Paul Langlère, une certaine idée de la restauration

Chef du Sépia à Marseille, Paul Langlère a d’abord travaillé dans la communication avant de passer son CAP cuisine à l’âge de 27 ans. Depuis, il défend une cuisine à la fois simple et audacieuse. Soignant tout autant ses produits – locaux et de saison – que ses clients et ses salariés. Essentiel pour faire face aux mutations du secteur.
(Crédits : DR)

Il est midi. Le soleil embrase l'air dans lequel se dessinent des volutes de fumées. Une odeur de viande grillée qui donne l'eau à la bouche. Le bruit des couverts que l'on installe sur des tables rondes ombragées. Le Sépia s'éveille sous des airs de barbecue entre amis. Les serveurs accueillent les premiers clients, tandis que le chef Paul Langlère court de droite à gauche. Pressé mais jovial. Entonnant même quelques chants corses.

Perché sur la colline Puget, le Sépia est référencé par le guide Michelin qui le décrit comme « une ginguette » qui « offre une vue plongeante sur le Vieux Port et la Grande bleue ». Et de promettre : « la carte aussi donne le vertige ». En 2017, son ouverture vaut également à Paul Langlère le titre de lauréat de la Dotation Gault & Miliau pour les jeunes talents.

Autant de consécrations pour ce chef qui, enfant, écumait ce genre de publications comme d'autres dévorent les mangas.

Regard clair, cheveux en bataille et cigarette à la main, il se rappelle avoir toujours été « un très gros mangeur. En fait, j'aime tout. Petit, j'étais le bec fin de la famille et les restaurants me fascinaient ». A tel point qu'il s'imagine devenir critique gastronomique. « Être payé pour manger, c'était le rêve ! Mon père était persuadé que j'étais fait pour la cuisine. Il avait raison mais adolescent, je n'étais pas encore prêt ». Il rejoint alors une école de communication dont il apprécie « l'esprit de camaraderie », avant d'obtenir un poste au sein du groupe Havas à Paris.

Mais à 27 ans, la passion le rappelle et il cède. Passant alors son CAP cuisine, à Marseille.

« Il faut savoir se mettre à la place du client »

Si Paul Langlère est alors moins « technique » que ses jeunes camarades, il se distingue par une plus grande « lucidité » dit-il. Une maturité gustative. De même que par la conscience que dans la restauration, cuisiner ne fait pas tout. « Il faut aussi savoir se mettre à la place du client ».

Une vision du métier qu'il aiguise au travers de ses expériences auprès des plus grands, notamment au Plaza Athénée où il reste trois ans. Il y acquiert exigence et rigueur. Non sans mal. « Si je n'avais pas été aussi solennel dans mon choix de m'orienter dans ce domaine, si j'avais été plus jeune et qu'un demi-tour avait été possible, j'aurais abandonné », reconnaît-il. « Dans la communication, j'étais habitué aux horaires à rallonge. Mais la restauration, physiquement, c'est pas du tout le même truc. Avec en plus un côté militaire ».

Puis, alors qu'il attend un second enfant, il décide de rentrer à Marseille. L'ouverture de l'Intercontinental, au même moment, sonne comme une opportunité dont il se saisit, aux côtés de Lionel Lévy. « J'étais en charge de la brasserie, du petit déjeuner, du room-service, du bar ... C'était colossal ». Il continue d'apprendre. Avec l'idée, un jour, de voler de ses propres ailes.

Influences marines et terrestres

D'autant qu'il a repéré le lieu idéal pour cela. En haut de la colline Puget. Un snack doté d'un joli terrain. « La première chose que j'ai pensé en voyant cet endroit, c'était que ce serait ici que j'ouvrirai mon restaurant ». Alors quand il apprend que son propriétaire le met en vente, il saute sur l'occasion. Le Sépia peut voir le jour.

Un nom qui fait référence à la seiche, et plus largement à l'univers marin. A la carte, on trouve donc évidemment des produits de la mer, très souvent mariés avec ceux de la terre. Comme cet œuf à la carte, dont la saveur est rehaussée par de l'anguille fumée. La cuisine du chef met aussi à l'honneur les légumes cultivés par deux ou trois producteurs de la région. Car ici, l'approvisionnement est local. Un engagement qui s'accompagne de quelques aléas logistiques, mais qui permet de tenir la promesse du goût. Indissociable de l'expérience pour les clients.

Le refus de la livraison à domicile

L'expérience du client, un sujet majeur pour le chef. De telle sorte que lorsque le covid-19 a conduit bon nombre de ses confrères à opter pour la livraison à domicile, lui s'y est refusé. « Premièrement j'avais la flemme. Cela faisait trois ans et demi que je ne voyais presque plus ma famille. J'avais besoin d'une bouffé d'oxygène. Deuxièmement, j'ai vu pas mal de mecs se griller avec ça. Proposer des plats hors de prix dans des barquettes en carton avec en plus de la vaisselle à faire à la maison pour le client, ce n'est plus le même métier  ».

Il a donc patiemment attendu de pouvoir rouvrir. Et la clientèle n'a pas manqué le rendez-vous. « Je refuse tous les soirs du monde ». Une clientèle « à l'image du Vieux-Port de Marseille », assure l'entrepreneur. « Depuis un an et demi, on reçoit de plus en plus de Parisiens qui s'installent ici ». Les étrangers sont nombreux également. « Le soir, cela représente un tiers de nos clients. Avant, les gens cultivés allaient à Arles, à Nîmes, pour les monuments antiques. Maintenant, Marseille est une destination elle aussi. Ce que l'on cuisine ici leur plaît car ils trouvent cela exotique. Et un menu à moins de 50 euros pour un Américain, c'est donné ».

Pour faire face à la demande et diversifier son public, le restaurant s'est récemment doté d'un bar dans une salle attenante au restaurant. « On y propose une offre plus informelle, un lieu apéro-cocktail où l'on mange sur le pouce ».

L'écueil du manque de main d'œuvre

Reste à dépasser un écueil : celui du manque de main d'œuvre, particulièrement prégnant dans la restauration. « Nous sommes dix-sept mais on est débordé. On ne sait pas où trouver plus de monde ». Il sait combien les conditions de travail sont un levier majeur. « Je suis quelqu'un de très exigeant. Mais je fais attention à ne pas m'emporter car les salariés pourraient avoir envie d'aller voir ailleurs. Travailler avec la boule au ventre, je sais ce que c'est et ce n'est pas possible ». En outre, de deux jours de repos accordés aux salariés, il est passé à trois. Et a augmenté les salaires.

Un choix qui, combiné à la hausse des coûts de transports et des matières premières, devra peut-être l'amener à augmenter un peu le prix de ses menus. Essentiel pour continuer de proposer un service mêlant gourmandise et détente, tout en donnant aux salariés l'envie de persévérer dans ce métier, et en rémunérant justement les producteurs.

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