale de la ville, en même temps par exemple que la mobilité. Si on restaure une friche pour éviter d'artificialiser, encore faut-il que cette friche soit desservie par les transports en commun. Il faut être pratique plutôt que dogmatique, et revenir, là encore, au bon sens.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.